C’est avec tristesse que nous vous annonçons le décès de Gérard Hunout, notre camarade libertaire de Caen.
Gérard HUNOUT
05/03/1947 – 13/06/2013 (66 ans)
La dernière fois que je l’avais eu au téléphone, c’était quelques jours avant son décès. Il me faisait part de sa volonté de ne plus souffrir et de ne pas connaître la déchéance, en quelque sorte mourir dans la dignité. Gérard nous a quittés, serein. Nous reviendrons sur son parcours militant puisqu’il fut une grande figure de la CFDT et notamment du SGEN contestataire de Caen. Il fut membre de l’ORA et de l’OCL par ailleurs. Nous publions sa dernière contribution pour la CNT avant que celle-ci ne se scinde encore une fois…Gérard ne se définissait pas comme anti-électoraliste mais comme antiparlementaire. Nous n’oublierons jamais son sens de l’humour et l’aide qu’il avait apportée lors de l’anti-G8 au Havre. A sa famille et ses amis, nous adressons nos fraternelles condoléances.
Patrice
Organisation de masse et de classe et CNT :
Nature politique de l’organisation :
Un des débats qui traverse la CNT est la nature politique de l’organisation : organisation anarchiste ou organisation plus large pouvant intégrer des non-anarchistes, y compris des militant-e-s d’autres courants idéologiques. C’est bien sûr un débat très important qui conditionne l’avenir et le développement de notre organisation à court et moyen terme.
Ce débat n’est pas nouveau. Je crois qu’il était déjà présent (je n’étais pas encore revenu au sein de la CNT) lors de la scission de 1993, scission qui avait donné naissance à notre CNT et à la CNT-AIT, CNT-AIT qui était partisane entre autre chose d’une organisation anarchiste. La CNT-AIT a depuis quasiment disparu du paysage groupusculaire militant français après un certain nombre de scissions. Alors que notre CNT a connu un certain développement, très relatif certes mais significatif. Pourtant, au moment de la scission je crois savoir que les deux groupes avaient des effectifs à peu près équivalents.
Il conviendrait de s’interroger sur le rapport de cause à effet entre sectarisme et non-développement, puis disparition d’une organisation politique. D’autant que la CNT a déjà connu un tel scénario au début des années 50 avec une quasi disparition après un début de développement plus que prometteur (100 à 200 000 adhérents d’après certains auteurs).
Mais, interrogeons-nous plutôt sur l’utilité de l’une ou l’autre version de la nature de l’organisation.
1- CNT = organisation anarchiste :
Si j’ai bien compris, cela signifie que le postulant adhérent doit d’abord montrer ses 4 quartiers de noblesse anarchiste pour avoir sa carte. Outre que cela ne signifie rien quant à l’honnêteté de ses convictions et engagements, je me demande quel peut être l’intérêt d’une telle démarche. Le/ la militant-e (ou apprenti-e militant-e) qui se sent attiré-e par l’anarchisme a tout ce qu’il lui faut en matière d’offre organisationnelle : FA, OCL, AL, CGA etc.., sans compter une multitude de groupes et collectifs locaux autonomes. Le marché est sur-approvisionné et l’offre plus que variée. Alors, quel intérêt de créer une organisation de plus qui serait « anarcho-syndicaliste », courant d’ailleurs représenté dans certaines organisations libertaires nationales déjà existantes ?
Personnellement, je ne vois pas et je ne crois pas que cela réponde aux nécessités du moment et aux besoins du mouvement ouvrier en général et du mouvement libertaire « lutte de classe » en particulier.
2- CNT = organisation large :
Dans ce type d’organisation syndicale, pour adhérer il suffit d’être un exploité (salarié, chômeur par exemple). L’adhésion se fait donc sur des critères de position de classe et non idéologique. Évidemment, s’agissant de la CNT, il convient que le nouvel adhérent soit en accord avec les objectifs anticapitalistes et autogestionnaires de l’organisation. Mais, nul besoin de s’identifier anarchiste pour cela.
L’organisation cesserait-elle d’être libertaire pour autant ? Je ne le crois pas. Car ce qui compte vraiment, ce sont ses objectifs finaux (le communisme libertaire), ses modes d’intervention dans les luttes (assemblée générales souveraines, démocratie directe) et son mode de fonctionnement interne basé sur l’autogestion.
Mais, pour que tout cela ait un sens et du poids dans le mouvement social, il faut qu’une telle organisation de lutte de classe ait une réalité de masse. Sinon, on ne peut parler que d’agitation impuissante et groupusculaire (et souvent donneuse de leçon) comme la CNT-AIT (mais pas seulement elle) s’en était fait la spécialité.
C’est peut-être vraiment ça l’anarcho-syndicalisme et/ou le syndicalisme révolutionnaire (personnellement je ne fais pas de différence de contenu entre les deux expressions).
Cependant, on peut légitimement se poser la question suivante : quelle peut-être l’utilité d’une organisation de masse ? Ça sert à quoi ?
D’abord, notons que sans les « masses » (souvent brocardées et méprisées dans les milieux libertaires qui n’ont pas peur d’un certain élitisme aristocratique) point de salut pour la transformation de la société. Sauf à penser que quelques groupuscules, libertaires ou autres, viendront seuls à bout, avec leurs petits bras musclés, de la société de classe, du capitalisme et de l’État.
Encore faut-il que les dites masses aient un projet alternatif et soient organisées dans ce but, c’est-à-dire conscientes d’elles-mêmes. Aider les masses à prendre conscience, à élaborer ce projet, à s’auto-organiser de façon pérenne dans ce but, ce doit être la raison d’être d’une organisation de masse et de classe révolutionnaire. Encore faut-il qu’elle s’en donne les moyens, numériquement parlant mais aussi théoriquement et dans la pratique de terrain quotidienne dans les entreprises et les quartiers. Comment imaginer et expliquer la révolution espagnole de 1936 sans la présence massive de la CNT, sans son travail de masse, pendant des dizaines d’années, et tout ça au sein d’un prolétariat souvent analphabète ? Et pourtant parmi les 1,5 millions adhérents (certains disent 2 millions) de la CNT, les anarchistes pur sucre étaient très minoritaires. Pour l’essentiel, ils s’étaient regroupés dans la FAI qui avait selon les sources entre 30 000 et 50 000 adhérents. Et je rappelle que la FAI n’était pas un organisme extérieur à la CNT, mais était née de l’intérieur et qu’elle n’avait pas comme objectif la recherche de l’hégémonie dans le syndicat, mais acceptait la coexistence avec d’autres courants.
Mais, il est clair que sans l’existence et le poids de la CNT et de l’anarcho-syndicalisme, le mouvement libertaire espagnol n’aurait pas eu l’importance qu’il a eu dans l’histoire de ce pays. Et c’est encore le cas aujourd’hui, même si cette influence a beaucoup diminué du fait justement de l’affaiblissement et des divisions organiques (entre CGT-E, CNT et SO) du syndicalisme révolutionnaire en Espagne. C’est d’ailleurs une constante historique dans le mouvement ouvrier et libertaire international : là où des organisations anarcho-syndicalistes importantes ont existé, les anarchistes ont joué un rôle important voire dominant au sein des luttes populaires, notamment avant la seconde guerre mondiale. C’est vrai en Europe occidentale (France, Italie, Espagne, Portugal, Allemagne etc..) mais aussi en Amériques du Sud. Et à ma connaissance, il n’y a pas d’exception.
Donc, si en France le mouvement anarchiste « lutte de classe » veut retrouver son lustre passé (d’avant la première guerre mondiale), l’urgence est de participer à la création d’une organisation large de masse et de classe révolutionnaire. Mais, bien sûr sans vouloir l’inféoder car se serait contre-productif comme on le voit dans la CNT-F actuelle qui est sur le point d’exploser du fait du sectarisme et de la main mise sur l’organisation de certains.
Quelques éléments de structuration interne et de fonctionnement d’une telle organisation :
Pour qu’une telle organisation existe, se développe et perdure, il convient qu’elle s’adapte aux conditions du combat de classe dans la société dans laquelle elle évolue afin de répondre aux besoins des travailleurs. Cela ne signifie pas rayer d’un trait de plume les acquis de l’histoire passée, mais de trouver des solutions organisationnelles nouvelles aux situations nouvelles qu’impose l’évolution du capitalisme et de l’État. Sans sombrer dans l’opportunisme et sans faire la « politique du chien crevé au fil de l’eau » comme disaient, je crois les camarades maoïstes des années 70.
Il ne s’agit pas, ici, de faire une proposition « exhaustive » d’une telle organisation, ce serait vain et prétentieux. Mais de poser quelques jalons et propositions organisationnels en cohérence avec ce qui précède.
1- Structuration générale de l’organisation :
La structure de base de la CNT est le syndicat d’industrie, hérité des premiers temps de la CGT française qui l’avait imaginé pour mieux répondre aux besoins des luttes et de la solidarité de classe face à l’évolution du capitalisme au début du XXème siècle. Ces syndicats d’industrie (locaux ou régionaux) regroupent des sections syndicales d’entreprises et se fédèrent, sur le plan horizontal, en UL, UD, UR et sur le plan vertical en fédérations d’industrie, Le tout constitue la Confédération. C’est, en général, le schéma organisationnel de l’ensemble des confédérations françaises.
Est-ce encore pertinent ? Face à l’éclatement du salariat (chômage de masse, éloignement du lieu de travail et du lieu de vie, intérim et temps partiels qui peuvent imposer des employeurs multiples avec des conventions collectives différentes etc…), face à des besoins de lutte nouveaux (pas toujours nouveaux d’ailleurs) et qu’une organisation comme la CNT se doit de prendre en compte (droit à un logement décent, écologie, féminisme, antifascisme, accès à la culture etc..), le syndicat d’industrie et les UL et UD sont-ils encore l’outil adéquat pour regrouper à la base et hors entreprise les travailleurs ?
Ne pourrait-on imaginer un nouveau type de syndicats de base qui regrouperaient sur un plan géographique plus large, outre les indispensables sections syndicales d’entreprises (SSE), des structures (commissions, groupes de luttes, collectifs etc..) permanentes ou temporaires (pour développer la solidarité face à une lutte dans une boite par exemple ou développer une implantation de la CNT dans un quartier..) ? Bien sûr, je le répète, les SSE devront être maintenues (et développées) ainsi que les fédérations d’industrie qui sont le garant d’une solidarité large (et de campagnes générales) pour les luttes corporatives.
Ces syndicats seraient certainement plus proches de ce que furent les Bourses du travail dans les débuts du syndicalisme français que des syndicats d’industrie actuels. Ils pourraient permettre d’être plus réactifs en cas de nécessité urgente que ne le permet la structuration actuelle souvent lourde et lente. Je pense d’ailleurs que les syndicats inter corporatifs actuels, qui sont souvent la structure de démarrage de la CNT dans une ville, en sont une bonne préfiguration. Je crois que la SAC suédoise et les IWW anglo-saxons fonctionnent sur un tel modèle.
2- Système de vote interne :
Dans un autre texte, j’ai fait une proposition de changement du mode de vote interne pour les syndicats de la CNT.
3- Les élections professionnelles :
J’ai déjà rédigé un texte de témoignage (sur mon expérience personnelle) sur ce sujet. Je n’y reviens donc pas, Je vais juste synthétiser ma position de la façon suivante :
J’aimerais qu’il soit possible de pratiquer efficacement le syndicalisme que je souhaite et de développer la CNT sans participer aux élections. Mais, ça, je sais que c’est impossible. En gros c’est vouloir le beurre et l’argent du beurre (avec le sourire de la crémière ou du crémier en prime). Donc, par défaut et élimination, je pense que la participation aux élections professionnelles et aux institutions représentatives du personnel qui en découle sont inévitables. À nous de prendre les précautions nécessaires pour éviter récupération et institutionnalisation.
4- Les permanents :
Sujet qui à mis le feu aux poudres ces dernières années à l’intérieur de la CNT. Faut-il ou ne faut-il pas avoir un/des permanent(s) (rémunérés s’entend) dans la CNT ?
Examinons d’abord les différents types de permanents (en gros) dont peut se doter une organisation militante (syndicale ou autre).
ñ les administratifs (ou techniques) ;
ñ les experts ;
ñ les « politiques ».
Les premiers regroupent essentiellement les secrétaires qui vont être chargées du courrier, de la saisie des tracts, voire de l’archivage etc.. Il s’agit d’employé(e)s de l’organisation dont le statut relève du Code du travail (bien que parfois il s’agisse d’ancien-ne-s militant-e-s). Je pense qu’à une époque où le niveau scolaire était beaucoup plus bas (voire inexistant) et les moyens techniques de saisie d’un texte de tract, par exemple, moins évolués qu’actuellement, ces secrétaires étaient indispensables aux militants de terrain. Est-ce encore le cas ? Pour l’essentiel, l’augmentation du niveau scolaire, l’informatique doivent permettre l’autonomie et l’auto-suffisance des militant-e-s. Et si nécessaire, l’entraide entre camarades doit être présente. Ces permanents -employés de l’organisation- ne me paraissent pas, dans l’état actuel des choses, indispensables au fonctionnement du syndicat. Mais, un syndicat doit pouvoir en décider autrement, pour archiver temporairement des documents par exemple.
Les seconds sont des militants ayant une ou des compétences techniques dans tel ou tel domaine (juridique, informatique, menuiserie etc..) qui peuvent être utiles à l’organisation, soit ponctuellement, soit plus durablement. Ces compétences sont souvent indispensables à l’action de l’organisation : le juridique par exemple. Donc, si les besoins deviennent très importants, un syndicat peut décider d’utiliser un tel expert, ponctuellement ou plus durablement, et si besoin est de le rémunérer car l’expert, même militant, n’a pas à être de sa poche à partir d’un certain volume de travail rendu et de temps passé pour la CNT.
Quand on parle de permanents, c’est souvent aux derniers que l’on pense : les permanents « politiques ». Dans nombre d’organisations de toute nature, ils représentent pour l’extérieur leur organisation et en sont souvent le/la porte-parole. Si leur mandat est théoriquement limité dans le temps, ils sont souvent permanents à vie (ou simplement pour très longtemps), sauf accident de parcours . Permanent devient alors un métier avec tout ce que cela comporte d’intérêts corporatistes. Je ne crois pas que de tels permanents aient leur place (surtout dans l’état actuel de développement de l’organisation) dans la CNT.
Alors faut-il (ou non) utiliser des permanents dans la CNT ? Posons-nous la question autrement : toutes les tâches nécessaires au bon fonctionnement de l’organisation sont-elles effectuées de façon satisfaisante ? Tous les dossiers juridiques indispensable à la défense d’un-e travailleur-se venu-e vers la CNT sont-ils montés de façon correcte, peut-on affirmer que le boulot administratif interne est toujours effectue correctement en heure et en temps ? Tout le monde le sait, la réponse est « non », et cela montre les limites du bénévolat des militant-e-s en dehors du temps de travail. Parce que fatigue à cause du boulot, parce que manque de temps à cause de la vie de famille etc..
Alors embaucher des permanents pour solutionner ce problème ? D’abord soyons honnêtes : des permanents il y en a toujours eu dans la CNT, mais des permanents « marrons » et inavoués : chômeurs, étudiants, retraités etc.. qui consacraient leurs loisirs à bosser bénévolement pour l’organisation. Et s’ils s’incrustaient et/ou faisaient mal leur boulot comment le leur dire, voire les mettre dehors ?
Alors, à tout prendre, si permanents il doit y avoir, je préfère mettre en place des permanents dûment estampillés, contrôlés et connus. Et avec un mandat bien défini : par exemple une durée de 5 ans maximum, non renouvelable. Il va de soi qu’un tel permanent est, à tout moment, sur un siège éjectable.