■ Jean Dautry, qui fut un proche d’André Prudhommeaux1 avant de glisser vers le stalinisme d’après-guerre, faisait ironiquement remarquer que, par éducation ou prédisposition de caractère, Simone Weil avait toujours tendance à s’excuser « de se sentir intellectuellement infiniment supérieure à ses interlocuteurs ». Théoricien complexe du socialisme libertaire, Gustav Landauer, qui ne doutait pas lui-même de ses propres talents et ca-pacités, ne céda pas à ce genre de prévention vis-à-vis de la communauté des anarchistes de son temps, sa fa-mille. Il se contenta de lui dire « sa » vérité. Sans s’excuser de l’avoir faite sienne et sans en édulcorer aucun effet perturbant. Avec juste l’espoir secret qu’il pourrait en convaincre quelques-uns, une phalange d’ « êtres libres, moralement forts et maîtres d’eux-mêmes » aspirant à sortir des « sentiers mentaux balisés » (Rocker) d’un anarchisme par trop rivé à deux écueils : le fétichisme de la guerre de classe et le dilettantisme. L’avantage de Landauer, c’était de croire qu’il était parvenu, sur le plan des idées, à résoudre, au mieux de ses aspirations intimes, des questions qui demeuraient, et demeurent encore, ouvertes, comme celle de l’utilisation de la violence. Sa force, c’était d’être capable de préférer la séparation à la confusion – séparation de ce qui rendait à ses yeux l’anarchie inefficiente ou impraticable. On vit, dans sa propension à guerroyer contre les forteresses de la doxa anarchiste de son temps, un côté donneur de leçons, une manie d’intellectuel. Et, au bout du compte, on ignora ses critiques, on caricatura ses propos, on le renvoya à ses lubies prophétiques et antihis-toriques. Sans même prendre en compte ce qu’il y avait à prendre, et c’est beaucoup, dans certaines de ses mises en garde et intuitions. Comme de juste, Landauer, anarchiste de l’envers, ne convainquit pas grand monde dans les coursives de l’anarchie de son temps. Et pas davantage par la suite, il faut l’admettre.
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