Pour une Fédération écosocialiste libertaire ?
Ce mois d’octobre restera dans les annales : des températures record, des personnes qui se baignent encore de la Normandie à la Côte d’Azur…Est-il bien raisonnable, aujourd’hui, d’oublier au fur et à mesure les sécheresses, les inondations, le dérèglement climatique récurrent ? Le monde de demain ne ressemblera pas au monde d’hier au regard des prévisions qui s’annoncent pour la fin de ce siècle, avec une augmentation de 2,5 degrés dans le monde et de 3,8 degrés en France si les émissions de gaz à effet de serre se maintiennent au même niveau qu’aujourd’hui. La situation est donc préoccupante pour ne pas dire grave.
Bien sûr, nous constatons tous et toutes que les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. La lutte des classes n’est donc pas terminée, loin de là. En France un peu plus de dix millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 1102 euros par mois (chiffres INSEE). Nous savons d’ores et déjà que les plus pauvres qui consomment moins (pas de vacances, pas d’avion, pas de piscine…), seront les plus impactés par le changement climatique. Les bobos et les plus fortunés continueront à vivre dans leurs résidences secondaires, sur la côte, dans les quartiers gentrifiés où leurs enfants ne fréquenteront pas à l’école publique les enfants de chômeurs et de prolos.
On continue à sous-estimer le rôle des forêts sur les températures et les précipitations ; et pourtant la déforestation de l’Amazonie continue à marche forcée pour les profits financiers de quelques-uns sous la houlette de Bolsonaro. Cette déforestation touche aussi à grande échelle des pays comme la Bolivie, le Paraguay et la République démocratique du Congo. Les transferts de chaleur et d’humidité entre la surface de la Terre et l’atmosphère ne sont pas pris en compte à leur juste valeur. Et c’est bien dommage.
Parallèlement jusqu’à la mi-septembre, nous avions en France entre deux à huit degrés au-dessus des normales de saison. C’est dire que la France n’échappe pas au changement climatique : canicules, inondations, tornades, érosion côtière…Et pour l’année 2022, les canicules ont été inédites par leur intensité et leur durée. Depuis la mi-octobre, les températures ont été en moyenne de 4 à 6 degrés Celsius supérieures aux normales de saison. Depuis la mi-mai, nous avons eu trois canicules en trois mois. Avec des milliers de décès à la clef et des incendies ravageurs…
La gauche française et les anarchistes, au-delà de la contestation de témoignage ne se font pas beaucoup entendre sur le sujet climatique, préférant surfer sur les luttes de pouvoir d’achat (indispensables) ou les grèves dans les raffineries qui rappellent à juste titre que la grève est une arme efficace et que la répartition des richesses est toujours à l’ordre du jour. Encore faut-il qu’une grève soit populaire et soutenue par l’opinion publique. Encore faut-il ne pas oublier l’urgence climatique au-delà du slogan.
Comment dans ces conditions sociales et climatiques peut-on parler d’un autre futur, celui qui nous tient tant à cœur ? Les plus anciens d’entre nous se sont opposés au nucléaire à ses débuts (Paluel, La Hague, Kalkar, Creys-Malville…) et ont participé à diverses mobilisations écolos. Puis, nous nous sommes concentrés et investis sur le seul domaine de la lutte des classes parce que nous avions l’impression qu’on pouvait changer les choses dans les entreprises, les écoles…abandonnant les réflexions de Bookchin et des précurseurs de l’écologie sociale et libertaire.
Nous aurions dû marcher sur nos deux jambes : l’écologie libertaire et la lutte des classes. Ce que l’on pourrait nommer « écosocialisme libertaire ». Nous avons certainement perdu du temps mais il n’est pas trop tard pour inverser la tendance. Les différents sinistres qui nous touchent à cause de ce dérèglement climatique sont de plus en plus nombreux et violents. Les catastrophes s’amoncellent sur l’humain et le vivant en général. Sur les cinquante dernières années, près de 70% des populations d’oiseaux, de mammifères, de reptiles, de poissons et d’amphibiens, ont chuté. La biodiversité décline inexorablement. Les chaînes alimentaires sont perturbées et menacent d’extinction certaines espèces. Au fur et à mesure que le climat va changer, les espèces vont bouger dans un premier temps puis disparaître à terme. Les scientifiques nous parlent de point de basculement. Les politiciens par calculs courtermistes et électoraux n’ont pas pris la mesure du désastre en cours ni de l’enjeu. Les anarchistes ont donc tout intérêt à se démarquer et proposer une alternative crédible. Nous sommes à l’écoute du monde et ne sommes pas cantonner dans une tour d’ivoire. Des milliers d’individus meurent, chaque année, à cause de la pollution atmosphérique en France (air pollué, particules fines…) ; d’autres meurent à cause de l’amiante depuis des décennies, d’autres encore de l’empoisonnement des terres aux pesticides…Nous ferons également un point sur les taux de benzène chez Exxon-mobil (Gravenchon, Port Jérôme) qui ne laissent rien augurer de bon pour la santé des travailleurs et des riverains.
Peut-on continuer à faire l’autruche dans le milieu libertaire, plus prompt à dénoncer le green washing (parfois à juste titre) que de proposer des actions visant à inverser la vapeur. Dénoncer les dangers du capitalisme vert est une chose, s’organiser pour poser la question de notre habitabilité sur la Terre en est une autre. Prendre des mesurettes pour protéger les espèces et les écosystèmes, c’est bien mais pas suffisant. Nous en sommes bientôt à la 27 ème COP. Et c’est un euphémisme de dire que les choses n’avancent pas beaucoup pour lutter contre le réchauffement climatique. Les lobbys s’affairent et nous trinquons.
Pour nous autres, la question climatique qui englobe la question écologique doit contenir une critique du capitalisme et c’est là que nous pouvons apporter notre pierre à la construction d’un rapport de force pour essayer de mettre un terme à l’effondrement en cours de la planète. A ce titre, les libertaires doivent rejoindre les mouvements de jeunesse qui s’impliquent dans les mobilisations pour le climat, en dehors des partis. L’écologie possède, selon nous, une dimension sociale et libertaire. La question écologique doit primer sur tous les autres combats même si tous les autres combats ne doivent pas être abandonnés : féminisme, fédéralisme, pacifisme, anarcho-syndicalisme, philosophie anarchiste…
L’alternative libertaire doit prendre en compte la transformation de nos modes de production et de consommation ainsi que les rapports de domination.
Les organisations anarchistes actuelles, arc-boutées sur l’histoire des vaincus risquent à nouveau de voir passer les trains s’ils n’investissent pas le champ écologique. L’anarchisme est-il condamné à perdre définitivement toute influence sur la société ? Nous ne le croyons pas car « Faudrait pas oublier que ça descend dans la rue, les anarchistes ».
Patoche (GLJD)