Elections européennes de juin 2024
Dans les cercles journalistiques, il est courant de citer comme précurseurs de l’Europe, Erasme, Victor Hugo, Briand etc. Mais à aucun moment nous n’entendons parler de Proudhon. Pourtant ce fut un partisan de l’Europe bien avant l’heure avec un programme d’avant-garde. Ce penseur entend assurer la liberté des individus et des entités collectives grâce à un contrat égalitaire qui les associe. Ce concept d’organisation s’oppose au centralisme, nationalisme et impérialisme.
Deux livres nous permettent de bien comprendre la pensée de Proudhon : De la capacité politique des classes ouvrières et Du principe fédératif.
Proudhon se prononce pour un fédéralisme intégral. A la base, ce dernier reposera sur l’autonomie des ateliers, aussi bien que des communes, les uns et les autres s’associant librement par des contrats réciproques et précis. En clair le fédéralisme abolira la double servitude qui pèse sur le citoyen et sur le travailleur – celle du gouvernement et celle du patron – en ne leur donnant plus d’autre maître qu’eux-mêmes.
Bookchin a emprunté beaucoup d’éléments de la pensée de Proudhon en la réactualisant et en y ajoutant l’écologie. Pour le bisontin : « La commune est par essence, comme l’homme, comme la famille, comme toute individualité et toute collectivité intelligente, morale et libre, un être souverain. En cette qualité la commune a le droit de se gouverner elle-même, de s’administrer, de s’imposer des taxes, de disposer de ses propriétés et de ses revenus, de créer pour sa jeunesse des écoles, d’y installer des professeurs, de faire sa police… ». La commune vue par Proudhon, part de l’individu, organise la vie sociale. Celle-ci est un centre de réflexion, de décision et d’exécution. Mais Proudhon va au-delà du cercle communal puisqu’il indique que la commune même libre n’existera que par son dynamisme et ses rapports dans une entité plus vaste, une confédération de régions autonomes.
Bien en avance sur son temps, Proudhon préconise la division de la France en douze régions indépendantes inspirées des anciennes provinces. Il dépasse de même le cadre de la France puisqu’il suppose un fédéralisme européen dans lequel les anciennes unités étatiques laisseraient la place aux confédérations. Il entrevoit le fédéralisme comme contrepoids aux nationalités et nationalismes.
Proudhon nous démontre que les mouvements nationalistes sont mis à profit par les nouvelles classes dirigeantes pour étouffer les revendications économiques et mieux conserver leur domination : « Ce que l’on appelle aujourd’hui rétablissement de la Pologne, de l’Italie, de la Hongrie, de l’Irlande, n’est autre chose, au fond, que la constitution unitaire de vastes territoires, sur le modèle des grandes puissances dont la centralisation pèse si lourdement sur les peuples ; c’est de l’imitation monarchique au profit de l’ambition démocratique ; ce n’est pas de la liberté, encore moins du progrès. Ceux qui parlent tant de rétablir ces unités nationales ont peu de goût pour les libertés individuelles. Le nationalisme est le prétexte dont ils se servent pour esquiver la révolution économique. »
Les mouvements nationalistes conduisent à constituer de nouveaux Etats plus centralisés et plus oppressifs que les précédents.
Face aux luttes entre partis et au sein de chacun d’entre eux, les libertaires font l’analyse que le scrutin dit universel isole les individus qui délèguent ainsi leurs pouvoirs à des mandataires n’ayant pas ou peu de comptes à rendre une fois élus. Proudhon affirme : « Il faut être aveugle pour ne pas voir que le peuple souverain, s’il doit gouverner par ses votes, devra discuter au moins autant que ses représentants ; que s’il discute, il commettra force sottises ; et s’il ne discute pas, il répondra à tort et à travers. D’ailleurs, le vote universel est l’expression parcellaire des citoyens, une somme, non la pensée collective, la résultante synthétique des éléments populaires. Le scrutin ne donne qu’un écho mort. » Il pense de même qu’au lieu d’organiser le gouvernement, il faudrait organiser la société et de nouvelles relations dans lesquelles l’aliénation, le vol politique, serait irréalisable. Il renchérit : « Sous un régime de centralisation administrative (…) où tandis que la bourgeoisie par ses majorités reste maîtresse du gouvernement, toute vie locale est refoulée, toute agitation facilement comprimée, sous un tel régime, dis-je, la classe travailleuse, parquée dans ses ateliers, est naturellement vouée au salariat. La liberté existe, mais dans la sphère de la société bourgeoise, cosmopolite comme ses capitaux : quant à la multitude elle a donné sa démission, non seulement politique, mais économique. »
Donc pour les anarchistes de 2024, c’est toujours le fédéralisme contre l’étatisme et l’abstention continue à être la règle car l’égalité politique ne sert pas à grand-chose s’il n’y a pas d’égalité économique et sociale. La critique économique s’éclaire par la critique sociale, les propositions mutuellistes s’éclairent par les théories fédéralistes. Qui dit socialisme dit fédération ou ne dit…rien (Proudhon).
En juin 2024, 37 listes seront en lice pour obtenir le maximum de suffrages car à la clef il y a des subventions et des postes de députés européens. Le thème du pouvoir d’achat semble la priorité des Français sondés. Etant donné les factures d’énergie qui arrivent ces jours-ci, cela ne nous étonne guère. Et en admettant que le RN obtienne 33% des suffrages exprimés (il est aujourd’hui crédité de 31%), il n’aurait finalement qu’un tiers d’à peine 50% de votants. Ce qui est loin d’une représentativité revendiquée. Et parmi les partis en concurrence, aucun ne réclame la révolution économique. C’est-à-dire qu’ils comptent n’apporter aucun changement aux travailleurs. L’abstention active des anarchistes reste donc d’actualité.
Micka (GLJD)