Hier, un de nos compagnons du Havre a mis en ligne un texte d’Emma Goldman intitulé l’individu, la société et l’Etat. Si intéressant soit ce texte, notamment au niveau de l’individu, il aurait été souhaitable d’introduire ce texte en mettant en avant les récentes recherches archéologiques et anthropologiques, notamment celles de David Graeber et David Wengrow. La vision d’Emma Goldman correspond à celle des évolutionnistes. Le libertaire Graeber contredit cet évolutionnisme à la Rousseau. Nous reviendrons sur le sujet. Comme quoi, les textes de nos anciens/anciennes sont toujours intéressants mais à remettre à la lueur des dernières recherches…Patoche (GLJD)
En ce qui concerne les actes de violence
Et maintenant j’arrive à cet aspect de mes opinions, sujet à la plus grande des incompréhensions de la part de l’opinion publique américaine. « Oui, parlons-en, n’avez-vous pas prôné la violence, le meurtre des têtes couronnées et des présidents ? » Qui a dit cela ? M’avez-vous entendu le dire, quelqu’un m’a-t-il entendu le dire ? Quelqu’un l’a t’il vu publié dans nos ouvrages ? Non, mais les journaux le disent ; donc cela doit être vrai. Oh, pour la vérité due à la chère opinion publique !
Je crois que l’anarchisme est la seule philosophie pacifique, la seule théorie des relations sociales qui respecte la vie humaine plus que tout autre chose. Je sais que quelques anarchistes ont commis des actes de violence, mis ce sont les terribles inégalités économiques et les grandes injustices politiques qui ont provoqué de tels actes, pas l’anarchisme. Chaque institution, aujourd’hui, repose sur la violence ; l’air même que nous respirons en est saturé. Aussi longtemps qu’une telle situation existera, nous pourrions tout aussi bien essayer d’arrêter les chutes du Niagara que d’espérer en finir avec la violence. J’ai déjà dit que les pays qui ont adopté quelques mesure en faveur de la liberté n’ont été victimes que de peu d’actes de violence, voire d’aucun. Quelle est la morale ? Simplement cela : aucun acte commis par un anarchiste ne l’a été pour un intérêt personnel, autoglorification ou profit, mais comme une protestation délibérée contre des mesures répressives, arbitraires et tyranniques venus d’au-dessus.
Le président Carnot, en France, a été tué par Caserio en réponse au refus de Carnot de commuer la peine de mort de Vaillant, grâce pour laquelle a plaidé tout le monde littéraire scientifique et humanitaire français.
Bresci s’est rendu en Italie, sur ses propres fonds, gagnés dans les usines de tissage de soie de Paterson, pour appeler le roi Humbert à la barre des tribunaux pour avoir donné l’ordre de tirer sur des femmes et des enfants sans défense durant une émeute du pain. Angelino a exécuté le premier ministre Canovas pour avoir ressuscité l’Inquisition espagnole à la prison de Montjuich. Alexandre Berkman a attenté à la vie de Henry C. Frick pendant la grève de Homestead, seulement par sympathie envers les onze grévistes tués par les agents de Pinkerton et les veuves et les enfants expulsés par Frick de leurs misérables petites maisons possédées par Mr. Carnegie.
Tous ces hommes ont fait savoir leurs raisons qui les a conduit à ces actes au monde entier dans des déclarations orales ou écrites, démontrant que les pressions politiques et économiques insupportables, la souffrance et le désespoir de leurs semblables, des femmes et des enfants, étaient à l’origine de leurs actes, et non la philosophie de l’anarchisme. Ils l’ont fait ouvertement, avec franchise et prêts à en assumer les conséquences, à donner leur propre vie.
En diagnostiquant la vraie nature de nos maux sociaux, je ne peux pas condamner ceux qui, sans aucune faute de leur part, souffrent d’une maladie répandue.
Je ne crois pas que ces actes peuvent, ou même espèrent engendrer une reconstruction sociale. Cela ne peut se faire, premièrement, que grâce à une vaste et large éducation concernant la place de l’homme dans la société et ses relations avec ses semblables ; et, deuxièmement, à travers l’exemple. Je pense, par exemple, à une vérité reconnue et vécue, plutôt que seulement théorisée. Enfin, il existe la revendication économique des masses, consciente, intelligente, organisée, l’arme la plus puissante, à travers l’action directe et la grève générale.
L’affirmation habituelle selon laquelle les anarchistes sont opposés à l’organisation et qu’ils sont donc partisans du chaos, est absolument sans fondement. Certes, nous ne croyons pas dans l’aspect obligatoire, arbitraire, de l’organisation qui rassemblerait, par coercition, des personnes aux goûts et intérêts contradictoires dans un même groupe. Les anarchistes, non seulement ne s’opposent pas, mais croient en une organisation qui résulte du regroupement d’intérêts communs, fondée sur l’adhésion volontaire, comme étant la seule base possible à toute vie sociale.
C’est l’harmonie d’une croissance naturelle qui produit les variétés de formes et de couleur — l’ensemble de ce que nous admirons dans une fleur. De manière analogique, la perfection de l’harmonie sociale — que représente l’anarchisme — résultera de l’activité organisée des êtres humains libres, dotés d’un esprit de solidarité. En réalité, seul l’anarchisme rend possible l’organisation anti-autoritaire puisqu’il abolit l’antagonisme actuel entre individus et classes.
Emma Goldman