Le piège de la défense de l’école publique ?
Guizot, précurseur de l’école comme nécessité économique et obligation sociale, a une vision particulière de celle-ci. Pour lui, l’école doit instruire à des fins politiques : « Car l’instruction primaire universelle est désormais une des garanties de l’ordre et de la stabilité sociale ». S’il œuvre à obliger chaque commune en 1833 à avoir au moins une école primaire, publique ou privée, et chaque département à ouvrir une école normale d’instituteurs, c’est pour affermir le régime gouvernemental en place.
Jules Ferry ne sera pas si éloigné que cela de Guizot quand il voit en l’école le creuset de l’unité nationale et la garante de l’ordre républicain et de la nouvelle démocratie bourgeoise instaurée en 1879.
Guizot et Ferry sont donc en totale opposition avec leur prédécesseur, Condorcet, qui lui, récuse l’utilisation de l’école comme outil politique. Les 20 et 21 avril 1792, ce philosophe et mathématicien présente à l’Assemblée un rapport sur l’instruction publique. Si Condorcet désire donner à l’école un rôle d’instruction, c’est pour préciser aussitôt qu’il serait coupable de vouloir s’emparer de l’imagination des enfants, « même en faveur de ce au fond de notre conscience nous croyons être la vérité ».
Les libertaires se situent dans la lignée de Condorcet quand ils refusent tout embrigadement de l’enfant (cf le livre de Patrice Rannou, Libertaires et Education).
Tout au long de la Troisième République, nous assistons à l’émergence de très bons élèves qui montrent que l’on peut réussir même si l’on est issu de milieux modestes. Les grandes écoles permettent la réussite par le mérite. Mais ces enfants du peuple qui appartiennent à l’élite ne sont que la portion congrue de celle-ci. La reproduction des classes sociales ne s’en trouve guère modifiée mais au moins cette ascension sociale permet d’assurer une caution démocratique à un système foncièrement inégalitaire et vicié dès l’origine car en dehors d’une éducation polytechnique.
Nous nous retrouvons de nos jours avec cette même problématique : l’école doit-elle servir les intérêts économiques et politiques d’un système dit démocratique et l’ascenseur social doit-il desservir un plus grand nombre de personnes. Doit-on de même séparer les activités manuelles et intellectuelles ?
A cette problématique vient se greffer le retour du religieux qui revient au galop et tente par l’intermédiaire de ses réseaux de remettre en cause le principe de l’égalité en attaquant de manière frontale tous ceux et toutes celles qui essaient de faire vivre une pédagogie active et émancipatrice au sein de l’école publique.
De nombreux enseignants au début du XXème siècle ont choisi la défense de la laïcité et de l’école publique contre les cléricaux, en précisant leur choix : il sera plus aisé d’intervenir plus tard au sein de l’institution étatique pour peser dans le bon sens quand l’idéologie cléricale aura été remisée au placard. C’était sans compter sur le retour du balancier et un nouvel équilibre semble malheureusement se dessiner.
Pour l’heure, les charges tous azimuts contre l’école publique, la taxant de tous les maux, révèlent une volonté de revanche de la clique cléricale qui souhaiterait nous renvoyer à l’ère Pétain tout en se situant dans les pas de l’identité française chère à Maurras.
Le piège tendu serait une défense inconditionnelle de l’école publique en essayant de maintenir le statu quo. Aux pédagogues de réinventer des espaces d’échanges, des expériences servant de laboratoires…sans perdre de vue la défense du service public et en maintenant une perspective d’émancipation individuelle et collective pour une meilleure justice sociale.