Défense des services publics – Gestion directe – Anarchisme

Mer Dufy

Défense des services publics

En réfléchissant sur les services publics, nous sommes conscients de la vision donnée par ceux-ci  dans  certains secteurs du mouvement libertaire et de la gauche radicale, uniquement en tant qu’activités contrôlées par l’État et ne relevant pas de l’intérêt social des travailleurs. C’est pourquoi nous voulons partager notre position à ce sujet et créer des ponts autour de celle-ci, afin de jeter les bases d’un travail ou d’une perspective commune révolutionnaire.

Services publics

Nous vivons actuellement le développement d’un projet capitaliste qui a débuté dans les années 80 (aux États-Unis et en Grande-Bretagne), introduit progressivement en France et dans le reste de l’UE au début des années 90 et destiné à convertir des secteurs vitaux de la société. La société française, les services publics que l’État gère aujourd’hui et où ils pouvaient auparavant à peine s’étendre, sur un nouveau marché à partir duquel  ils continuent d’une part à faire des bénéfices et d’autre part à devenir des proies pour le privé.

Le coût de cette tendance à la privatisation du public se traduit par une dégradation continue des conditions de vie des travailleurs, qui se traduit par une marchandisation du bien-être social.

Les secteurs confiés à des entreprises privées sont de plus en plus visibles. En septembre 2004, France Télécom devient une entreprise privée. Le récent jugement rendu à son encontre concernant les suicides au travail a été retentissant. Les secteurs privatisés subissent une souffrance au travail, autrefois inimaginable. Dans les transports publics, hausse des prix abusive, moins de personnel, perte de qualité de service et de sécurité (on l’a vu récemment avec le droit de retrait des cheminots…) … Des pans entiers de transports sont livrés au secteur privé qui entre en concurrence pour mieux casser le public. Concernant l’énergie, l’Etat entend privatiser les bénéfices et nationaliser les pertes : nucléaire par exemple. Augmentation des dépenses de santé, les patients  étant dirigés de plus en plus vers des structures privées, réduction des investissements, sabotage des urgences et de la psychiatrie depuis des années, mises à pied de contestataires … Enseignement avec financement de la maternelle privée par l’Etat, collèges publics ghettos avec une sectorisation scolaire qui profite aux nantis et à ceux qui connaissent les filières et  maîtrisent les options, d’où accentuation du recrutement dans le privé déjà pourtant bien loti, idéologie identitaire et autoritaire des instances ministérielles, l’utilisation des neurosciences qui servent avant tout les écoles privées hors contrats tant vantées par SOS Education, frais de scolarité plus élevés dans les universités et les frais de scolarité professionnels … Le service d’approvisionnement et d’assainissement, l’eau, le bien social le plus fondamental prêté à l’essor privé. Et en général, il n’y a pas de dissimulation sur la réduction des budgets des services publics. Pendant ce temps, des contrats et des privilèges sont accordés à des sociétés privées, ce qui constitue un transfert intégral du soutien des services publics au secteur privé. La concurrence du secteur postal s’est passée dans les années 2000…et depuis la gestion managériale du personnel ne fait pas que des heureux. En octobre 2016, les experts des comités d’hygiène et de sécurité saisissent le gouvernement français concernant la situation de La Poste (qu’ils jugent préoccupante), et les neuf suicides et cinq tentatives qui seraient liés selon eux à la politique menée par l’entreprise…

 

Il convient de souligner que les services publics ne sont pas seulement des activités contrôlées par l’État et encore moins en dehors de l’intérêt des travailleurs. Nous comprenons le secteur public comme ce qui a des qualités pour ne pas être une marchandise ou que sa gestion ne repose pas sur des critères de marché. Ils sont donc considérés comme un bien social qui doit avoir un caractère universel. De plus, ces services seraient également nécessaires dans un scénario post-révolutionnaire (avec les changements évidents de gestion, entre nos mains, les travailleurs).

Pour défendre le besoin du public pour ces services, nous devons considérer:

 

1.- Qu’entendons-nous par cela? Un droit public est le contraire d’un privilège, et si le capitalisme se caractérise par quelque chose, c’est par la concentration des privilèges entre les mains de la classe de propriétaires et de patrons. Ainsi, lorsque les citoyens progressent et parviennent à garantir le droit d’accéder à un service pour tous, nous nous trouvons dans une sphère de la vie qui rompt avec la logique de marché du capital.

Il convient également de noter que la reconnaissance d’un droit par une loi ne signifie pas la réalisation immédiate de celui-ci, mais peut rester symbolique. C’est pourquoi la seule chose qui nous assure que ce droit deviendra effectif, c’est la force et la capacité de l’imposer par l’organisation et la lutte. Ainsi, c’est la confiance dans la capacité des peuples à organiser leur vie qui fait respecter ce droit public. C’est donc la lutte contre le capital pour un besoin fondamental.

2.- Compte tenu de la privatisation des capitalistes à travers l’État, que proposons-nous, les anarchistes, comme alternative à la lutte? Pouvons-nous nous contenter de la simple défense nostalgique de l’État-providence ou voulons-nous plus que cela? Pour répondre à ces questions, il est essentiel de réfléchir au concept de gestion autonome et de clarifier ses possibilités en tant que pratique.

 

Gestion directe – Autogestion

C’est la gestion coopérative d’une communauté, à laquelle tous ses membres participent librement, de manière égale et indépendante des facteurs externes. Il favorise la participation à une activité des personnes qui y participent, sans délégation à d’autres personnes et sans relation d’autorité entre les participants.

En ce sens, il est important de fonder une situation stratégique d’autogestion sur toute forme de capitalisme. Il est également nécessaire de mettre l’accent sur la participation et le fonctionnement des membres qui s’organisent dans ces projets et processus: démocratie directe. Bien qu’il soit évident que, dans le processus de lutte et comme tactique, nous puissions accroître la participation des travailleurs et leur permettre de contrôler ou de pratiquer certaines formes d’autogestion dans des entreprises récupérées, comme en Argentine après la crise de 2001-2002, cette situation à long terme est insoutenable en soi. Par conséquent, pour passer du stade de l’autogestion à la socialisation, c’est-à-dire l’élimination des relations de marché capitalistes et du contrôle de l’État, il est nécessaire d’avoir un projet politico-social global, ce qui implique nécessairement de penser à un processus de révolution sociale. .

Nous pensons que certains termes confondus à tort avec certaines pratiques d’économie « alternative » au sein de la société capitaliste doivent être clarifiés. Précis, le terme est utilisé indifféremment comme synonyme de production artisanale, de micro-entreprise ou de coopérative, et d’autofinancement.

Parler d’autogestion est indissociable de l’attaque des bases mêmes du système: dans leurs relations de propriété et dans les relations hiérarchiques issues de l’organisation de la société de classes. Pour nous, l’autogestion ne peut être suffisante pour constituer un sous-modèle coexistant avec la production capitaliste et participant, directement ou indirectement, à ses lois. Par conséquent, l’autogestion ne prend tout son sens qu’en termes de processus révolutionnaire, de réappropriation de l’ensemble du capital social sur de nouvelles bases socialistes et libertaires. Gardant cela à l’esprit, nous pensons qu’il ne s’agit pas de la manière dont nous avons fondé les nouveaux services publics, mais de la manière dont nous aspirons à les réorganiser, c’est-à-dire de la capacité des travailleurs et des utilisateurs de décider de quoi et comment faire, dans le cadre d’un projet d’expropriation sociale.

Notre concept d’autogestion, qui reflète le sens originel donné par les syndicalistes révolutionnaires et les classiques de l’anarchisme, nous permet de penser à une société moderne, complexe et sophistiquée. Cela émane du conflit de classe provoqué par la société industrielle en ce qui concerne le contrôle de la production. Ce modèle, qui a été exprimé de manière rudimentaire dans les collectivités urbaines et rurales d’Espagne en 1936 ou dans les conseils ouvriers ou les soviets russes de 1917, n’est pas un retour en arrière, mais un dépassement révolutionnaire de la société capitaliste et de l’Etat.

 

Ainsi, la socialisation implique une question de finalités, une question stratégique et l’autogestion, une question tactique, une question de moyens. Que les travailleurs eux-mêmes prennent en charge leurs affaires implique la construction d’une expérience organisationnelle qui configure, même si ce n’est que initialement, les fondements de la nouvelle société à laquelle nous aspirons.

Il est donc nécessaire que les mouvements sociaux pensent à l’autogestion de la propriété que le commerce et l’État possèdent aujourd’hui; Il est nécessaire de comprendre que, même si la propriété privée existe, nous ne pouvons pas la concurrencer, car nous avons les ressources, les moyens et l’infrastructure, c’est-à-dire le capital, contre nous. La même chose se produit aujourd’hui dans les industries autogérées en Argentine, expériences précieuses qui nous remplissent d’enthousiasme révolutionnaire, mais cela ne se produira pas davantage si, au lieu de l’appropriation des seules entreprises brisées, nous ne commençons pas à penser à l’expropriation des entreprises « saines » transformant l’autogestion en un véritable bélier contre le capitalisme, au-delà d’une simple alternative de survie, et vers la socialisation des moyens de production.

 

Défense du public et autre futur

Lorsque nous parlons de détruire des institutions existantes, nous parlons généralement de celles qui exercent une fonction parasitaire et répressive (police, armée, prisons, magistrature …), mais nous ne négligeons pas le fait que d’autres institutions, censées assurer la vie de l’humanité ne peut être détruite efficacement si elle n’est pas remplacée par une meilleure chose.

 

L’échange et la distribution de produits, communications et tous services publics exercés par l’État ou par des particuliers, ont été organisés de manière à servir les véritables intérêts de la population. Nous ne pouvons pas les désorganiser (et la population intéressée ne le permettrait pas non plus), mais nous devons les organiser mieux. Cela ne peut pas être fait en un jour, et nous n’avons pas actuellement la capacité de le faire. Nous sommes conscients que la vie sociale n’admet pas d’interruptions et nous voulons tous vivre le jour de la révolution, mais aussi le lendemain et le surlendemain.

 

Il est donc nécessaire pour le développement d’un projet révolutionnaire que les moyens soient compatibles avec les objectifs visés et, dans notre cas, l’autogestion, en tant que Nord révolutionnaire, est à son tour une méthode appliquée correctement en ce qui concerne les services publics.

La privatisation, l’un des piliers de l’impudeur néolibérale, repose sur l’hypothèse que le marché est le meilleur distributeur de ressources et qu’il n’existe pas de mécanisme plus efficace pour que les services et la production fonctionnent mieux que par le biais de la propriété privée. Les conséquences des privatisations (qui, paradoxalement, représentent une véritable politique d’État) sont supportées par les citoyens eux-mêmes, avec des services de plus en plus coûteux et une dégradation considérable de leur qualité.

 

Mais est-il possible de s’opposer aux privatisations sans s’opposer à une sortie révolutionnaire et libertaire?

La social-démocratie et le reste des partis marxistes (PCF et trotskystes notamment), étatistes par nature, croient et défendent comme un projet que les services et la propriété soient gérés par l’État, après tout, s’attendent à ce que leur tour arrive bientôt, être à la tête de l’État avec ses bureaucrates qui le dirigent théoriquement dans l’intérêt du peuple. Pour le reste, ils ont une parfaite cohérence entre leurs moyens et leurs fins, entre leur tactique et leur stratégie. Mais nous sommes dans une autre logique.

De l’autre côté, les libertaires se voient face à un dilemme d’une importance capitale, se demandant quelle relation établir entre propriété et gestion. Pour résoudre cette question, il est nécessaire d’avoir une vision réaliste de ce qu’elle sera concrètement, et les slogans ne valent pas la peine, la question de la propriété et de l’administration des services dans la société révolutionnaire: la propriété serait-elle collective et les travailleurs et les utilisateurs parviendraient-ils à gérer en fonction des besoins de la communauté? Les possibilités seront certainement plus nombreuses, mais il est urgent de les essayer afin de tracer la voie à suivre pour notre projet final.

Et c’est là que nous avons la clé pour commencer à réfléchir à des solutions de rechange pour résoudre ce problème. C’est la raison pour laquelle nous pensons à l’autogestion avec un sens très précis: la gestion des services publics ne doit pas tomber entre les mains des bureaucrates, des technocrates de l’État ou du secteur privé, mais plutôt des personnes impliquées dans ces services. De cette manière, nous passons du déni (pas aux privatisations) à l’affirmation (gestion populaire des services). Cela soulève en termes réels notre lutte contre le privé (qui achète nos services) et contre l’État (qui les vend). Ainsi, notre lutte contre la privatisation devient une lutte contre l’État et le capital, donnant à la population la possibilité de décider des problèmes qui nous concernent le plus directement.

Et qu’advient-il des ressources nécessaires pour garantir le financement optimal des services publics? Celles-ci doivent être réclamées aux caisses de l’État, car il s’agit de l’espace dans lequel sont concentrés les capitaux produits et accumulés socialement (via la perception des impôts, par exemple), un fait que nous ne pouvons et ne devons pas ignorer. En ce sens, il ne s’agit pas de «légitimer» l’État, mais de se réapproprier socialement les ressources que les classes dirigeantes nous spolient et aliènent et que l’État concentre, afin qu’elles puissent être utilisées selon l’autodétermination populaire.

Parallèlement à cela, il est important de préciser que notre alternative implique que nous sommes en mesure de nous projeter bien au-delà des services publics et que nous pouvons travailler sur une réponse révolutionnaire de l’ensemble de la société, qui relie les différents secteurs économiques et sociaux, et qui associe les luttes du présent aux conquêtes de demain.

Pour conclure, nous dirons que la position que nous comprenons dans la perspective d’une émancipation sociale et révolutionnaire passe par l’opposition frontale à tous les processus de privatisation en cours, dans la mesure où ils contribuent à la dégradation de nos conditions de vie. Dans cette perspective, nous pensons que notre première tâche consiste à défendre les services publics dans un objectif clair: nous former, travailleurs et utilisateurs, pour nous permettre de prendre le contrôle et la gestion.

Nous valorisons, en tant que base à développer par les combattants sociaux actuels et pour que les travailleurs puissent un jour gérer les services publics, ou pour ne pas nous éloigner de cet objectif:

 

1.- Défendre des services publics, universels, gratuits et de qualité, en empêchant leur gestion par des mains privées, ce qui implique leur commercialisation et leur élitisme.

2.- Renforcer la mobilisation et l’organisation sociale autour des services publics pour renforcer la force de leurs syndicats et associations d’utilisateurs, en soutenant également le progrès organisationnel dans le reste des secteurs économiques et sociaux du pays.

3.- Former les travailleurs et les utilisateurs afin de faire pression sur l’État pour les améliorer et pour approfondir autant que possible notre orientation en matière de contrôle et de gestion, une pratique qui permettra leur socialisation, c’est-à-dire leur autogestion par la communauté et les travailleurs à l’avenir .

 

Pour des services publics autogérés, car l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.

C’est dire que dans un premier temps, il faut se mobiliser et utiliser aussi la rue pour que stoppent  les privatisations en cours.

 

Micka (GLJD)