Le combat pour une écologie sociale et libertaire devient de par la force des choses notre priorité

Toronto IWW

Le combat pour une écologie sociale et libertaire devient de par la force des choses notre priorité. Pour autant, nous ne devons pas baisser la garde sur le plan de la lutte de classes en ces temps de pandémie où le système capitaliste, prompt à s’adapter voire se régénérer, se présente toujours comme la seule alternative crédible et possible pour les travailleurs.

Ce qui est intéressant avec la crise sanitaire due au Covid 19, c’est qu’on a vu de multiples démissions, reconversions, suite à cette pandémie mondiale qui a joué sur les peurs et les angoisses ressenties par les gens ordinaires. Bien que beaucoup aient accepté de continuer à travailler avec peu de protection (visières, plexiglas…), ceux de la première ligne et de la seconde, modifiant leur vie pour faire face à un virus mortel, certains ont décidé de tout plaquer. L’exemple des salariés de l’hôtellerie et de la restauration est significatif à cet égard. Certaines sources indiquent que 237 000 employés ont fui ce secteur d’activité sur un an. Cet « exode » de travailleurs  n’est pas propre à la France. Cette tendance commence d’ailleurs à inquiéter les spécialistes du marché du travail. Avant la Covid, les travailleurs qui avaient la tête dans le guidon ne se posaient guère de questions. La peur du chômage, les habitudes…pesaient lourdement sur les gens. A l’arrêt, les travailleurs ont eu le temps de réfléchir à leur vie et ont pris conscience que ce n’était pas une vie : contraintes terribles, flexibilité à outrance, salaires maigrichons, autorité de petits patrons…Ils ont donc décidé de se poser et voir ailleurs. D’autres travailleurs qui ont pu télé-travailler traînent des pieds pour reprendre le chemin du bureau. Si des inconvénients (surcharge de travail, isolement…) ont pesé dans certains cas, d’autres télétravailleurs ont pris du recul et apprécié une nouvelle liberté acquise. Et ça râle dans les couloirs.

Il est encore trop tôt pour mesurer, analyser et comprendre les conséquences à long terme de la pandémie et des mesures politiques et scientifiques qui accompagnent sa « gestion », notamment en ce qui concerne l’économie, le fonctionnement de la société et les mentalités. Mais des tendances se dessinent. Une somme multiple et massive d’attitudes individuelles, liées les unes aux autres, générées par une situation commune semble amplifier un rejet qui, s’il n’est pas collectif, n’en demeure pas moins inquiétant pour le système. C’est d’abord un moment de rupture, puis un moment positif de pause, qui implique nécessairement une réflexion sur soi, sur la place de l’individu social dans la machine. Alors que la reproduction et la reconfiguration du capitalisme se poursuit, cette rupture est vouée à l’échec si elle ne trouve pas de débouchés et de réponses collectives. Pour qu’une alternative émerge, il faudrait qu’une réponse d’ensemble se dessine qui ouvrirait la voie à un projet social de réorganisation du monde, vers une autre vie, vers un autre sens. Un autre futur à inventer, en tenant compte de l’urgence climatique, la biodiversité…et les rapports entre l’homme et la nature.

L’époque que nous vivons implique le rejet de l’organisation sociale actuelle et ses conséquences destructrices pour l’être humain. Car la pandémie a mis à nu l’absurdité de la normalité, du quotidien, bref du système qui produit la catastrophe et un avenir sans issue. L’activité routinière de la plupart des travailleurs est devenue clairement incohérente et stérile face à la force de la pandémie ; les repères rassurants du salariat et de ses institutions se sont révélés fragiles, voire impuissants. Les activités initialement considérées au départ comme « essentielles » ont été rapidement stigmatisées, et même pointées du doigt comme les soignants par exemple.

La force du capitalisme, l’énergie de sa reproduction peuvent vaincre les actes individuels de rejet. Même lorsqu’ils sont massifs et généralisés, lorsqu’ils peuvent perturber tel ou tel secteur de son fonctionnement. Cela dit, un phénomène comme la démission dans certains secteurs économiques ne peut être ignoré, sous-estimé, pour ce qu’il est et pour ce qu’il exprime. D’autant que nombre de salariés ont peur d’être déclassés et de se retrouver au chômage.

Finalement, c’est une réponse individuelle à la passivité collective, c’est aussi un rejet conscient de l’aliénation, comme une affirmation embryonnaire d’un désir d’une vie différente. Les défis posés par le travail salarié pendant cette pandémie mondiale s’ajoutent à une profonde crise de confiance dans le système politique « représentatif » et ses élites. Les guerres, les destructions, les catastrophes écologiques en cascade, aux conséquences de plus en plus tragiques, qui menacent la continuité des conditions de vie humaine sur terre, renforcent la conscience de rejet. A l’ère du capitalisme mondialisé, il faut beaucoup d’aliénation, de déni de réalité, pour continuer à accepter la vie telle qu’elle nous est proposée, avec une confiance aveugle en une « science » qui la justifie. Les valeurs de « progrès », « croissance » et « avenir » sont réduites à leur mesure quantitative, monétaire, et apparaissent désormais comme l’origine du désastre planétaire.

La voix autoritaire de Macron est prompte à donner une réponse rassurante et confortable pour ces emplois qui ne prennent plus preneurs. Il s’agit  d’emplois mal payés et mal perçus et d’emplois qui n’offrent que des perspectives de développement médiocres. Il suffit donc de défiscaliser les pourboires réglés par carte bancaire. Il fallait y penser. Réglable, donc mieux, réparable. Ou le principe inoxydable de la réforme, du en même temps. Dans la foulée, les prêtres de cette religion appelée « économie », perplexes devant le mystère de la baisse du chômage alors que les chômeurs disparaissent et que les capitalistes peinent à trouver des travailleurs, des bras et des cerveaux à exploiter, ils découvrent que l’explication réside précisément dans « la grande résignation ». Un phénomène qui risque de modifier les rapports de force entre le capital et le travail. A défaut d’imagination, les spécialistes proposent de « former » les ouvriers. Mais la question « dans quelle mesure » continue de hanter les gens. C’est exact. Sommes-nous arrivés au point où « mieux se former,  avec un meilleur salaire »,  suffirait  pour accepter de continuer en zombies ? Tout cela pour revenir à la « normalité rayonnante » qui n’est autre que celle de la catastrophe permanente. Ou serions-nous face à une option radicalement différente, celle qui inquiète les prêtres économistes en question, celle de revendiquer la dignité, la réappropriation de nos vies, le sens de l’humain ? Finalement, sommes-nous à un tournant, ou du moins est-ce un premier signe d’une rupture avec le système, l’expression du désir de changer de vie ?

Cet été, nous avons rencontrés des libertaires en Bretagne. Ils s’investissent dans le champ associatif et maillent le territoire d’associations avec des expériences concrètes : bars associatifs, cinémas, développement du Bio…le tout avec l’objectif de créer du lien social, de faire la nique aux grandes surfaces au niveau des fruits, légumes, viande, produits laitiers, miel, huîtres…D’autres organisent de manière horizontale des réseaux de Kitesurf, surf…et se retrouvent sur les plages afin de profiter de moments de liberté au gré du vent et des marées. Un compagnon m’expliquait qu’auparavant quand il a commencé à surfer, l’eau dans le Morbihan était à 6 degrés en janvier. Maintenant, elle est à 9. Les jeunes le voient bien, ce sont des exemples concrets. Les compagnons, au-delà des étiquettes mais fermes sur les principes, militent dans les domaines éducatifs, sportifs, culturels…sans compter l’écologie et la nourriture Bio.

On constate maintenant que des personnes n’hésitent plus à se reconvertir. Des enseignants par exemple qui bénéficient pourtant de la « sécurité de l’emploi » changent de métier…L’un est devenu maraîcher Bio, l’autre artisan boulanger, un autre intermittent du spectacle…et si le pourcentage de démissionnaires est faible, il est significatif et c’est un signe des temps, que quelque chose se passe dans le monde du travail. Les jeunes que nous avons rencontrés ne veulent plus se faire exploiter et faire n’importe quoi. L’utilité sociale prend sa place dans leurs recherches d’emploi. Une réflexion s’instaure aussi sur les énergies et certains pensent déjà à s’affranchir des fournisseurs patentés. Ce qui permettrait de faire de substantielles économies au regard des augmentations en cours et à venir pour le gaz et l’électricité…

Patoche (GLJD)