
Le Laboratoire Confédéral d’Expérimentation
Réseaux libertaires
A l’heure où Trump attaque les scientifiques, que l’obscurantisme reprend des couleurs, il est temps de se souvenir que les militants de la CNT dans l’Espagne révolutionnaire ne négligeaient nullement les sciences, bien au contraire, et que l’expérimentation avait toute sa place…
En novembre 2023, la Mairie de Masnou (Barcelone) a organisé une exposition sur le Laboratoire Confédéral d’Expérimentations, une entité de la CNT dédiée à la recherche pendant la Guerre Civile et qui, malgré son importance, reste largement méconnue. Nous avons extrait de la brochure de l’exposition les informations nécessaires pour comprendre de quoi il s’agissait et quels étaient ses objectifs.
En 1937, en pleine guerre civile espagnole, le Laboratoire d’expérimentation confédéral fut inauguré à El Masnou, dans la Casa del Marqués, promu par la CNT et aspirant à devenir l’un des laboratoires les plus importants et les plus modernes du monde. Il était composé de scientifiques de renom et comportait des sections de météorologie, de climatologie, de géologie, d’agriculture, de chimie, de physique, de mécanique, d’œnologie, de microbiologie, de médecine vétérinaire et d’aviculture. Pendant la guerre, il fut bombardé puis tomba en désuétude. Au milieu de la guerre, des initiatives sociales, technologiques, scientifiques et culturelles ont convergé à El Masnou, qui ensemble nous donnent un tableau complet de cette époque révolutionnaire : le Laboratoire Confédéral d’Expérimentation, l’École du Travail et des Études Secondaires, les entreprises collectivisées et les refuges pour réfugiés, entre autres.
Le fils du marquis d’El Masnou a offert la maison de son père à la mairie d’El Masnou en août 1936 pour éviter qu’elle ne soit saisie par la force. La Mairie a cédé la propriété à la CNT. Dans un document, il est expliqué : « Un laboratoire technique d’études et d’expérimentations sera installé, qui sera étendu en temps voulu aux écoles industrielles pour ouvriers (de préférence celles de Masnou). »
Lluís Vié Casanovas, ingénieur et secrétaire de la Section des Ingénieurs et Techniciens du Syndicat Unique de l’Éducation et des Professions Libérales, a choisi la Casa del Marqués parce qu’elle était adaptée pour abriter les différents laboratoires qui composeraient le Laboratoire, en raison de sa proximité avec Barcelone, de son accès facile par train et par route, et parce qu’elle offrait un environnement qui permettait d’étudier en toute détente et en harmonie avec la nature. Lluís Vié Casanovas, responsable du projet et directeur de la CNT, a déclaré : « Nous disposons de techniciens spécialisés dans les différentes branches de la science, des hommes qui non seulement se consacrent avec enthousiasme à la recherche, mais qui ont également une vision très claire du rôle social que la CNT souhaite donner à la science. Ils œuvrent pour la révolution, et celle-ci les récompensera par la gloire et la gratitude du peuple. »
Le Laboratoire était un centre de recherche qui visait à mettre la science au service du peuple, à développer ses propres technologies et à offrir à tous, quelle que soit leur classe sociale, la possibilité d’apprendre et de mettre en pratique des idées précieuses pour l’humanité. « Notre proposition est de supprimer l’actuelle formation technique des travailleurs et la mettre à un niveau de plus en plus élevé, afin qu’ils ne trouvent pas le chemin vers la science bloqué comme à l’époque bourgeoise, où elle était réservée à une élite », a déclaré Lluís Vié.
Les installations furent inaugurées le 2 septembre 1937. Dans une brève présentation, le scientifique Alberto Carsí déclara : « Notre idéal a été de construire un laboratoire expérimental, non pas privé, mais ouvert à l’humanité. L’aspiration des créateurs du Laboratoire est de créer un travail constructif, de diffuser la culture et le goût d’apprendre parmi les peuples, et de faire de l’humanité une seule famille et du monde une seule patrie. »
Le Laboratoire menait un projet de recherche appliquée très ambitieux dans plusieurs domaines, dont certains étaient essentiels pour répondre aux pénuries et aux besoins en temps de guerre : semences indigènes, amélioration des cultures, développement de pesticides chimiques et d’antiparasites pour les arbres fruitiers, remèdes contre les maladies des animaux d’élevage et utilisation des déchets végétaux.
Le projet de laboratoire s’est également concentré sur l’étude de l’électricité et des ressources naturelles pour les sources d’énergie alternatives, les matériaux de construction et les métaux, les technologies alimentaires et l’étude du climat et du rayonnement cosmique. Comas y Solà a dirigé la section de climatologie et de météorologie du Laboratoire. Astronome de renom, il a créé et dirigé l’Observatoire Fabra du Tibidabo en collaboration avec Alberto Carsí.
Récemment, l’Ateneu Llibertari de Gràcia a formé le Groupe Comas i Solá, groupe dédié à la mémoire, à la science et à la culture, une manière de se souvenir et de revendiquer que la science avait aussi sa place dans le sentiment révolutionnaire de la CNT.
Comas i Solà (1868-1937), franc-maçon et libertaire, était un physicien, mathématicien, astronome et vulgarisateur scientifique. Il fonda l’Observatoire Fabra à Tividabo, qu’il dirigea jusqu’à sa mort, bien que beaucoup de ses découvertes et observations, curieusement, furent faites depuis sa maison dans le quartier barcelonais de Farró : Villa Urania.