Bretons du Havre

Après avoir eu récemment une discussion avec un Breton du Havre qui trouvait qu’il y avait trop d’immigrés dans notre ville, je lui ai ressorti un texte de la fin du XIXème siècle, de surcroît écrit par une personnalité littéraire proche de l’extrême-droite. Toute similitude avec la situation actuelle ne pourrait être que fortuite…Bonne lecture.

Emigration bretonne

« Le Breton reste prolifique jusque dans l’exil et c’est une de ses supériorités sur nous autres immigrants. Les familles de huit et dix enfants ne sont point rares chez les Bretons du Havre, de Paris, de Saint-Denis et de Versailles. Vous pouvez être sûrs que, tant Bretons de Bretagne que Bretons nés hors de Bretagne, leur chiffre n’est pas loin d’atteindre 100.000. C’est trop.

C’est trop, surtout quand on songe à la faible portion de ces malheureux qui aient une situation à peu près supportable. Et comment en serait-il autrement ? Il faut poser en principe tout d’abord que les Bretons n’émigrent que sous le coup de la nécessité. Tant que le pays peut les nourrir, ils y demeurent. Ils y tiennent par tant de racines ! Cette terre âpre, ce ciel, ces landes, ce cimetière où ils ont couché leurs vieux parents et où ils ne dormiront pas, c’est toute leur âme qu’il leur faut laisser. Je ne crois pas, du reste, qu’ils aient jamais connu la prospérité. Au moyen-âge, la misère en fait des routiers au service de toutes les causes ; au XVIè et au XVIIè siècles, ils vont peupler avec les Normands nos colonies d’Amérique. A présent, ils émigrent à Panama, au Chili, dans la République argentine, en France surtout. Le mouvement grandit chaque année. Au dernier recensement, le seul département des Côtes-du-Nord avait perdu 9.604 habitants, dont 5.773 pour l’arrondissement de Lannion. Est-ce à dire que la natalité ait baissé ? Non, c’est l’émigration qui dépeuple peu à peu certains cantons. La misère y est trop grande : il n’est plus possible d’y gagner son pain. Les habitants s’en vont. Ils s’en vont sans argent, et, ce qui est pis, sans un métier, j’entends un métier qu’ils puissent exercer à la ville. Les 19/20 des Bretons sont cultivateurs ou pécheurs. Ceux-ci trouvent encore à vivre ; leur situation ne laisse cependant pas d’être assez précaire pour que l’Etat se soit cru obligé d’intervenir tout récemment.

Mais c’est l’ouvrier agricole, le journalier de la terre qui est à plaindre. Il faut bien l’avouer : jamais la misère n’a été aussi grande dans les campagnes, en Bretagne surtout où le morcellement de la  propriété est presque infini et ne permet point d’établir une culture savante et intensive, comme dans certaines provinces, la Beauce par exemple, qui peuvent encore lutter à force d’amender le sol et de perfectionner l’outillage. Puis il n’y a pas ou il y a à peine d’industrie en Bretagne. Les mines argentifères de Poullaouen et d’Hueigoat sont abandonnées ; la société linière de Landerneau est en liquidation ; les rouets chôment pour jamais, sous la poussière, dans le coin des fermes du bas pays qu’ils emplissaient jadis de leur ronronnement familier ; on ne tisse plus en Bretagne, cette Bretagne, héritière des Flandres, qui exportait jusqu’aux Indes, en Afrique et tout le long des côtes d’Espagne et du Portugal, ses riches toiles de Guingamp et ses fines dentelles de Quintin. C’est à peine si quelques minoteries et une ou deux papeteries utilisent encore çà et là les admirables forces hydrauliques dont est pourvue la contrée. Et il faut voir les salaires qu’on y alloue aux ouvriers, joints aux chômages qu’on leur impose, dès que le marché subit le moindre contretemps !

Les voilà donc, à 25 et 30 ans, leur service terminé, baragouinant peu ou prou un français de caserne dont ils n’ont que faire, inaptes à tout autre métier qu’à celui de la terre et qui ne trouvent point à s’y employer chez eux. Que vont-ils devenir ? Il leur faut vivre pourtant. Quelques milliers partent pour Jersey et Guernesey où on les occupe à « tirer des patates», mais c’est l’affaire de quinze jours au plus; d’autres sont appelés pour la moisson dans la Seine-et-Oise, dans l’Eure, dans l’Eure-et-Loir, mais ce n’est là encore qu’une occupation temporaire. Ajoutez que les journaliers de ces départements leur marquent une hostilité de plus en plus vive : ils leur reprochent, et fort justement, de faire baisser le taux normal des salaires, d’encombrer le marché, etc. Plus d’un gros fermier de l’Eure a trouvé à sa porte, la moisson venue, des pancartes manuscrites où on le menaçait de brûler ses récoltes s’il employait encore des journaliers bretons. Et puis, ce n’est pas avec le gain de ces trois ou quatre semaines que les malheureux arriveront à vivre pendant le reste de l’année.

Il faut trouver autre chose, renoncer décidément à l’agriculture et tâcher de découvrir dans les villes quelque métier qui se rapproche de celui-là et qui nourrisse son homme plus longtemps : l’un se fait terrassier ; l’autre chauffeur, balayeur, portefaix. Et comme ils ont l’instinctive méfiance de l’ « étranger », que l’exil ne leur est tolérable que s’ils l’adoucissent par le compagnonnage ou la vie de famille, ils se portent tous vers les mêmes débouchés, s’y pressent, s’y entassent et y fondent ainsi de véritables colonies.

Telle, au Havre, la colonie bretonne de Saint-François et du quartier- de l’Eure.

Remarquez, du reste, que cette dernière colonie est de formation relativement récente. Elle ne date, à proprement parler, que de la mise en adjudication des grands travaux du port. Favorisé, dès 1839, par l’établissement de la ligne de paquebots Morlaix-Havre, puis par celui de la ligne de Saint-Brieuc, le mouvement de l’immigration bretonne ne s’est point ralenti un seul moment jusqu’à ces dernières années, et c’est qu’aussi bien le creusement du canal de Tancarville et la création du quartier de l’Eure ont suppléé presque tout de suite au chômage dont l’achèvement des bassins menaçait de frapper ces pauvres gens. Aujourd’hui leur situation est devenue plus précaire. Ils ne trouvent que difficilement à s’employer et la municipalité se voit forcée d’en rapatrier un grand nombre. On pourrait croire que la question est ainsi à la veille de se résoudre elle-même, au Havre du moins : il n’en est rien. Le noyau est formé ; l’esprit communautaire des Bretons les groupera invinciblement, pendant de longues années encore, autour des familles de leur race qui se sont établies là à demeure. Le péril est même plus grave qu’on ne le pense : je suis persuadé, en effet, qu’après s’être arrêté quelque temps le mouvement de l’immigration bretonne reprendra avec une intensité dix fois plus grande, le jour où les travaux de la ligne du Havre à Dieppe et surtout ceux du nouveau bassin et de l’avant-port entreront en voie d’exécution. Si, d’ici là, on n’a pas trouvé le moyen d’enrayer le mouvement, je distingue mal quel bénéfice tireront de ces nouveaux travaux les ouvriers havrais ; ils n’entreront pas pour un cinquième dans le personnel de l’entreprise. Et cela s’entend trop aisément de soi. Comment ne leur préférerait-on pas les Bretons, gens taillables et corvéables à merci, toujours satisfaits du premier salaire qu’on leur offre et se pliant, sans rien dire, aux conditions du travail les plus exorbitantes ?

Les entrepreneurs sont hommes avant que d’être havrais : ce serait trop attendre, et trop exiger peut-être aussi, du patriotisme local que de croire qu’il puisse triompher de l’intérêt dans ces sortes de questions. »

Charles Le Goffic. (janvier 1893) : PS/ Charles Le Goffic a fait ses études à Lannion. Il devient agrégé de littérature puis écrivain. C’est un régionaliste breton proche de Maurras.

Tout d’abord, nous reviendrons sur l’idée tenace que le Breton n’était qu’un bigot et qu’il était systématiquement corvéable à merci et peu enclin à la rébellion. Nous allons donc battre en brèche ces clichés et préjugés même si on ne peut pas négliger le rôle des curés jusque dans les années 1960-70.

En Bretagne, il y avait au début du XXème siècle deux enclaves anarchistes à Lorient et à Brest, notamment par l’intermédiaire des travailleurs du port et de l’arsenal ainsi que dans le secteur du bâtiment. Nous reviendrons sur des luttes ouvrières emblématiques de l’époque. Il suffit de lire le numéro hors-série du libertaire de novembre dernier pour avoir un aperçu de la combativité des travailleurs/travailleuses bretons. Nous complèterons ce numéro spécial par d’autres numéros avec d’autres luttes.

D’autre part, nous revenons au Havre et constatons que des militants bretons se sont distingués. Le gérant de L’Idée ouvrière, hebdomadaire anarchiste-communiste, en 1887-1888, s’appelait Julien Legouguec (Né le 20 octobre 1837 à Baden (Morbihan) – mort le 8 février 1904 au Havre). Une stèle fut érigée en son honneur au cimetière Sainte-Marie (non visible aujourd’hui car de nombreuses tombes ont été détruites lors de la construction de la patinoire).

Guillaume Le Moal, militant anarcho-syndicaliste, (Né le 5 mars 1875 à Louargat (Côtes-du-Nord), mort au Havre le 1er juin 1951) fut trésorier du syndicat des dockers de 1911 à 1946.

Jean Le Gall (Né le 14 juin 1896 à Carhaix-Plouguer (Finistère), mort le 3 septembre 1956 au Havre, fut secrétaire de la Fédération nationale des Ports et docks. Militant anarcho-syndicaliste. Après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à sa mort, il était encore abonné à la revue de Monatte « La Révolution prolétarienne).

Nédélec Louis (Né le 1er septembre 1898 à Plestin-les-Grèves (Côtes-du-Nord), mort le 15 août 1991 à Harcourt (Eure) est un militant socialiste d’envergure et responsable syndical chez les municipaux.

Nous pourrions ajouter moult noms de Bretons qui eurent des responsabilités syndicales et ce jusqu’à nos jours…

Lors des manifestations syndicales au début du XXème siècle, en Bretagne, les compagnons anarchistes et les socialistes avancés s’en prenaient systématiquement à la « cléricaille » qui était toujours du côté des patrons et de l’ordre établi. Rationalité libertaire contre dogmatisme clérical.

Aujourd’hui le combat contre toutes les religions reste d’actualité. Pour s’émanciper, il faut combattre les gourous, les prêtres, les imans, les rabbins…Si la religion gère ta vie, tu n’as aucune liberté si ce n’est celle que t’accorde les représentants de dieu sur Terre. Et nous savons que ces derniers sont des faussaires et des menteurs.

Patoche (GLJD)