Bernardin de Saint-Pierre : un auteur havrais

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Bernardin de Saint-Pierre : un auteur havrais

Je dois rendre cette justice à notre peuple que je n’en connais point en Europe de plus généreux. Je pourrais citer une multitude de traits de bienfaisance, si le temps me le permettait. Nos beaux esprits tirent souvent des caricatures de nos poissardes et de nos paysans, parce qu’ils n’ont d’autre but que d’amuser les riches ; mais ils leur donneraient de grandes leçons de vertus, s’ils savaient étudier celles du peuple : pour moi, j’y ai trouvé plus d’une fois des lingots d’or sur du fumier.

J’ai remarqué, par exemple, que beaucoup de petits marchands livrent leurs marchandises à un plus bas prix à un homme pauvre qu’à un riche, et, quand je leur en ai demandé la raison, ils m’ont répondu : « Il faut, Monsieur, que tout le monde vive. » J’ai observé aussi que beaucoup de gens du petit peuple ne marchandent jamais, lorsqu’ils achètent à des pauvres comme eux : « Il faut, disent-ils, qu’ils gagnent leur vie. » Un jour, je vis un enfant acheter des herbes à une fruitière : elle lui en remplit son tablier pour deux sous, et, comme je m’étonnais de la quantité qu’elle lui donnait, elle me dit : « Monsieur, je n’en donnerais pas tant à une grande personne ; mais je me ferais un grand scrupule de tromper un enfant. »…