Art, culture et fédéralisme

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Rejetant le déterminisme rigide des esthétiques sociologiques, la théorie libertaire de la culture apparaît sous la forme d’un projet entièrement ouvert sur l’avenir, son seul souci étant la définition d’un cadre à l’intérieur duquel s’épanouirait la liberté créatrice. Elle est prospective, mais elle se garde cependant d’établir les normes d’une nouvelle esthétique ; sur ce point, elle se confond avec sa foi dans la créativité illimitée de l’homme. A première vue, elle semble être entièrement dominée par une pure sensibilité antiautoritaire. Mais derrière son spontanéisme qui nous paraît si actuel, nous apercevons sans peine son essence fédéraliste structurelle. L’image de l’homme créateur est inséparable en effet, de l’image d’une société mondiale composée d’un réseau de communes, ces dernières étant les foyers innombrables d’une nouvelle Renaissance populaire. D’une culture décentralisée et par conséquent diverse.

Proudhon est admiratif du peintre Gustave Courbet. Il dénonce le danger de « l’idée d’un nationalisme artistique et littéraire » et les méfaits de la centralisation culturelle de la France de son époque. Puisque la nature répartit à peu près également les talents artistiques au sein du peuple, toute concentration de la création en un seul lieu ne peut aboutir qu’à l’appauvrissement des forces créatrices prises dans leur totalité. Le développement intégral de toutes nos facultés est une des conditions essentielles du progrès social. L’affranchissement de l’homme signifie aussi la libération de sa « faculté d’art » réprimée ou anéantie par l’organisation actuelle de la société.

Pour Kropotkine, la « cité une » est le plus haut lieu de la culture européenne car elle organise l’élan librement créateur de toute communauté autour d’une grande idée, cette idée étant une conception de fraternité et d’unité engendrée par la cité.

Si l’auteur de l’Entraide établit les liens entre l’art médiéval et l’art de l’avenir, Seul Rodoph Rocker donne à l’analyse kropotkinienne sa véritable dimension. Rocker s’interroge : comment se fait-il que l’art médiéval ait atteint ses sommets les plus hauts sur la péninsule italienne, divisée en centaines de communautés minuscules – chacune d’elles soucieuse de son autonomie et s’intégrant par des liens souples dans un ensemble fédéraliste – et non dans un Etat centralisé ? Pour lui, moins le sens politique d’un peuple est développé, plus riche est sa vie culturelle. Dans son ouvrage « Nationalisme et culture » qu’il écrit dans un contexte où le fascisme prend son essor et où les fascistes utilisent la culture à des fins nationalistes, Rocker donne son point de vue sur les rapports entre l’art et l’Etat centralisé : « Pouvoir et culture sont, au sens le plus profond du terme, diamétralement opposés, et l’épanouissement de l’un n’est pas concevable sans l’affaiblissement de l’autre. L’appareil étatique puissant est le grand obstacle au développement de la culture. »

L’Etat est l’œuvre d’une certaine élite alors que la culture tire ses origines de la communauté tout entière. Erigeant l’uniformité en idéal, le Pouvoir est toujours stérile. Dans son désir insensé de réglementer et de contrôler tous les phénomènes sociaux, il est toujours prêt à réduire toute activité humaine à un schéma unique. La culture, elle, est l’élan créateur, l’impulsion formative, à l’état nu, à l’affût des formes, d’expressions nouvelles.

Elle découvre sa vocation dans la variété et l’universalité dans la mesure même où le Pouvoir se voue à l’adoration des formes et schémas établis une fois pour toutes.

L’Etat est essentiellement statique, voué au maintien du statu quo. Même si l’on a l’illusion du changement alors que rien ne change dans le fond.

La culture est par essence, anarchiste, révolutionnaire. Les forces culturelles de la société sont en état de rébellion constant contre la coercition des institutions du pouvoir politique.

Nous reviendrons sur le sujet ultérieurement…