L’OUVRIER SYNDIQUE
Pour Durand
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Tous les Bérenger de la presse bourgeoise, tous ceux qui passent le meilleur de leur temps à soigner leurs tripes endommagées par la noce et l’orgie, aboient après les syndicalistes actifs, après les militants qui lancent un appel ardent en faveur de l’innocent condamné à mort.
D’aucuns, les plus dégoûtants entre tous, s’écrient : « Nous demanderons à la République d’accorder au condamner Durand un grâce que le syndicalisme révolutionnaire n’a pas accordé à l’assassiné Dongé. »
Mais peut-on un instant être surpris de tant d’ignominies ? Non.
Les plumitifs de cet acabit nous saturent journellement de leurs répugnants écrits. Que n’écrirait-ils pas pour satisfaire l’insatiable Veau d’Or ?
A plat ventre devant les puissants, du jour, prêts à toutes les bassesses, sans entrailles et sans cœur, vautrés dans la boue, ils exécutent tous les actes vils, dégradants qui les rendent plus méprisables encore que les pires Azew.
L’innocence de Durand est de notoriété publique aujourd’hui ; il est avéré que les jurés bourgeois ont voulu « frapper fort » un adversaire.
Mais qui donc a armé leur conscience, – si l’on peut ainsi s’exprimer en parlant d’êtres aussi crétins ? – Qui donc a réclamé un verdict aussi monstrueux, si non la grande presse ? Celle qui est l’émanation de la pensée bourgeoise ? Qui donc, si non celle qui empoisonne chaque jour les cerveaux ouvriers ? Celle qui nous et dénoue les intrigues, qui gouverne, en un mot ; qui brise les trônes et compose les ministères ; celle qui a extirpé de son sain toute idée de noblesse, qui corrompt tout et a établi son règne sur la concussion, la lâcheté et le vol ?
Oui, Durand est un innocent condamné parce que syndicaliste, comme l’Autre l’avait été parce que Juif !
Oui, sa cause est la nôtre comme elle est celle de la Justice ! Ah ! Certes, il ne saurait suffire de tous les Cagniard et de tous les Gérault-Richard de la création pour rabaisser l’idéal syndicaliste. Eux qui accaparent et débitent sciemment les mensonges comme d’autres accaparent et vendent du blé pour s’enrichir, se sentent gênés par l’action syndicale. Ils n’ont pas les dispositions voulues pour prêcher des idées sans en retirer tout d’abord de fructueux avantages. Ils ramènent tout à leur culte : « La prostitution pour l’argent ».
Cela ne les empêche pas de parler de leur République comme d’une chose immuable et imperfectible. Ils ne voient pas – tellement ils en retirent de profits, tellement ils s’y vautrent – que leur caricature de République nous fera bientôt regretter l’Empire.
Ah ! C’est eux qui prétendent défendre Durand après l’avoir fait condamner ! Que ne feraient-ils signer la révision de son procès par cet autre misérable, l’Agent général de la Compagnie Générale Transatlantique : Ducrot ?
Allons, allons ! Qu’ils s’en retournent à leurs chers râteliers, à leurs chères débauches. Qu’ils laissent la défense de notre camarade à ses véritables amis. Ceux-ci se sentent assez forts pour le défendre. Sa cause, celle de la justice, la nôtre, je le répète, se sentirait compromise, déshonorée de se trouver entre leurs mains.
Lorsqu’on commet une gaffe il faut avoir le courage de le reconnaître. Durand est, à cette heure, en chapelle – laïque, comme dit Hervé. Le prolétariat a des bras assez puissants pour l’en sortir. La bourgeoisie a voulu nous prendre un otage. Pour le délivrer, n’implorons plus, agissons ! Et tous les prostitués de la plume – non pas nos camarades professionnels du journalisme, mais les actionnaires des maisons d’affaires qui vendent des nouvelles à un sou – en seront pour leur courte honte.
Pour une cause juste nous combattons. Laissons les roquets aboyeurs à leur tâche ; sans délai ils recevront un os à ronger pour prix de leur travail. Quant à nous, redoublons d’efforts. L’avenir est aux audacieux et Durand ne tardera pas à être rendu aux siens, à la grande famille syndicale !
L. REAUD, des Inscrits maritimes