Réhabilitation de Jules Durand et Dossier Jules Durand

Monguillon

En photo: au temps où la ville du Havre décernait une médaille à Armand Salacrou pour son livre qui présentait Jules Durand comme un anarchiste. Ce que ne contestaient pas les communistes de l’époque, notamment Roger Le Marec, secrétaire du syndicats des charbonniers. Roger Le Marec étant l’un des militants communistes les plus en vue au Havre avec Louis Eudier qui sera interrogé plus tard par l’écrivain Alain Scoff et qui ne démentira aucunement que Durand était libertaire. Nous publierons d’ailleurs le texte très instructif de Le Marec sur l’anarchisme de Durand. Pour l’instant quelques éléments de l’Affaire Durand…

Nous communiquons ici la liste des douze jurés ayant siégé dans l’affaire Durand, ce syndicaliste étant condamné à mort pour « complicité d’assassinat » par arrêt du 25 novembre 1910.

Douze jurés composent le jury, soit :

Lallemand Ernest (docteur-médecin de l’asile départemental d’aliénés de la Seine-Inférieure), domicilié à Saint-Étienne du Rouvray ;

Ricouard Ernest, Émile (boucher), domicilié au Havre ;

Lambert Florentin (ouvrier tisseur), domicilié à Elbeuf sur Seine ;

Monthaye Gaston (pisciculteur-propriétaire), domicilié à Epouville ;

Baudère Louis (employé de banque), domicilié à Rouen ;

Absire Adrien (maître tanneur), domicilié à Rouen ;

Boisgirard Jules (rentier), domicilié à Graville Sainte Honorine ;

Debray Paul (farinier), domicilié à La Cerlangue ;

Offroy Robert (directeur d’usine), domicilié à Malaunay ;

Campion Charles (rentier), domicilié à Bolbec ;

Candieu Julien (marchand de beurre), domicilié à Rouen ;

Delamare Jules (cultivateur), domicilié à Sainte Genevièvre.

 

Les jurés ont une moyenne d’âge d’une cinquantaine d’années (51 ans précisément). Le plus jeune a 32 ans et le plus âgé a 63 ans en 1910. À la lecture des professions des jurés, on s’aperçoit que le milieu ouvrier est sous-représenté à hauteur de 8 %[1].

Maître Coty[2], l’avocat de Durand, indique dans sa longue plaidoirie :

 

« Il faut que vous sachiez tout de suite que, si au cours de l’information, on a entendu les 12 témoignages qui nous accusent, et qui ont tous été entendus par vous, on a d’autre part entendu sous la foi du serment 75 témoignages qui nous innocentent.

Et l’on aurait pu en entendre 500, puisque les propos criminels qui nous sont imputés, nous les aurions tenus devant 500 auditeurs.

Supposez, Messieurs les jurés, que chacun de vous suppose pour un instant qu’au lieu d’avoir mission de juger cette affaire, il ait été chargé de l’instruire. Un beau jour, un agent de la Compagnie Transatlantique se présente à votre cabinet, vous conduisant douze de ses ouvriers ou contremaîtres, 12 jaunes qui, à tort ou à raison, peu importe, ont pris position contre la grève et contre le syndicat, ils viennent dénoncer le secrétaire, le trésorier et un autre dirigeant de ce syndicat, ils les accusent d’avoir conseillé le meurtre de Dongé dans des discours tenus devant 500 personnes.

Quelle sera votre première pensée, à vous, juge d’instruction ? Il faut, vous direz-vous, aussitôt vérifier ces dires, et vous ferez d’abord faire par votre police une enquête aussi habile et aussi complète que possible. Puis vous ferez venir devant vous le plus grand nombre possible d’individus ayant assisté à ces réunions. Vous les interrogerez, vous les presserez de questions. Et si leurs affirmations sont en contradiction avec les affirmations des 12 dénonciateurs, vous les mettrez en présence, vous les confronterez, de façon à jeter sur l’affaire le plus de lumière possible.

Voilà ce que vous auriez fait, n’est-ce pas ?

Voilà ce qu’on n’a pas fait, ce qu’on n’a même pas essayé de faire [ ]»

 

Et de continuer : « Réfléchissez en effet à ce qu’est une foule, vive, impressionnable, ardente, toujours prête à se porter aux actes les plus extrêmes. Composez maintenant cette foule exclusivement d’ouvriers, et surtout de ces rudes travailleurs qui dans le charbon, au fond des soutes, font un métier d’enfer. Jetez dans ce milieu l’effervescence d’une grève, avec ses misères et avec ses colères. Et dites-moi donc s’il a une tâche facile et enviable, celui qui est le berger de ce troupeau. Et lorsque vous voyez une grève de charbonniers comme la nôtre durer de longues semaines, sans autre incident que des violences individuelles, sans qu’un instant l’ordre soit troublé dans la rue, lorsque vous voyez la sortie des réunions de grève s’effectuer dans le plus grand calme, je vous le demande : croyez-vous que des centaines de grévistes viennent d’entendre leur chef tenir des propos incendiaires ?

Non, s’ils sont calmes, c’est que Durand, non sans mérite et sans courage, leur a prêché le calme. Et il faut l’en louer.

Et il faut le louer aussi de ce qu’il travaille ainsi à l’amélioration non seulement de la condition matérielle de ses camarades mais encore, mais surtout de leur condition intellectuelle et morale, de ce qu’il lutte de toutes ses forces contre l’alcool, le pire ennemi de la classe ouvrière, de ce qu’il dit aux travailleurs qui l’écoutent : Pourquoi gagner quelques sous de plus si cela ne vous sert qu’à boire un peu plus de poison ?[3] »

Maître Coty essaie de convaincre les jurés qu’ils n’ont pas affaire à une brute épaisse mais à quelqu’un de responsable, calme et prônant la sobriété. Peine perdue, Jules Durand est condamné à la décapitation.



[1] RANNOU Patrice, L’Affaire Durand, Saint-Étienne, Éditions CNT, 2010, p.23

[2] ROQUETTE-BUISSON Jean, La carrière politique de René Coty avant la présidence de la République, Paris, Université Panthéon-Sorbonne, Master sous la direction de Claude Pennetier, 2003

[3] RANNOU Patrice, L’Affaire Durand, Saint-Étienne, Éditions CNT, 2010, p.23

 

Nous communiquons ici la liste des douze jurés ayant siégé dans l’affaire Durand, ce syndicaliste étant condamné à mort pour « complicité d’assassinat » par arrêt du 25 novembre 1910.

Douze jurés composent le jury, soit :

Lallemand Ernest (docteur-médecin de l’asile départemental d’aliénés de la Seine-Inférieure), domicilié à Saint-Étienne du Rouvray ;

Ricouard Ernest, Émile (boucher), domicilié au Havre ;

Lambert Florentin (ouvrier tisseur), domicilié à Elbeuf sur Seine ;

Monthaye Gaston (pisciculteur-propriétaire), domicilié à Epouville ;

Baudère Louis (employé de banque), domicilié à Rouen ;

Absire Adrien (maître tanneur), domicilié à Rouen ;

Boisgirard Jules (rentier), domicilié à Graville Sainte Honorine ;

Debray Paul (farinier), domicilié à La Cerlangue ;

Offroy Robert (directeur d’usine), domicilié à Malaunay ;

Campion Charles (rentier), domicilié à Bolbec ;

Candieu Julien (marchand de beurre), domicilié à Rouen ;

Delamare Jules (cultivateur), domicilié à Sainte Genevièvre.

 

Les jurés ont une moyenne d’âge d’une cinquantaine d’années (51 ans précisément). Le plus jeune a 32 ans et le plus âgé a 63 ans en 1910. À la lecture des professions des jurés, on s’aperçoit que le milieu ouvrier est sous-représenté à hauteur de 8 %[1].

Maître Coty[2], l’avocat de Durand, indique dans sa longue plaidoirie :

 

« Il faut que vous sachiez tout de suite que, si au cours de l’information, on a entendu les 12 témoignages qui nous accusent, et qui ont tous été entendus par vous, on a d’autre part entendu sous la foi du serment 75 témoignages qui nous innocentent.

Et l’on aurait pu en entendre 500, puisque les propos criminels qui nous sont imputés, nous les aurions tenus devant 500 auditeurs.

Supposez, Messieurs les jurés, que chacun de vous suppose pour un instant qu’au lieu d’avoir mission de juger cette affaire, il ait été chargé de l’instruire. Un beau jour, un agent de la Compagnie Transatlantique se présente à votre cabinet, vous conduisant douze de ses ouvriers ou contremaîtres, 12 jaunes qui, à tort ou à raison, peu importe, ont pris position contre la grève et contre le syndicat, ils viennent dénoncer le secrétaire, le trésorier et un autre dirigeant de ce syndicat, ils les accusent d’avoir conseillé le meurtre de Dongé dans des discours tenus devant 500 personnes.

Quelle sera votre première pensée, à vous, juge d’instruction ? Il faut, vous direz-vous, aussitôt vérifier ces dires, et vous ferez d’abord faire par votre police une enquête aussi habile et aussi complète que possible. Puis vous ferez venir devant vous le plus grand nombre possible d’individus ayant assisté à ces réunions. Vous les interrogerez, vous les presserez de questions. Et si leurs affirmations sont en contradiction avec les affirmations des 12 dénonciateurs, vous les mettrez en présence, vous les confronterez, de façon à jeter sur l’affaire le plus de lumière possible.

Voilà ce que vous auriez fait, n’est-ce pas ?

Voilà ce qu’on n’a pas fait, ce qu’on n’a même pas essayé de faire [ ]»

 

Et de continuer : « Réfléchissez en effet à ce qu’est une foule, vive, impressionnable, ardente, toujours prête à se porter aux actes les plus extrêmes. Composez maintenant cette foule exclusivement d’ouvriers, et surtout de ces rudes travailleurs qui dans le charbon, au fond des soutes, font un métier d’enfer. Jetez dans ce milieu l’effervescence d’une grève, avec ses misères et avec ses colères. Et dites-moi donc s’il a une tâche facile et enviable, celui qui est le berger de ce troupeau. Et lorsque vous voyez une grève de charbonniers comme la nôtre durer de longues semaines, sans autre incident que des violences individuelles, sans qu’un instant l’ordre soit troublé dans la rue, lorsque vous voyez la sortie des réunions de grève s’effectuer dans le plus grand calme, je vous le demande : croyez-vous que des centaines de grévistes viennent d’entendre leur chef tenir des propos incendiaires ?

Non, s’ils sont calmes, c’est que Durand, non sans mérite et sans courage, leur a prêché le calme. Et il faut l’en louer.

Et il faut le louer aussi de ce qu’il travaille ainsi à l’amélioration non seulement de la condition matérielle de ses camarades mais encore, mais surtout de leur condition intellectuelle et morale, de ce qu’il lutte de toutes ses forces contre l’alcool, le pire ennemi de la classe ouvrière, de ce qu’il dit aux travailleurs qui l’écoutent : Pourquoi gagner quelques sous de plus si cela ne vous sert qu’à boire un peu plus de poison ?[3] »

 

 

Maître Coty essaie de convaincre les jurés qu’ils n’ont pas affaire à une brute épaisse mais à quelqu’un de responsable, calme et prônant la sobriété. Peine perdue, Jules Durand est condamné à la décapitation.



[1] RANNOU Patrice, L’Affaire Durand, Saint-Étienne, Éditions CNT, 2010, p.23

[2] ROQUETTE-BUISSON Jean, La carrière politique de René Coty avant la présidence de la République, Paris, Université Panthéon-Sorbonne, Master sous la direction de Claude Pennetier, 2003

[3] RANNOU Patrice, L’Affaire Durand, Saint-Étienne, Éditions CNT, 2010, p.23