Se préparer à la clandestinité

Au niveau des Jeux Olympiques de Paris, certains y auront vu une belle concorde nationale, un beau palmarès de médailles, des performances, une bonne organisation etc. D’autres ont vu apparaître un nouvel outil de surveillance : la vidéosurveillance algorithmique (VSA).

Ce dispositif est des plus inquiétants. Les autorités nous l’ont vendu comme un outil « provisoire » pour protéger notre sécurité. Il fallait envisager le pire : attentats, attaques de drones…Comme toute chose provisoire, on sent que ce provisoire va durer dans le temps surtout quand il se dit au service des citoyens. On connaît la rhétorique lambda du si tu n’as rien à te reprocher, ça ne doit pas te déranger. Mais pour les anarchistes,  le tout techno-solutionnisme sécuritaire questionne nos libertés individuelles. On nous vend de même les nouvelles technologies comme solution au dérèglement climatique, à l’écocide en cours…Comme d’autres ne voyaient que par la science au XIXème siècle, dont certains libertaires ; aujourd’hui les nouveaux prophètes ne jurent que par l’intelligence artificielle et autres technologies de pointe. On connaît l’argumentaire des VRP de la surveillance : s’il n’y a pas d’attentat c’est que le dispositif mis en place était efficace ; s’il y a un attentat, c’était dû au manque de caméras…il n’y en avait pas assez. La rhétorique est au point, c’est du gagnant-gagnant pour les concepteurs et manipulateurs de surveillance.

Seulement voilà, à l’heure où l’extrême-droite a le vent en poupe, nous nous inquiétons de possibles dérives de l’usage de l’intelligence artificielle par la police et par l’armée. De fait, le développement de la surveillance de masse sera rendu possible par la VSA et autres technologies de surveillance mises au point aujourd’hui ou en devenir. Après les J.O., nous allons entrer dans l’ère du big data et de la surveillance généralisée et avec l’extrême-droite ce sera pire. La vidéosurveillance algorithmique est un dispositif intrusif de surveillance généralisée de la population. Gageons que le gouvernement avec un Retailleau comme ministre de l’Intérieur va valider l’expérimentation et la prolonger ad vitam aeternam. Sauf si le gouvernement saute. Et encore, l’extrême-droite est à l’affût de ce type d’outil. On la voit déjà préconiser des mesures d’économie en supprimant plusieurs opérateurs et agences de l’Etat : agences de l’eau, parcs nationaux, l’Ademe, l’Office français de la biodiversité… sans compter certains opérateurs culturels. Sous couvert d’efficacité immédiate de l’Etat, ce sont plusieurs organismes de contre-pouvoir et d’alerte qui vont sauter. Nous avons de quoi être inquiets. Alors aidée par la VSA, l’extrême-droite renforcera ses ambitions et pouvoirs.

La vidéosurveillance dans une ville très connectée et télé-surveillée comme Nice n’a pas empêché l’attentat au camion bélier en 2016. Ce n’est pas en augmentant la surveillance de l’espace public que la sécurité des individus sera assurée. Par contre cette surveillance nous fait intérioriser que nous sommes surveillés pour notre bien. De surcroît, nos libertés fondamentales sont bafouées. Notre individualité et anonymat dans la rue passent à la trappe. Si le modèle chinois de la surveillance de masse devient le modèle de la France, nous sommes vraiment à la dérive sur le plan de nos libertés. L’avènement de la VSA serait le pire des scénarios pour la population. La mise en place des attestations de déplacement durant les confinements successifs lors du Covid a déjà donné un aperçu de l’esprit moutonnier des Français qui lorsqu’ils ne savent pas et ont peur, font ce que l’Etat leur demande.

La seule solution, trouver des technologies alternatives pour éviter cette surveillance à la Big Brother. Des brouilleurs ?

Les libertaires se sont toujours méfiés du fichage généralisé où l’on peut croiser tout un tas de données. Nous nous souvenons  aussi du fichage des « empreintes génétiques » fin 1990 et qui ne devait être utilisé que pour les crimes sexuels. Et depuis généralisé….

Ce que l’on constate plus généralement, c’est que l’on est dans le tout répressif en France avec une action exclusivement policière pour faire face à la violence qui traverse notre société. On dépense beaucoup d’argent public à l’heure des budgets contraints et de la dette abyssale de notre pays pour ces technologies qui finalement alimentent un secteur industriel qui se porte déjà très bien et dont il serait bon de voir à quels actionnaires il profite. Le gouvernement pense par le prisme du tout sécuritaire sans envisager d’autres solutions et alternatives. On refuse alors de prendre le mal à la racine. Quid  des causes économiques et sociales de la criminalité, de la déviance ? Et parallèlement, les autorités investissent dans le sécuritaire en cassant les services publics de santé et d’éducation… La prévention devient le parent pauvre de la lutte contre la délinquance.

Pérenniser des formes de surveillance totale et permanente alors que l’extrême-droite est à nos portes n’augure rien de bon en termes de liberté publique. Déjà que des milliardaires proches de l’extrême-droite ventilent leur venin dans l’espace public médiatique. Là aussi, l’inquiétude est de mise.

On se souvient de même que les Allemands ont utilisé les fichiers de la « Sûreté » française pendant la Seconde Guerre mondiale à l’aide la police de Vichy, pour pourchasser les militants communistes, les anarchistes, les francs-maçons etc.

Dans son livre « L’œil de l’Etat », James C. Scott invite à réfléchir sur les conséquences de toute surveillance. Il nous indique que l’Office municipal de statistiques d’Amsterdam a permis aux nazis de traquer la population juive de la ville, conduisant à la déportation 65 000 personnes. La carte de cet Office municipal, de 1941, était intitulée « La Distribution des juifs dans la municipalité ». Cette carte fut compilée à partir d’informations obtenues après l’ordre donné aux personnes d’origine juive de s’enregistrer, mais aussi à partir du registre de la population (extraordinairement complet aux Pays-Bas) et du registre du commerce. L’anthropologue insiste : « Si l’on réfléchit ne serait-ce qu’un instant aux types d’informations détaillées sur les noms, les adresses et les origines ethniques (peut être déterminées à partir des noms dans le registre de la population ou obtenues à partir de déclarations) et à l’exactitude cartographique nécessaire à la production de cette représentation statistique, la contribution de la lisibilité au pouvoir de l’Etat est évidente. Bien sûr, les autorités nazies ont ajouté à l’exercice sa  finalité meurtrière, mais c’est la lisibilité produite par les autorités néerlandaises qui a fourni les moyens de sa mise en œuvre efficace. »

Les technologies se sont développées et accrues depuis 1939 et aujourd’hui il va nous être de plus en plus difficile d’organiser des réseaux dissidents pour résister au totalitarisme qui pointe son groin. En clair, ou nous allons pouvoir refuser en tant que militants faisant société que s’installent ces technologies qui altèrent voire suppriment nos libertés ou la seule option qui va se présenter à nous sera d’entrer dans la clandestinité. Cette dernière doit se préparer dès maintenant, au cas où.

Ti Wi (GLJD)