Dix jours avant que le procès de Jules Durand ne s’ouvre, c’est celui de l’anarchiste Louis Lecoin qui se déroule. Ce dernier y dénonce l’utilisation de l’armée contre les grévistes. L’armée qui finalement protège les coffres forts…et l’Etat…
LE ROLE DE L’ARMEE DANS LES CONFLITS SOCIAUX
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LE CAS DE CONSCIENCE DU SOLDAT LECOIN
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CONSEIL DE GUERRE DU 8e CORPS D’ARMEE
Présidence de M. LE LIEUTENANT–COLONEL DERVIEU.
Audience du 15 novembre 1910.
Le 17 octobre 1910, en pleine grève des chemins de fer, alors qu’au milieu de l’affolement général, le Gouvernement faisait garder par la troupe toutes les gares et tous les ouvrages d’art, le soldat Lecoin du 85è régiment d’infanterie fut commandé régulièrement par son adjudant pour faire partie du détachement qui devait relever le poste installé à la gare de Cosne (Nièvre).
A 9 h. ½, Lecoin demanda à parler à son capitaine et lui exprima le désir de ne pas être commandé, en déclarant qu’il était syndicaliste, que l’acte qu’on lui demandait d’accomplir blessait ses convictions et qu’au cas où l’ordre serait maintenu, il ne pourrait obéir.
Malgré les observations de M. le Capitaine Gigot, Lecoin ne répondit pas à l’appel de son nom, lorsqu’à 11 heures, on rassembla le détachement. Appelé en présence du chef de bataillon et de deux gradés témoins, il renouvela son refus à l’ordre formel de son capitaine et fut immédiatement mis en prévention de Conseil de Guerre.
L’accusé, qui exerçait la profession de jardinier avant sa venue au régiment, répond d’une façon calme, mais énergique, aux questions que lui pose M. le Lieutenant – Colonel Dervieu. Il donne l’impression d’un convaincu, passionnément attaché à ses idées.
Le Président. – Avant même de vous faire préciser les faits qui vous sont reprochés, je dois constater que, depuis votre entrée à la caserne, votre conduite fut excellente ainsi que votre manière de servir. On vous représente cependant comme un individu taciturne et peu communicatif.
R. – Si je ne frayais pas beaucoup avec mes camarades, c’est que je ne voulais pas être accusé de faire de la propagande syndicaliste à la caserne.
Le Président. – Quoi qu’il en soit, vous avez commis un acte extrêmement grave. Vous n’êtes plus un jeune soldat ; vous savez donc qu’en toute occasion, vous devez obéir à vos chefs.
R. – Lorsque mes chefs m’ont donné un ordre qui blessait mes convictions de syndicaliste, j’ai préféré leur désobéir et encourir toutes les responsabilités que j’ai encourues plutôt que de désobéir à ma conscience.
Le Président. – Vous reconnaissez donc la matérialité des faits qui vous sont reprochés.
R. – Oui, mon colonel. Mais je tiens à préciser certains points. Lorsque je fus commandé au réveil pour faire partie du détachement qui allait prendre la garde à la gare, j’ai simplement demandé à parler à mon capitaine, mais, pour ne pas faire de scandale, et ne pas donner un exemple d’indiscipline, je me suis mis en tenue comme mes camarades.
Lorsque le capitaine arriva à la caserne, je lui dis à peu près textuellement ces mots : « Étant syndicaliste, admirant le mouvement des cheminots et approuvant tous leurs actes, je ne veux pas qu’on se serve de moi comme moyen de répression. Je vous demande donc de ne pas me commander pour ce tour de service. » J’ajoutai d’ailleurs que je m’offrais à prendre la garde à la caserne autant de fois qu’on le voudrait, car je n’avais nullement l’intention de me dérober à un service quelconque.