Revenir aux fondamentaux
Des sociaux-démocrates aux libertaires (dans leur ensemble), la déconnection avec le milieu ouvrier et les employés est réelle. En clair, les personnes aux revenus et retraites modestes ont été laissées pour compte au profit des classes moyennes et « intellectuelles », se concentrant bien souvent sur ce que l’on appelle les sujets sociétaux, certes importants, mais qui n’aident pas à boucler les fins de mois. Les gens n’ont guère d’appétence pour la libéralisation du marché puisqu’ils en subissent les conséquences : cf la mise en concurrence du gaz et de l’électricité par exemple qui n’empêche en rien les hausses faramineuses de ces énergies, au contraire. L’expérience des gilets jaunes devrait nous appeler à méditer quant à une mobilisation des personnes qui ont du mal à vivre de leur travail ou de leur petite retraite.
En creusant bien, les travailleurs sont à la recherche d’égalité et de solidarité. Ils reconnaissent de même les enjeux climatiques. Ce qui nous amène à allier des revendications d’égalité économique et sociale tout en mettant en œuvre des actions contre le dérèglement climatique, actions qui deviennent une nécessité vitale dès aujourd’hui.
Considérer que le milieu ouvrier est acquis aux partis de gauche qui ont exercé le pouvoir à multiples reprises depuis 1981 est une absurdité. Il en est de même pour l’implantation des militants anarchistes dans le monde des gens modestes qui ne sont pas anarchistes de manière innée. Laisser de côté la question du pouvoir d’achat, du logement, des transports, des conditions de travail, des retraites qui permettent de vivre correctement et surtout dignement…c’est favoriser le populisme, les Zemmour et consorts. L’enjeu principal de la présidentielle, c’est le pouvoir d’achat. Les retraites et les salaires qui n’augmentent pas alors que l’inflation dont on nous disait qu’elle serait de courte durée s’installe dans le paysage et impacte le budget notamment des plus précaires et modestes. Si les libertaires ne votent pas, ils entendent bien se faire entendre.
La pandémie a de même accentué la prise de conscience de l’utilité des services publics, notamment l’hôpital qui a subi depuis des lustres, tous gouvernements confondus, un dégraissage massif et une gestion bureaucratique de dérégulation du secteur de la santé.
Pourtant Zemmour, en bon larbin du capital, surfe sur le racisme afin de mettre l’identitaire au cœur de la campagne électorale. Ce qui relègue au second plan les questions salariales et la question écologique. Tout bénef pour le patronat.
Zemmour reprend les fondamentaux de feu le Front National de Jean-Marie Le Pen. Il sait que deux tiers des Français pensent qu’il y a trop d’étrangers en France. Il joue sur l’insécurité (thème important pour qui compte jouer sur les peurs) dans certains quartiers. Il constate que de nombreux Français ont peur d’être déclassés, pensent qu’ils mettent trop de temps à obtenir un logement social, que les immigrés font baisser le coût du travail pour les patrons donc accentuent une pression salariale, qu’ils se concentrent dans certains quartiers…Accusés de communautarisme alors qu’il est humain de se regrouper pour bénéficier d’une certaine entraide, les immigrés seraient la source de tous nos malheurs.
Il ne suffit plus de dénoncer l’extrême droite en démontrant qu’elle ment et clive la société. Les anifascistes doivent réoccuper le terrain de la lutte des classes. Certains objecteront qu’ils le font encore et depuis longtemps, qu’ils ne l’ont jamais quittée. Pour autant, c’est une minorité et une majorité de militants libertaires mais pas qu’eux, s’investissent plutôt dans une myriade de micro-luttes partielles.
La France est un pays d’immigration. Les Auvergnats se sont regroupés autour de la rue de Lappe, les Bretons dans le quartier de Montparnasse à Paris. Au Havre, le quartier Saint-François était un quartier majoritairement breton et les femmes arboraient fièrement leurs coiffes.
A chaque époque, des phénomènes de racisme se sont déroulés. Plusieurs morts de Maghrébins sont à déplorer en janvier 1920 dans les quartiers portuaires du Havre. De vives tensions entre Français et Arabes se font jour au niveau de l’embauchage. On assista à l’époque à une ratonade géante.
Des camarades anarcho-syndicalistes, pourtant internationalistes, posaient le problème de l’utilisation des Polonais embauchés par centaines suite à la grand grève de la métallurgie au Havre en 1922. C’est dire que le problème n’est pas nouveau. Parallèlement dans un quartier comme les Neiges, une entraide réelle se mit en place après la Seconde Guerre mondiale pour accueillir des travailleurs de différentes nationalités : des Espagnols, des Africains…Comme quoi, les situations évoluent et les périodes économiquement difficiles pour les travailleurs influent sur leur comportement.
Un syndicaliste libertaire comme Julien Le Pen insiste sur l’éducation de la classe ouvrière : « S’il est indispensable de l’éclairer et de l’instruire au sein des organisations syndicales sur le rôle primordial qu’elle est appelée à jouer dans les événements sociaux, il ne l’est pas moins de lui apprendre, de lui rappeler que de son esprit de cohésion et de révolte dépendra la conjoncture favorable ou non de la satisfaction de ses besoins et de la réalisation de son idéal d’émancipation. » (P.97 ; Le Pen Le Peuple ; de Sylvain Boulouque- Edition Atlande janvier 2022)
La société ne sera jamais peuplée uniquement de libertaires mais nous devons bâtir un modèle de société émancipée qui tende vers l’anarchie.
Jojo (GLJD)