L’éthique libertaire

Groupe libertaire Jules Durand

L’éthique libertaire

Contrairement aux tenants du capitalisme et du marxisme, les anarchistes considèrent que les problèmes d’organisation de la société sont conditionnés par une conception humaniste du résultat à obtenir. En d’autres termes, la fin ne justifie pas les moyens. Aucun problème humain ne se résoudra sans humanité. Quand la doctrine, la stratégie, la politique, écartent la pratique permanente de la moralité, les plus belles doctrines deviennent prétextes à de hideuses réalités. La primauté de l’éthique ou du principe moral, du point de vue de l’action, en tant que base réaliste d’une organisation sociale souhaitable, est bien plus valorisante et efficace qu’une organisation basée sur des critères purement matériels, fonctionnels et productifs.

L’anarchisme, cela fait partie de sa définition, reste fidèle au principe moral qui est au fond du mouvement socialiste originel. Il oppose la motivation éthique, donc de la volonté, au fatalisme scientifico-historique des communistes autoritaires. Ainsi, ceux dont le socialisme n’est pas pétri d’éthique autant que de science, déforment le sens profond du socialisme. En clair, la solution économique égalitaire dépend avant tout de la conscience morale et de la volonté de justice qui préside à l’organisation ou à la réforme de la société. La civilisation est le fruit d’une incessante continuité d’efforts vers le mieux et tout homme normal éprouve le besoin de faire quelque chose d’utile, utile pour lui-même, pour ses semblables, pour la société.

Les libertaires rejettent la délégation de pouvoir et militent pour que les gens s’approprient des responsabilités afin de leur faire acquérir la conscience de leurs droits et de leurs devoirs, pour que leur dignité soit satisfaite, pour que leur satisfaction les encourage et les soutienne. Cette démarche et ce principe sont à l’opposé des chemins pris par les partis, notamment ceux d’obédience marxiste. Sans la participation consciente de chacun et chacune à la vie collective (dont chacun/e tire ce qui l’enrichit et lui permet de développer sa personnalité), il n’y a pas de collectivité libre. Car la liberté consiste avant tout à vouloir et pouvoir agir dans le sens que notre intelligence, notre esprit, notre capacité créatrice, notre besoin de nous perfectionner et d’être utile, imprime à nos actes. Le problème récurrent est de concilier l’exercice des droits individuels et la marche des structures collectives.

Le socialisme libertaire est réorganisation matérielle de la société, mais il est, en même temps, et peut être avant, création d’un état d’esprit individuel meilleur, harmonie vivante de toutes les individualités. La justice économique implique aussi un caractère moral de haute valeur mais pour qu’elle puisse se réaliser, il faut un certain degré d’éthique, de culture intellectuelle, de sociabilité car il n’est pas du tout sûr que la transformation économique engendrerait automatiquement la transformation morale. La justice est une lutte de tous les jours ;  l’esprit de justice a été le résultat de la lutte des hommes et des femmes obéissant à leur conscience et à leur cœur.

Les libertaires sont souvent vus comme des utopistes (souvent par leurs ennemis) mais l’utopie précède toujours les créations rationalisées. Sans valeurs morales permanentes, et qui ne changent ni dans leur essence ni dans leurs buts, sans loyauté, sans droiture, sans confiance mutuelle, sans entraide, sans justice, sans responsabilité, individuelle et collective, aucune société ne peut durer. Toutes les écoles politiques qui impliquent le triomphe d’un homme ou d’une femme providentiel, ou d’un groupe, aussi vaste soit-il, aux dépens d’autres individus et d’autres groupes, doivent être rejetées. Il n’y a pas de véritable morale humaine en dehors de l’éthique, qui est supérieure à la morale, car elle déborde les interprétations de races, des nations, des partis, des religions, qui se détruisent réciproquement.

L’éthique individuelle consiste à ce que l’homme prenne conscience de ses possibilités à développer dans leur plénitude harmonieuse, toutes les richesses que la nature a mises en lui.

Face aux famines, à l’analphabétisme, à la pauvreté, aux guerres… qui touchent des centaines de millions de personnes dans le monde, peut-on rester sourd aux cris des autres ? Bien évidemment, non. Le bonheur, c’est aussi l’action qui atténue les souffrances de nos semblables. Renoncer aux principes qui impliquent le respect d’autrui, de l’équité, de la justice, c’est sombrer dans le vide ou dans l’abîme. Nous savons cependant que bon nombre de nos concitoyens stagnent dans un égoïsme indifférent et végétatif. Pour autant, nous ne baissons pas les bras. La morale humaine telle que nous la concevons implique la disparition des inégalités économiques et sociales, de l’oppression politique. C’est un critère de valeur universelle.

Qu’il s’agisse du syndicalisme, des coopératives, des groupes libertaires ou de tout autre moyen de transformation sociale, tout cela est insuffisant sans une éthique libertaire. Il est donc nécessaire, si nous voulons trouver le chemin qui pourra nous conduire au véritable socialisme, tel que l’ont conçu ceux qui ont créé l’idéal fraternel et noblement humain, de concevoir le socialisme autrement qu’à travers un mécanisme historique soi-disant maître et déterminant des esprits et des volontés. Le marxisme a déshumanisé l’histoire et son inhumanité s’explique en premier lieu par cette attitude théorique. Il a négligé sciemment, au nom de sa conception étriquée de la science, cette parcelle infime, devant l’immensité du cosmos et du temps, mais énorme dans la relativité de l’humain sur terre qu’est la conscience de l’homme, et la possibilité, et la nécessité de donner au problème moral, au facteur éthique, l’importance que l’expérience a prouvé être primordiale. D’où son amoralisme foncier, la prédominance de l’esprit de triomphe par tous les moyens. Nous pensons donc, devant la doctrine (marxiste) qui nous est proposée et les résultats auxquels elle a abouti, que le marxisme n’est pas du socialisme.

Il nous faut donc remettre l’éthique à la place qui est la sienne pour éviter de nouvelles formes d’oppression et d’exploitation.

Ti Wi (GLJD)