Les élections sacralisent la légitimité du pouvoir politique

L’État n’est pas capable de résoudre nos problèmes de travailleurs. Nous pouvons renforcer cette affirmation à un niveau historique et à un niveau actuel. Nous ne croyons pas à la mythification de certains événements historiques, mais nous croyons à l’utilisation matérielle des leçons tirées des luttes et des expériences passées qui ont conditionné la réalité actuelle. Nous pouvons donner l’exemple des congés payés obtenus en 1936 en France  pour renforcer notre affirmation, en raison de son importance, étant donné qu’ils ont été réalisés grâce à une mobilisation syndicale et populaire en dehors du pouvoir politique qui n’avait pas mis cette revendication à son programme, donc non grâce à la bienveillance des pouvoirs économiques et politiques de l’époque. Cependant, aujourd’hui, c’est presque un luxe de pouvoir prendre des congés ; en effet à peine la moitié des travailleurs peuvent se payer des vacances. En regardant l’actualité, même si elle est moins ambitieuse et quelque peu possibiliste, nous pouvons prendre comme exemple le mouvement contre la réforme des retraites qui a réussi à sensibiliser et mobiliser les salariés, mais qui n’a pas réussi à faire plier le gouvernement Macron. On peut citer aussi la lutte féministe autour des mobilisations du 8 mars, qui a bouleversé le discours dominant, a rendu visible le véritable problème de l’inégalité des femmes dans le monde du travail, la violence sociale qu’elle exerce dans la société patriarcale, modifiant les agendas des partis politiques.

C’est ce type de mobilisations qui  réussit à changer le paysage social. Dans le milieu de travail, la grève est le meilleur outil dont disposent les travailleurs pour obtenir des améliorations ou défendre leurs conditions de travail contre les attaques des employeurs. Les organisations et mobilisations sociales extérieures au pouvoir politique sont celles qui ont réussi à mettre sur le devant de la scène le problème du réchauffement climatique, le débat sur les méga-bassines, à conquérir la dignité des femmes ou à contrecarrer le discours du pouvoir dominant. Et il est important de le souligner, car pendant que ces mobilisations ont lieu, aucun parti n’a absolument rien fait pour les droits économiques et sociaux des travailleurs, pas grand-chose non plus pour lutter contre les pesticides, le dérèglement climatique…. Au contraire, les politiciens ont continué à légiférer contre cela. La réforme des retraites n’a pas été abrogée et le système de retraite continue de faiblir, les soins de santé privés continuent d’être favorisés par rapport aux soins de santé publics, l’école publique est attaquée de toutes parts, la FNSEA fait sa loi et ainsi de suite.

La dénonciation classique que font les anarchistes contre l’État n’est pas nouvelle. Mais, avec les exemples que nous avons donnés précédemment, nous continuons d’affirmer avec fermeté que l’État ne légifère que pour servir les intérêts du pouvoir économique. Une puissance économique libérale qui vit de la sueur des travailleurs du monde entier, qui a reçu une meilleure éducation dans des écoles d’élite, qui est organisée, qui sait influencer les hautes sphères politiques dans la poursuite de ses intérêts et contre les intérêts de ceux qui génèrent réellement la richesse dont ils jouissent : nous, les travailleurs.

Grâce aux élections et à la « démocratie représentative », le mécanisme de domination du pouvoir politique et économique et le monopole de la violence sont légitimés. L’histoire nous montre que des acquis sociaux ont été obtenus et sont obtenus en nous organisant, en luttant dans les rues, sur les lieux de travail, dans les quartiers, dans les salles de classe, etc., et qu’aller de pair avec le pouvoir politique et économique ne nous mène qu’à la perte de nos droits, à la défaite et à la destruction de la planète.

Rien n’existe en dehors du pouvoir dominant. Les discours, qu’ils émanent d’anarchistes ou de tout autre mouvement social ou idéologie cherchant à vaincre le capitalisme, sont marginalisés s’ils se situent en dehors du discours dominant.

À la télévision, à la radio ou dans la presse écrite ou numérique, il existe un discours consensuel qui se répète continuellement dans tous les médias. Sur les réseaux sociaux, même s’il y avait autrefois une brèche où pouvait émerger un contre-discours qui a eu un impact, il a déjà été renversé. Les canulars et autres fausses nouvelles financés par le pouvoir économique propagent le racisme et la confusion et détournent toute forme d’attention vers le discours du pouvoir.

Le discours est beaucoup plus puissant et beaucoup plus développé qu’il y a près d’un demi-siècle. Que l’État exerce un monopole de la violence n’est pas quelque chose que nous, anarchistes, avons inventé soudainement, comme l’ont déjà dit divers auteurs de sociologie classique du XIXe siècle. Mais lorsqu’il s’agit d’utiliser cette déclaration comme argument pour montrer les injustices derrière les accusations et les arrestations aveugles de manifestants pour des droits légitimes et même constitutionnels, nous sommes dégradés et méprisés sans pratiquement aucun argument au-delà du fait que les politiciens en place sont légitimés à le faire parce que les gens ont voté pour eux, même si c’est de moins en moins le cas aujourd’hui. Et si vous essayez encore de justifier votre position, ils se renforceront, ils vous diront que vous êtes le coupable des problèmes qui nous tourmentent, ils vous traiteront de fou, ils vous humilieront et vous mépriseront. Tout ce qui ne fait pas partie de cette structure de pensée et d’action sera catégorisé de manière péjorative, avec le plus de préjugés possible, et vos propos seront dénaturés et finalement exclus de tout débat. En effet, à travers un ensemble de règles inconscientes, le discours détermine les limites de notre pensée et de notre action. Ainsi, il est déterminé dès le premier instant qui peut parler et qui ne peut pas.

Pour autant, nous ne pensons pas que la meilleure manière de faire face à cette situation passe par l’isolement ou par des slogans vides de sens. Nous pensons que le discours dominant peut être renversé et dépassé grâce à des idées fortes et une pratique cohérente avec notre façon de penser. Les élections leur confèrent une légitimité dans le cadre des règles du jeu de la démocratie représentative, mais une mise en œuvre ferme et cohérente le reste du temps est la clé pour construire des alternatives économiques libertaires et parvenir à l’égalité sociale.

Dans le cadre des règles du jeu de la démocratie représentative, la légitimité est cruciale pour qu’un certain parti puisse occuper le pouvoir politique. Durant la période monarchique absolutiste, les rois trouvaient leur légitimité dans une divinité, en Dieu. Ce qu’ils appelaient la succession de droit divin. Aujourd’hui le « pouvoir du peuple » est cette légitimité dont les partis politiques ont besoin pour gouverner dans les États-nations modernes. C’est grâce au soutien que les électeurs apportent lors des élections qu’ils peuvent formuler et mettre en œuvre leurs objectifs politiques. Peu importe les objectifs politiques. Les partis élaborent des programmes pour convaincre l’électeur. Après ce rituel, ils n’ont plus besoin de se justifier auprès de leurs électeurs lorsqu’ils mènent des politiques qui vont à l’encontre de ce qu’ils avaient promis.

Pour que nous allions voter, il y a une partie importante du discours qui est déterminée par la sentimentalité. À travers le processus rituel des élections et de leur participation, les citoyens tissent des liens émotionnels décisifs avec l’État. Beaucoup de gens peuvent se plaindre jour après jour de la répression, des obstacles bureaucratiques, etc., mais ils continuent à se rendre aux urnes à cause de ce lien émotionnel avec l’État, avec l’espoir que les choses changent ou non. Ce lien avec l’État, ce symbole qu’est l’acte de voter, sacralise la légitimité du pouvoir politique.

Indépendamment de tout lien sentimental, l’État est un ensemble d’institutions soutenues par une légitimité. Il se perpétue ainsi dans le temps. Le pouvoir économique continue d’être soutenu par le pouvoir de l’État, la parole et le monopole de la violence. Les hommes d’affaires, pour rester ancrés au pouvoir, invoquent le nationalisme et utilisent le racisme pour diviser la classe ouvrière tout en continuant à vivre du travail de chacun d’entre nous.

Abstention ou pas, l’important c’est la mobilisation.

En tant qu’anarchistes, nous appelons à l’abstention active. C’est-à-dire ne pas participer au rituel de la démocratie représentative et ne pas tout oublier pendant autant d’années, jusqu’aux prochaines élections. Nous défendons que les choses changent grâce à l’organisation, à la mobilisation et à la subversion dans tous les domaines économiques et sociaux de nos vies. Nous sommes également réalistes et conscients que les choses ne changeront pas si nous n’allons pas voter un jour, mais nous pensons qu’il est nécessaire de prendre conscience de ce qui se passe autour de nous, car c’est l’affaire de tous de mettre fin aux injustices sociales et économiques et aux inégalités.

Les conceptions de l’État et de la religion sont très similaires. C’est la vision du monde d’une réalité avec laquelle nous avons été éduqués depuis que nous sommes jeunes. Ce sont des concepts qui impliquent un dogme de foi, au-delà de ceux que nous ne pouvons pas voir, étant donné que les choses sont ainsi parce que c’est ainsi qu’elles sont établies. Ceci est renforcé par des modèles culturels hérités du concept d’État-nation né au XIXe siècle, qui nous inscrivent dans une idéologie et un ordre de société établis par le pouvoir politique et économique au fil des siècles.

Nous, anarchistes, sommes opposés à cet ordre social auquel on nous a appris à croire depuis l’enfance. Contrairement à ce que prétend le discours dominant, nous ne sommes ni antisociaux ni violents. Au contraire, nous défendons l’entraide entre les êtres humains comme le meilleur mécanisme de combat. En outre, nous essayons de renverser l’économie capitaliste depuis ses fondations et/ou de construire des structures horizontales et fédéralistes pour créer des alternatives productives socialistes libertaires. C’est l’État et le capitalisme qui exercent le monopole de la violence, encouragent les conflits armés, créent des structures d’inégalité et de domination et promeuvent une conception égoïste, nihiliste et destructrice de la vie, pour obtenir le plus grand bénéfice possible avec le minimum d’effort.

Pour mettre fin au chômage et à la précarité de l’emploi, pour lutter contre la privatisation de la santé et de l’éducation, pour défendre des retraites équitables qui résultent du travail accompli tout au long de notre vie, pour mettre fin aux guerres qui ravagent le monde, pour mettre fin à la déforestation et à la destruction de la planète, et, en fin de compte, pour mettre fin aux inégalités économiques et sociales générées par l’État et le capitalisme, nous n’avons qu’une organisation, une mobilisation et un travail positif constant en dehors des partis politiques et des structures de pouvoir dominantes. C’est l’anarchisme.

« Il est dans la nature de l’État de se présenter, tant par rapport à lui-même que par rapport à ses sujets, comme l’objet absolu. Servir sa prospérité, sa grandeur, sa puissance, telle est la vertu suprême du patriotisme. L’État n’en reconnaît pas d’autre, tout ce qui lui sert est bon, tout ce qui est contraire à ses intérêts est déclaré criminel ; telle est la moralité des États.

C’est pourquoi la morale politique a toujours été non seulement étrangère, mais absolument contraire à la morale humaine. Cette contradiction est une conséquence inévitable de son principe : l’État se positionne comme un tout ; Il ignore la loi de tout ce qui, n’étant pas lui-même, est extérieur à lui, et quand il le peut, sans danger, il la viole. L’État est la négation de l’humanité. » Bakounine