Le communisme-anarchiste
« Le communisme-anarchiste est la qualité ou forme constitutive d’une société égalitaire et libertaire (pouvant ne s’étendre qu’à une partie quelconque de l’humanité, comme pouvant embrasser l’humanité toute entière) où la portion du globe occupée par cette société, ainsi que les instruments de travail et tous les moyens de production qu’elle possède, sont la propriété indivise de la collectivité, et sont exploités par celle-ci, d’après un mode unissant l’utilité commune à l’autonomie complète, absolue de l’individu.
Où, de plus, tout gouvernement, tout pouvoir, toute autorité constituée est absolument exclue des rapports des individus, vivant isolés ou par groupes, séparés ou fédérés et se groupant ou se fédérant par affinité de profession, de goût, de caractère, d’idées, de but, etc., etc.
Où, enfin, n’existe pour l’homme d’autre loi, d’autre règle, d’autre morale que celles que sa raison et sa conscience lui dictent, d’autre répression que la réprobation publique ou la peine qui peut résulter pour lui de l’action défensive ou justicière de celui qu’il a outragé ; d’autre garantie contre l’injustice et la violence que le droit de résistance à l’oppression. »
L’Idée ouvrière N° 34 du 28 Avril au 5 Mai 1888
Dans le cadre de la solution de la question sociale, les anarchistes havrais pensent que pour obtenir l’adhésion du plus grand nombre possible de travailleurs, il faut argumenter sérieusement face à leurs détracteurs. Vérifier donc la valeur des principes Communistes-Anarchistes: des points de vue de la morale, de la justice et d’une saine économie. Afin de faire ressortir les avantages qui résulteraient de la réalisation sociale du Communisme-Anarchiste, prouver sa possibilité et, enfin, indiquer les voies et moyens préalables à employer pour arriver à substituer ce régime social à celui qui prévaut actuellement. (L’Idée ouvrière N° 39 du 2 au 9 Juin 1888)
La morale anarchiste
« Si les principes énoncés dans notre définition du Communisme-Anarchiste paraissent donner prise à la critique, nous ne pouvons penser que cela soit en les considérant du point de vue de la morale. En effet, si, comme cela résulte autant du sentiment populaire que de tout ce qui a été dit sur cette matière par les plus célèbres moralistes, nous devons entendre par morale, l’ensemble de ces préceptes qui font de celui qui, dans son commerce avec autrui, se les donne pour règle habituelle de conduite ce qu’on appelle un homme vertueux, il devient impossible, à moins d’une mauvaise foi absolue ou d’une surdité intellectuelle incurable, de nier le caractère hautement moral de ces principes. En effet, quoi de plus propre à nous pousser à la vertu, c’est-à-dire nous rendre plus justes, plus sincères, plus solidaires, plus fraternels, plus désintéressés, plus généreux, plus indulgents et, par-dessus tout, plus utiles envers nos semblables que nous le sommes, par conséquent quoi de plus moral, qu’une situation sociale où tous sont égaux et frères, où nul ne peut avoir le droit ni d’exploiter, ni de dominer, ni de violenter les autres ? Réaliser une telle situation, n’est-ce pas réaliser, dans ce que leur ensemble a de plus éminemment moral, les aspirations de ces hommes d’élite, de ces grands philosophes, de ces savants penseurs qui font la véritable gloire de l’humanité et dont les discours, les écrits ou les actes servent non seulement à inspirer tout ce que l’esprit, le génie et le courage humain peuvent accomplir de beau, de grand et de généreux, mais encore à nous montrer que le meilleur moyen de faire avancer la Civilisation dans la voie du progrès moral ne consiste à asseoir et maintenir, au prix de l’ignorance, de la sujétion et de l’affreuse misère du plus grand nombre, l’édifice social sur ce principe aussi odieux que ridicule : « chacun pour soi et Dieu pour tous », mais sur ceux de l’amour d’autrui, de la fraternité sociale, de la solidarité universelle, de l’association des forces productrices en vue de l’utilité commune et du bien-être général, du savoir pour tous, de l’égalité économique et de la liberté absolue de l’individu !
Quoi de plus moral encore que de rendre propriété commune la terre, les instruments de travail et les richesses créées par l’effort collectif ? N’est-ce pas enlever le caractère pénible et avilissant qu’introduisent dans les conditions actuelles du travail privilèges abusifs, inhumains, attachés à la propriété individuelle ? N’est-ce pas aussi préserver le travailleur de l’influence démoralisatrice qu’exerce sur lui les hontes, les humiliations, les abjections de toutes sortes qu’il est quotidiennement obligé de subir ou même de solliciter pour ne pas mourir de faim ? N’est-ce pas enfin supprimer la cause première des haines, des vengeances, des suicides ou des crimes qu’engendrent ces souffrances imméritées : car d’où viennent celles-ci si ce n’est de ce fait que la terre et les richesses arrachées à son sein par les travailleurs sont appropriées par un petit nombre d’individus dont la rapacité ne laisse même pas à ceux dont le labeur les enrichit, de quoi pourvoir seulement au plus strict nécessaire, et les condamne ainsi par millions, chaque année, à mourir du mal de la faim !
Quoi de plus moral encore que d’éliminer de nos rapports tout ce qui constitue soumission, obéissance, assujettissement de ceux-ci à ceux-là et d’y substituer la libre entente d’individu à individu ou de groupe à groupe ; et de remplacer ces institutions prétendues protectrices du droit des gens et de la sécurité publique qu’on nomme gouvernement, magistrature, police, armée, par le droit absolu pour chacun de résister à toute espèce d’oppression ? N’est-ce pas assurer la fidélité aux promesses, le respect des engagements, l’inviolabilité des contrats ? N’est-ce pas bannir l’astuce, le mensonge, la fourberie, le chantage, qui, aujourd’hui, constituent le caractère principal de nos rapports sociaux.
Enfin, quoi de plus moral que d’instituer pour juge de l’action coupable, la conscience même de celui qui l’a commise, de ne reconnaître d’autre légitime répression que le blâme, la déconsidération ou la réprobation publique ? N’est-ce pas mieux que les vengeances judiciaires et les tortures pénitentiaires, faire renaître ou développer chez l’individu le sentiment de la dignité et de l’honneur ? N’est-ce pas opposer le frein le plus sûr aux instincts mauvais, aux passions malsaines et opérer, en quelque sorte, dans nos mœurs, nos habitudes, et jusque dans nos paroles, une sélection morale telle, qu’un jour nous arriverons tout naturellement à ne trouver notre propre intérêt, à ne sentir notre propre bonheur, que dans l’intérêt et le bonheur de nos semblables ?
Qu’on ne nous dise donc pas que les principes communistes-anarchistes, que nous proposons à l’adhésion des travailleurs, comme étant les seuls de l’application desquels puisse résulter la solution de la question sociale, sont contraires aux règles de la morale : quand tout prouve si clairement, leur haute, leur incomparable moralité. »
L’Idée ouvrière N° 40 du 9 au 16 juin 1888
Merci à Patoche (GLJD)