Durand était-il anarchiste ?
26 novembre 1910 in Le Petit Phare : « Un des condamnés à mort »
On entend maintenant le principal témoin, M. Argentin, un de ceux qui auraient été condamnés à mort par le syndicat.
« J’ai assisté un jour, dit-il, à une réunion du syndicat. Après l’exposé des différentes revendications Henri Boyer est monté à la tribune et a dit : « Dongé travaille. Il faut lui donner une bonne correction qu’il attrape au moins dix mois d’hôpital ». Alors Durand, à une porte, a dit : « Dongé est un renégat qui trahit, il faut s’en débarrasser, ainsi que de Leblond ». Il a demandé vingt « costauds » décidés.
D.-en connaissez-vous ?
R. – j’en connais cinq ou six
Et le témoin cite des noms.
Durand et Boyer, interrogés, protestent. « Je ne connais même pas Leblond », déclare Durand.
L’ouvrier charbonnier Charles Dumont affirme que dans la première réunion à la Maison du Peuple, on avait décidé la mort de Dongé, Argentin et Leblond. Durand avait prononcé ces paroles : Votre syndicat n’est pas comme les autres ; c’est un syndicat révolutionnaire à la tête duquel il y a des anarchistes comme Brierre. » »
-Est-ce vrai ? demande le président
Durand : – le témoin fait erreur. J’ai dit que le syndicat était autonome, c’est-à-dire industriel.
Le témoin : – vous avez dit : « camarades, notre syndicat est révolutionnaire puisqu’il y a des anarchistes à sa tête. » Et en parlant de votre père, vous avez même dit : « Si mon père ne vient pas se syndiquer, on le traitera comme les autres. »
Durand : – je souhaiterais que Dumont aimât ses parents comme moi les miens.
Accusations précises…
L’ouvrier charbonnier Paquantin fait une déposition identique : « C’est à mains levées qu’on décidait dit-il, de faire disparaître les travailleurs. » Et quelqu’un ajouta : « s’il arrive malheur on prendra sa femme et les enfants. »
Dans cet article de presse de la région nantaise, nous trouvons bien sûr les faux témoignages de Paquentin, Dumont et Argentin mais une vérité sur la direction anarchiste du syndicat des charbonniers.
Plusieurs personnes nous ont contactés pour nous demander pourquoi l’appartenance de Durand à la CGT a été davantage mise en avant plutôt que ses convictions libertaires.
A cela, plusieurs raisons. Il faut remettre dans son contexte l’Affaire Durand. Les lois scélérates contre les anarchistes ont été votées en 1893 et 1894. Nous en trouvons une analyse dans la brochure de Pressensé et Pouget : « Sera déféré aux tribunaux de police correctionnelle et puni… tout individu qui… sera convaincu d’avoir, dans un but de propagande anarchiste 1° Soit par provocation, soit par apologie des faits spécifiés, incité une ou plusieurs personnes à commettre, soit un vol, soit un crime de pillage; de meurtre, etc.
2° Adressé une provocation à des militaires. dans le but de les détourner de leurs devoirs (sic) et de l’obéissance qu’ils doivent à leurs chefs dans ce qu’ils leur commandent pour l’exécution des lois et règlements militaires (sic) et la défense de la Constitution républicaine, alors même que ce ne serait pas dans un but de propagande anarchiste.
Brochure « Les lois scélérates 1893-1984 de Francis de Pressensé et Emile Pouget ». On trouve le texte sur le site de la BNF.
Le célèbre procès des trente avait aussi pour but de faire condamner les propagandistes libertaires les plus en vue au motif d’une responsabilité morale donc d’une complicité morale. Si les anarchistes n’ont pas été condamnés à cette date, il n’est pas sûr que Durand, l’anarchiste, n’aurait pas été condamné lourdement en 1910, soit 16 ans plus tard, en application des lois scélérates…
Par ailleurs, nous trouvons le même angle de défense pour Francisco Ferrer en 1909 où son appartenance aux idées libertaires est remisée pour ne mettre en avant que son côté pédagogue et libre penseur. Ce qui ne l’empêchera pas d’être exécuté…
Le terme anarchiste a toujours eu une connotation péjorative dans l’opinion publique et se réclamer de l’anarchisme est plutôt un handicap quand on compte lors d’un procès, sur l’opinion du plus grand nombre.
Nous avions déjà évoqué le fait que la plupart des dirigeants des syndicats de l’Union des Syndicats du Havre (U.S.H) étaient d’obédience anarchiste, ce qui a conduit à l’élection d’ Adrien Briollet (1909) puis Cornille Geeroms (1910) comme secrétaires de l’USH…Deux libertaires…
Nous tenons à préciser que nous avons commis une erreur en appelant Geeroms, Camille (rapports de police erronés quant au prénom). Alain Scoff commet de même une erreur quant au prénom Corneille…Erreur reprise par les Amis de Jules Durand…Certainement dû au fait que dans le journal de Rouen, le secrétaire de la CGT havraise est nommé Corneille Geeroms… Le véritable prénom de Geeroms est bien Cornille. Nous avons par ailleurs rencontré l’un de ses descendants…
Nous reviendrons sur l’itinéraire de Cornille Geeroms et sur l’anarchisme de Durand ultérieurement.