
Notre intention est de rapprocher les idées et les pratiques de l’anarchisme, même de manière simple et concise, des jeunes et du reste de la population. En ces temps dystopiques, en ces temps difficiles où les événements grotesques, les aberrations quotidiennes et les excentricités d’ordre social, politique et éthique ne cessent de nous surprendre ; à une époque où les sondages officiels et délibérés nous indiquent que les jeunes se tournent vers l’extrême droite et l’autoritarisme ; il est très stimulant, passionnant et nécessaire de réfléchir à la manière dont l’anarchisme peut commencer à s’inscrire dans l’imaginaire, à devenir une référence pour la jeunesse d’aujourd’hui et de demain pour tous.
Le plus concret est d’expliquer l’anarchie, de dire quelles sont les caractéristiques historiques et les réponses que l’anarchisme a apportées et continue d’apporter aux enjeux politiques, économiques, sociaux et la de la vie quotidienne : démocratie directe/ démocratie représentative, État/ Gestion directe, élections/action directe… collectivisation, femmes libres, décroissance, migrations, effondrement, antimilitarisme, intelligence artificielle, etc. Cela ne doit pas être interprété comme la contribution d’un corps doctrinal et identitaire orthodoxe et monolithique face à l’acceptation et à la reconnaissance de la pluralité des anarchismes : collectiviste, communiste, mutualiste, primitiviste, individualiste, anarcho-féministe, anarcho-syndicaliste, etc.
A propos de la jeunesse d’aujourd’hui, comment comprendre l’évolution de celle-ci par rapport aux jeunesses précédentes, quelles grandes questions touchent ou pourraient définir la jeunesse aujourd’hui, dans le but d’explorer chacun sa personnalité. Quelle place tiennent les réseaux sociaux, les influenceurs, les youtubeurs etc.
Comment identifier les livres comme le meilleur outil pour faire face à la réalité numérique qui nous entoure ; l’espace social à occuper par les personnes âgées, dont nous devrions bénéficier de l’expérience ; questionner la capacité et l’intelligence du capitalisme (éco-fascisme) à continuer d’être « la meilleure et la seule solution »; et confirmer la réalité des Temps Sombres actuels capables de provoquer la fin de l’espèce humaine.
Les médias relayés par les réactionnaires de tous poils nous vendent l’idée que les jeunes ne participent pas à la vie sociale, manquent d’engagement et ne sont pas engagés politiquement… C’est un peu l’argumentaire des partisans du SNU en France. On nous dit que les jeunes sont xénophobes, racistes, sexistes, masculinistes et surtout, qu’ils vivent dans une orgie hédoniste, consumériste et acritique permanente, sans autre critère que leur individualisme et la recherche du plaisir immédiat, loin de tout engagement collectif ou solidaire. Une jeunesse dont le fonctionnement cognitif est altéré par l’éducation et le développement par le biais du numérique, des réseaux sociaux, des algorithmes manipulateurs et du pathos d’influenceurs crétins qui la poussent vers la désinformation la plus totale. Mais est-ce vraiment cette jeunesse que nous côtoyons au quotidien?
Il faut éviter de tomber dans le piège en parlant de la jeunesse comme d’un tout absolument homogène ; si nos schémas mentaux nous permettent de l’envisager dans une perspective plus large, en nous éloignant du cadre officiel, nous découvrons que les jeunes ont également été ceux qui ont le plus participé au travail bénévole quand il y a eu des inondations dans le Pas-de-Calais… mais aussi à Valence en octobre 2024 ; pendant de nombreux jours, lançant un appel clair, un signe évident de soutien mutuel, d’auto-organisation et de solidarité. De même, les jeunes ont participé massivement aux mobilisations sociales et étudiantes contre la guerre, le génocide du peuple palestinien, la vente d’armes à Israël et contre le réarmement militariste auquel le trumpisme et l’OTAN nous ont conduits. Les jeunes ont été les protagonistes spontanés de mouvements pour un logement décent et la lutte contre les expulsions, de la lutte féministe ou du mouvement des fiertés LGBTQI+, du mouvement écologiste, des mouvements sociaux répandus dans tout le pays, du mouvement pour la ruralisation des villes de plus en plus inhabitables (canicules, ghettos…) et du retour à la vie rurale (maraîchage, élevage…).
Ce sont les jeunes d’aujourd’hui qui perçoivent, peut-être pour la première fois depuis plusieurs générations, leur avenir comme un net recul par rapport à celui de leurs parents. Une jeunesse qui cherche sa place dans un monde dont elle hérite de la dégradation des droits sociaux et du travail, d’une compétitivité extrême, d’un néolibéralisme féroce et, fondamentalement, d’une détérioration irréversible de notre relation à la vie sur la planète, dans un contexte de changement climatique, de raréfaction des ressources et de crise environnementale sans précédent pour notre espèce. Avec une menace nucléaire qui plane avec la Russie, la Corée du Nord…
La génération actuelle vit et continuera de vivre plus mal que ses parents, entre autres, à cause du modèle économique du capitalisme de dernière génération, négationniste, suprémaciste et orienté vers une croissance illimitée, capable d’opter pour la dégénérescence absolue du travail et des relations humaines en raison de l’ignorance de la déprédation à laquelle il soumet les ressources environnementales, ce qui nous conduira sans aucun doute, tôt ou tard, à un effondrement généralisé .
Dans cette situation d’effondrement, les vieilles recettes néolibérales ne leur serviront plus ; elles seront insuffisantes, car l’éco-fascisme qu’ils projettent, ultime visage du capitalisme, utilisera le pouvoir et la force sans aucune considération pour gérer de manière arbitraire et sectaire les rares ressources environnementales restantes. Quel rôle futur attend la majorité de la population ? Voilà la question primordiale à se poser.
Nous, adultes, ne pouvons donner de leçons à la jeunesse que nous accusons d’être démobilisée, de manquer de conscience sociale ou politique. Nous, adultes, n’avons qu’une compréhension vague, imprécise, accessoire et hors sujet du désastre et de la dégradation environnementale que nous subissons, et à laquelle nous ne pouvons qu’imaginer et apporter des réponses continuistes comme le capitalisme vert ou les campagnes de recyclage, sans pour autant proposer un changement de modèle social, économique ou environnemental. Nous, adultes, avons négligé de transmettre, avec suffisamment de conviction, la conscience de classe et l’esprit critique, la valeur de l’éducation, de la solidarité et du partage. Nous, adultes, avons assisté impassiblement à la hausse du coût du logement et à la perte des droits syndicaux, sociaux et du travail, acceptant que les jeunes soient embourbés dans une précarité professionnelle absolue qui les empêche d’atteindre la maturité nécessaire pour envisager de devenir indépendants de leur famille et de construire la leur sous toutes ses formes, ce qui se traduit également par des problèmes de santé mentale endémiques. Ceux d’entre nous qui, adultes, ont contribué à l’apathie actuelle par leur démobilisation ; celles d’entre nous qui restent ancrées dans le patriarcat et les graves conséquences de la violence qu’il entraîne pour les femmes…
Nous ne pouvons pas être fiers du monde que nous laissons laissé derrière nous, embourbé dans les guerres, la violence, les massacres, les exterminations, les génocides, les inégalités extrêmes, la pollution et un monde insoutenable pour la vie dans un avenir proche notamment avec le dérèglement climatique.
Penser « l’effondrement » est l’occasion de réfléchir au présent et, surtout, à l’avenir, et de proposer des propositions et des modèles libertaires qui le construisent comme une alternative à celui que nous connaissons. Si le débat sur l’effondrement, ses causes et ses conséquences (le modèle économique capitaliste qui le provoque, les crises liées à l’épuisement des ressources énergétiques et environnementales, le changement climatique, etc.) ne relève actuellement que de la fiction littéraire ou cinématographique, la réalité déterminera sans aucun doute s’il commence à s’intégrer de manière critique et imminente au débat politique et social, et si nous sommes capables d’apporter des réponses éco-sociales garantissant l’égalité et l’avenir de l’humanité, dans une société plus rurale, décroissante, moins complexe, plus communautaire, toujours sous notre contrôle humain, avec des pratiques de démocratie directe et d’entraide, contrairement aux propositions éco-fascistes que les dirigeants déploieront dès que nécessaire.
Les dystopies sont désormais monnaie courante. Nous les vivons presque naturellement. Elles ont cessé de nous surprendre. Elles ne sont plus fiction. Elles se sont installées dans notre imaginaire comme une réalité : nous assistons impassiblement au génocide du peuple palestinien retransmis en direct à la télévision ; nous assistons aux massacres au Soudan sans broncher…Donald Trump inaugure une prison entourée de crocodiles ; un génocidaire veut nommer un président autoritaire pour le prix Nobel de la paix ; des milliers de migrants sont pourchassés en vue d’être expulsés ; la guerre capricieuse des tarifs douaniers met la qualité de vie des populations au service des intérêts fallacieux des multinationales et des magnats.
Si tels sont les voeux de la jeunesse, nous aurons du mal à avancer. N’attendons pas un effondrement pour développer de nouvelles formes d’existence, de nouvelles formes d’auto-organisation sociale. Vivons dès maintenant des utopies. Que la jeunesse et les plus âgés optent pour l’entraide et s’allient pour aller vers une société d’égalité économique et sociale dans la liberté.