Influence invisible et dictature invisible
Les anarchistes ont deux réponses aux affirmations selon lesquelles Bakounine (et, par implication, tous les anarchistes) recherchent une dictature « invisible » et ne sont donc pas de vrais libertaires. Premièrement, et c’est le point sur lequel nous allons nous concentrer dans ce court texte, l’expression de Bakounine est sortie de son contexte et, lorsqu’elle est placée dans son contexte, elle prend un sens radicalement différent de celui qu’impliquent les critiques de l’anarchisme. Deuxièmement, même si l’expression signifie ce que les critiques prétendent qu’elle signifie, elle ne réfute pas l’anarchisme en tant que théorie politique (pas plus que le racisme de Bakounine ou le sexisme et le racisme de Proudhon). C’est parce que les anarchistes ne sont pas que des bakouninistes (ou proudhoniens ou kropotkiniens ou tout autre personnage). Nous reconnaissons les autres anarchistes pour ce qu’ils sont, des êtres humains qui ont dit beaucoup de choses importantes et utiles mais qui, comme tout autre être humain, font des erreurs et sont souvent en deçà de toutes leurs idées. Pour les anarchistes, il s’agit d’extraire les parties utiles de leurs œuvres et de rejeter les inutiles (ainsi que les pures bêtises !). Le fait que Bakounine ait dit quelque chose ne signifie pas que c’est correct. Cette approche sensée de la politique semble avoir été perdue pour les marxistes. En fait, si l’on va jusqu’au bout de la logique de ces marxistes, il faut rejeter tout ce que Rousseau a écrit (il était sexiste), Marx et Engels (ses propos contre les Slaves me viennent à l’esprit, ainsi que de nombreux autres propos racistes), etc.
En fait, cette notion d’influence (ou d’autorité) « naturelle » a aussi été qualifiée d’« invisible » par Bakounine : « Il suffit qu’un travailleur sur dix adhère sincèrement et en toute connaissance de cause à l’ Association [internationale des travailleurs, que les neuf dixièmes qui restent en dehors de leur organisation en sont pourtant invisiblement influencés… ». Ainsi, comme on peut le voir, les termes de dictature « invisible » et « collective » utilisés par Bakounine dans ses lettres sont fortement liés au terme « influence naturelle » utilisé dans ses travaux publics et semble être utilisé simplement pour indiquer les effets d’un groupe politique organisé sur les masses. Pour le voir, il vaut la peine de citer longuement Bakounine sur la nature de cette influence « invisible » :
« Le rôle du groupe anarchiste n’est donc pas d’importer une idéologie étrangère dans la classe ouvrière, mais plutôt d’aider à développer et à clarifier les idées des ouvriers qui passent de l' »instinct » à l' »idéal » et d’aider ainsi ceux qui connaissent ce développement. Ils aideraient ce développement en fournissant une propagande qui expose le système social actuel (et ses fondements) comme étant en faillite, ainsi qu’en fomentant la résistance à l’oppression et à l’exploitation. La première, pour Bakounine, permettait d’apporter une expression générale plus juste, une forme nouvelle et plus sympathique aux instincts existants du prolétariat… [qui] peut parfois faciliter et précipiter le développement… [et] lui faire prendre conscience de ce qu’il a, de ce qu’il ressent, de ce qu’il veut déjà instinctivement, mais vous ne pouvez jamais leur donner ce qu’ils n’ont pas . Cette dernière « est la forme de propagande la plus populaire, la plus puissante et la plus irrésistible » et « éveille dans les masses tous les instincts sociaux-révolutionnaires qui résident au plus profond du cœur de chaque ouvrier » permettant ainsi à l’instinct de se transformer en « pensée socialiste ».