Le Havre ouvrier: L’Idée Ouvrière est un organe d’avant-garde

Volcan4

Aux Travailleurs

L’Idée Ouvrière n’est pas l’œuvre d’hommes journalistes de profession, avocats sans cause, fruits secs de la bourgeoisie, dont la conviction n’est faite que d’appétits et ne voyant dans un journal qu’un moyen de vivre aux dépens des naïfs, un tremplin électoral.

Ce que n’ont pas ces individus, et que nous possédons, c’est un idéal, puissant et généreux, qui fait battre notre cœur, trouble notre cerveau, et nous pousse irrésistiblement. Cet idéal, nous voulons en faire partager l’espérance à ceux qui souffrent des mêmes maux que nous, qu’ont le cou pris dans le même collier.

Il est superflu de dire que nous sommes loin d’être riches ; ce n’est que grâce à nos gros sous péniblement amassés, rognés sur un salaire mesquin, que L’Idée Ouvrière doit de naître. Nous n’avons pas  et ne voulons pas de bailleur de fonds (et en voudrions-nous, que nous n’en trouverions pas) qui nous imposerait ses manières de voir et dirigerait le journal dans la voie la plus fructueuse à ses intérêts.

L’Idée Ouvrière est un organe d’avant-garde, qui au lieu de prêcher le calme et la résignation aux travailleurs, leur fera honte de leur avachissement et démontrera que pour se faire rendre justice, il faut non quémander, mais parler en maître. Il faut que le peuple acquière la conscience de sa force et remplace la servilité par l’esprit de révolte.

Ce que l’on pense à l’Idée Ouvrière, c’est que tout n’est pas dit en fait de progrès ; que par cela seul, que les Révolutions passées ont émancipé la bourgeoisie, lui ont donné le pouvoir sous toutes ses formes, l’Humanité doive s’astreindre au piétinement et renoncer à toute marche en avant.

Au-dessous de la bourgeoisie, il y a le peuple. Le peuple ! légions innombrables, tombe de vaincus, plutôt que cohorte d’hommes libres, d’où les râles des mourants s’élèvent seuls. Le prolétaire moderne est aussi au-dessous du bourgeois que l’esclave antique l’était au citoyen, que le serf du moyen-âge l’était du seigneur féodal.

Ce sont ces légions, ces masses confuses que nous appelons à la liberté. Elles qui de leur sang fécondent la nature, produisent toutes les richesses que sans vergogne gaspillent leurs maîtres. Et, pour les rémunérer de ce bienfait incommensurable, elles n’ont à espérer qu’une vie d’angoisse et de misère ; la vie pour elles n’est qu’une sanglante ironie et n’est autre qu’une longue agonie. Leurs pères ont trimé du berceau à la tombe ; eux travaillent sans trêve ni repos, et c’est un aussi sombre avenir qui attend leurs enfants – à moins que demain la miche manquant à la huche, la camarde ne vienne disputer et enlever va proie au vampire capitaliste.

C’est à briser cette chaîne criminelle qui voue à la mort les meilleurs de ses fils que convergent nos efforts.

Nous attaquerons vigoureusement toutes les institutions humaines, politiques, religieuses, juridiques ou économiques, nationales ou internationales démontrant que c’est d’elles que vient le mal et que nous n’avons d’amélioration à espérer que de leur renversement absolu.

Nous prouverons combien est vaine la croyance à une réforme aussi minime soit-elle, accordée par les exploiteurs à leurs esclaves salariés ; par les gouvernants aux gouvernés.

Surtout nous mettrons nos camarades de bagne en garde contre les trompeux mirages de l’action électorale : soupape de sûreté du système actuel et dont le seul résultat certain est de diviser les travailleurs et de créer dans leurs rangs une horde d’ambitieux qui ne visent qu’à se hisser sur les fortes épaules du peuple et à prendre rang parmi ses ennemis.

Nous frapperons de tous côtés dru et ferme, partout où  il y aura exploitation ; partout où il y a crime de lèse-humanité ; jusqu’au jour où nos efforts ayant donné au prolétariat la vitalité nécessaire aux déshérités pour faire table rase des monstruosités sociales que nous subissons aujourd’hui.

Nous tiendrons haut et ferme le drapeau des revendications prolétariennes, ne demandant aux travailleurs que de ne pas nous laisser isolés et aux prises sans soutien avec nos ennemis.

L’Idée Ouvrière N°1 Du 10 au 17 Septembre 1887

L’Idée Ouvrière est un journal anarchiste hebdomadaire paraissant le samedi. Il est écrit par des ouvriers pour les ouvriers.

A l’époque, il existe plusieurs groupes anarchistes au Havre, à Sanvic, Graville Sainte-Honorine, Eure. De nombreux contacts aussi dans la région proche notamment à Honfleur, La Touques et  Bolbec. Sans compter le berceau de l’anarchisme en Seine-Inférieure, la région de Villerquier et Caudebec. Les groupes anarchistes s’intitulent souvent « Groupes socialistes » à cette époque.