Femmes kurdes et Femmes Libres

Frederica

A toutes les femmes combattantes…

Mujeres Libres

Un certain 11 novembre, alors que venait d’être ranimée la flamme du tombeau où reposent les restes d’un pauvre bougre mort afin que soient érigés des Arcs de Triomphe, symbole de barbarie, quelqu’une s’exclama : «  A plus inconnue que le soldat inconnu : sa femme ». M’inspirant de ces mots décoiffants, je lance à mon tour une boutade : «  A plus inconnue que la révolution espagnole méconnue : Mujeres Libres », organisation née en avril 1936, qui développa ses activités jusqu’en février 1939 et essaima à travers les régions demeurées fidèles à la République avec des groupes très importants en Catalogne. Les trois fondatrices : Lucia Sanchez, Mercedes Composada et Amparo Poch y Gascon voulaient intéresser leurs semblables aux thèmes sociaux et à l’idéal libertaire.

Conformément à son orientation anarchiste, « Mujeres Libres » avait un double objectif : social et politique, qui s’identifiait aux intérêts de la classe ouvrière ; féministe, qui revendiquait la libération de la femme de son état d’oppression. Mener conjointement la bataille pour les travailleurs s’émancipent et que les femmes brisent leurs chaînes, faisait l’originalité de ce féminisme prolétarien et le différenciait donc de celui, plus traditionnel, d’essence bourgeoise.

« Mujeres Libres » pensait, néanmoins, que la transformation révolutionnaire de la société ne pouvait se faire sans le renversement du patriarcat et de l’autorité masculine. Afin de contrer le machisme – y compris chez quelques anarchistes adeptes de Proudhon, heureusement en minorité- un groupement spécifiquement féministe s’avérait nécessaire.

La femme ne devait plus se limiter aux travaux ménagers et aux soins familiaux mais s’incorporer à la production parce que son indépendance économique était la condition indispensable à la réalisation de sa liberté personnelle et sociale. En conséquence, il ne pouvait être question d’un monopole ou d’un privilège masculin sur le travail.

« Mujeres Libres » ne se contenta pas de formuler des postulats théoriques. Elle publia une revue culturelle, dont treize numéros parurent, s’occupa de l’instruction de ses affiliées en organisant des cours du soir durant lesquels beaucoup apprirent à lire et à écrire car l’analphabétisme touchait nombre d’ouvrières. Des bibliothèques furent créées un peu partout en vue de la finalité toujours présente : la libération par la connaissance. Les adhérents reçurent une formation technico-professionnelle qui leur donnait les moyens d’acquérir une qualification et d’accroître ainsi leurs chances d’autonomie. L’enseignement politique contribua à la compréhension de l’anarchisme et de la révolution sociale.

L’organisation mena également une campagne d’envergure en faveur de crèches gratuites implantées parmi les quartiers ouvriers et se chargea de leur fonctionnement. Elle réclama l’égalité des salaires et fut à l’origine des réfectoires populaires que fréquentèrent les ouvriers des deux sexes.

« Mujeres Libres » considérait que l’infériorité économique et sociale de la femme la plaçait en situation d’esclavage, notamment en matière de sexualité. Elle réfutait la sublimation de la mère, arguant que la femme, être pensant et doué de raison, avait de multiples possibilités de s’épanouir en dehors d’enfanter et du pouponner ! Evidemment, le mouvement défendait la thèse de la maternité consciente que les anarchistes furent les premiers à prôner. Le 25 décembre 1936, un décret de la Généralité de Catalogne légalisait l’avortement.

 

Les militantes portèrent une attention particulière au problème de la prostitution et ouvrirent des « libératorios de prostitucion » (centres de réhabilitation et de réinsertion sociale). Hélas, cette expérience n’eut guère de succès par manque de soutien, tant des divers mouvements que des institutions officielles.

L’éducation des enfants suscitait un vif intérêt. « Mujeres Libres » estimait qu’elle jouait un rôle primordial et qu’il était dangereux de laisser cet instrument capital entre les mains des exploiteurs et des dirigeants car il reproduisait son hégémonie idéologique au détriment des exploités. Elle bannissait l’autoritarisme du corps enseignant et de la famille qui allait de pair avec celui de la société et fustigeait la manipulation religieuse et politique en milieu scolaire. Elle préconisa de favoriser la liberté de pensée, la pratique de la réflexion et de la discussion rationnelle qui permettrait à l’enfant, devenu adulte, de soutenir ses propres convictions.

Pendant les trois années de guerre contre le fascisme, ces femmes libertaires apportèrent leur compétence, leur courage et leur abnégation, menant à bien les travaux des champs, faisant fonctionner les usines, les hôpitaux, les écoles ou aidant à organiser la collectivisation des villages vainqueurs des factieux. Elles confectionnaient des vêtements, ramassaient les colis, la correspondance, collectaient vivres et couvertures destinés aux compagnons combattants, conduisaient, parfois, les convois de camions vers les différents fronts. Elles mirent sur pied des brigades mobiles qui accourraient accomplir n’importe quelle tâche relevant, principalement, des secteurs de la santé, des transports, de l’habillement, de la métallurgie et des services publics.

Elles furent 20 000, la plupart ouvrières, sans personnalités éminemment connues, ce qui ne peut justifier qu’elles soient jetées, non dans « les poubelles de l’histoire » – si chères à Trotsky- mais dans ses oubliettes !…Les femmes en ont vu bien d’autres au cours des siècles ! Après avoir, à des époques tragiques, remplacé les hommes absents, travaillé, lutté, souffert, elles étaient priées de retourner à leurs casseroles la paix revenue, à l’instar des immigrés, utilisés jusqu’au trognon en périodes d’expansion, puis accusés de prendre le travail des autochtones et rejetés lorsque le chômage galope !

Mary Nash, auteur de « Femmes Libres », Espagne 1936-1939, note que « Mujeres Libres » soulignait « qu’une révolution sociale dans laquelle la libération de la femme ne serait pas réalisée n’aurait aucun sens ».

Claudette Chéber