On nous matraque, on nous harcèle, on nous culpabilise, depuis notre plus jeune âge, sans nuances et sans présentation d’un point de vue contraire, que voter c’est un devoir incontestable, que c’est notre responsabilité en tant que citoyen, que si on ne vote pas on n’a pas son mot à dire, que des gens sont morts pour avoir ce droit-là. Que c’est la merveilleuse démocratie, pas le meilleur système, mais le moins pire jusqu’à présent. Autant de sophismes, de révision historique, et de détournements de mots et de concepts, qui méritent corrections et réfutations. Sans préciser que beaucoup sont morts pour la défense des opprimés alors qu’ils ne croyaient absolument pas au vote : Francisco Ferrer, Jules Durand, Sacco et Vanzetti et les milliers de travailleurs libertaires durant la Révolution espagnole…
La démocratie : le pouvoir au peuple
Démocratie vient du grec, « Démoskratos » ou « Démos » signifie peuple et « Kratos » le nom d’une divinité symbolisant le pouvoir. On part donc avec la prémisse que démocratie signifie pouvoir au peuple. Le pouvoir se définit comme la capacité d’influencer, la capacité d’action. En quoi exactement, choisir parmi une poignée de « représentants », à peu près aucunement redevables, qui peuvent faire ce qui leur plaît avec nos institutions et les secteurs qu’ils ont à gérer pendant quelques années, est censé nous donner une quelconque capacité d’influencer? D’agir? De décider ce que l’on veut faire de notre vie, de notre communauté, de notre milieu, de notre éducation, de notre santé, de notre économie? Quel impact, quelle influence sur l’ensemble des structures régissant nos vies avons-nous réellement? Tout près du zéro absolu. On nous présente plusieurs plates-formes électorales regroupant un ensemble de positions sur différentes questions, on doit voter en bloc sur toutes les questions d’un coup, même si certaines positions de l’un concordent avec nos valeurs, et d’autres non, et après, c’est chèque en blanc entre deux élections, peu importe ce qui se passe – et dans notre société où tout va en accélérer, il est évident qu’une immense quantité d’évènements et de questionnements peuvent survenir durant les années où des gens sont élus – notre « représentant » ne nous représente pas, il décide pour nous, c’est un gouvernant en règle. Cessons donc de nommer notre système actuel démocratie, et commençons à employer les mots qui concordent à la réalité : dictature élargie à choix multiples.
Les révolutions ratées et le parlementarisme bourgeois
Une autre fausseté que nos évangélistes électoralistes nous sortent souvent, c’est l’argument du soi-disant progrès historique, voulant que notre démocratie soit le résultat des luttes du passé, que la Révolution française et l’abolition de la monarchie, dans le sang, donnerait toute sa légitimité à notre système. C’est de la foutaise; les révolutions ont d’abord eu lieu sur des bases matérielles, les paysans et la masse populaire avaient faim, le roi abusait de plus en plus de son pouvoir de répression et de coercition, de pair avec l’église, pour extorquer de faramineuses taxes et dîmes de toutes sortes. En parallèle, la classe marchande avait réussi à accumuler suffisamment de capitaux pour pouvoir commencer à s’approprier des moyens de production à plus grande échelle, soit les usines et les manufactures. La royauté était un obstacle direct à leur expansion. La future bourgeoisie a donc instrumentalisé la grogne des couches populaires de la société, en formant une alliance temporaire avec eux, leurs futurs travailleurs, leurs futurs producteurs de plus-value, finalement, leurs futurs esclaves, en s’indignant du totalitarisme de la monarchie, et en s’agitant pour une république où règnerait « liberté, égalité, fraternité ». Pourtant, après la révolution, on ne constata qu’une perpétuation de la misère, de l’esclavage salarié et de la loi du plus fort. Ce qu’on appelle démocratie, ce n’est rien d’autre que la façade servant à légitimer la violence organisée d’une classe sur une autre, voilà tout. Le peuple ne s’est pas battu pour « la démocratie », il s’est battu pour mettre fin à son exploitation et sa misère, dans un espoir de libération, très certainement contre la dictature, et faute d’avoir passé par tous ses culs-de-sac historiques, sa grogne féroce et légitime a été instrumentalisée par la bourgeoisie intellectuelle ascendante qui a recréé un système basé sur l’exploitation d’une majorité par une minorité, un parlementarisme bourgeois servant ses intérêts de classe.
La question de la responsabilité
Une autre légende urbaine fort cocasse en ce qui a trait aux élections, c’est de prétendre que c’est notre responsabilité d’aller voter, parce que sinon on laisse les gens décider pour nous. C’est en réalité tout le contraire.
Prenons un exemple fictif, vous voulez faire un jardin communautaire dans votre quartier, là où il y a un espace inutilisé. Un parti propose de le faire, un autre parti propose d’y construire des condos. Notre premier réflexe pourrait très certainement être de se dire « Et bien! Je vais voter pour le parti qui veut faire un jardin communautaire, ça me rejoint! » Le problème, c’est qu’en votant, vous déléguez la responsabilité de concrétiser vos désirs et vos rêves, au parti concerné, et vous acceptez que, si le parti pour lequel vous avez voté perd, il n’y ait pas de jardin communautaire mais bien des condos. Quelqu’un qui à l’inverse se moque du cirque électoral et qui est désireux d’un réel changement, va tout simplement faire son jardin communautaire peu importe ce que n’importe quel parti en pense, et il s’organisera collectivement avec d’autres gens qui pensent comme lui pour le défendre et faire pression si la ville tente de l’en empêcher.
Voter, c’est au contraire précisément laisser les gens décider pour nous, plus tôt que de s’organiser en collectifs, en assemblées de quartier, en assemblées populaires, en conseils ouvriers, ou peu importe la structure jugée adéquate, afin de concrètement exercer une influence sur notre environnement et nos vies. Et c’est aussi endosser ce mode de fonctionnement politique, et donc « ne pas avoir le droit de chialer » si ce n’est pas votre parti qui entre au pouvoir.
L’économique dicte le politique
Certaines personnes partageant un bon nombre d’idées radicales et remettant en cause notre système sensiblement de la même façon que nous, peuvent tout de même argumenter que de voter pour le parti le plus progressiste, ça nous facilite le terrain, ça favorise la diffusion des idées de gauche, ça créée des logements sociaux, ça fait un gouvernement plus favorable à nos idées et moins répressif.
Le problème avec ce raisonnement, c’est que notre gouvernement national n’a aucun contrôle sur l’économie qui est, elle, et depuis longtemps, mondialisée. Nous sommes incroyablement interdépendants avec le monde entier. Ainsi, lorsque l’économie globale se porte bien, comme pendant les Trente glorieuses, on peut se permettre des beaux petits programmes sociaux. Mais lorsqu’il y a récession ou crise, ce qui est inévitable et constant dans l’histoire du capitalisme, peu importe la doctrine politique du parti, tout le monde doit couper, privatiser et appliquer l’austérité. On n’a qu’à regarder ce que fait Hollande avec son parti « social-démocrate », ou même, pour des exemples plus évident, voir Carolos Papoulias, le président « socialiste » Grec, qui en 2010 a finement astiqué la raie du FMI et a coupé massivement dans tout ce qui était coupable : assurance-chômage, santé, éducation, fonds de retraite, fonction publique, tout y est passé.
Se battre pour des réformes, des petits gains, des petits changements, dans un système capitaliste, c’est comme bâtir un château de cartes dans un lit d’eau. L’infrastructure d’une société, c’est son économie, tout part de là, et l’économie capitaliste, par ses contradictions intrinsèques, ne fait qu’engendrer récessions et crises cycliques, depuis plus d’un siècle et demi au bas mot. Donc tous ces beaux HLMs, TGV, revenus minimums garantis…tout peut s’effondrer en un claquement de doigts, si une crise économique survient. Ces dix, vingt années de porte-à-porte, de recrutement, de campagnes de financement pour tenter de faire rentrer leur parti » progressiste » ou d’extrême droite, peut être brutalement réduit à néant par un enfoiré à Wall Street qui a fait fructifié de l’argent qui n’existe pas. .Ainsi, voter, c’est encourager des gens, qui pour certains ont de la bonne volonté, à investir de l’énergie dans un moyen objectivement futile et inefficace.
Pour clore
En somme, le progrès social n’est pas linéaire, il n’y a pas de « petits gains » à faire jusqu’à la société idéale. Il y a une économie fascisante qui dicte nos faits et gestes, qui dicte le politique comme le social. Et il y a une nécessité, non pas de déléguer la responsabilité à un parti ou à une quelconque structure hiérarchique étrangère à notre vécu, mais bien de nous tous, collectivement, se responsabiliser et agir afin de rompre avec l’ordre dominant. S’instruire, écrire, débattre, diffuser massivement nos idées, poser des actions remettant en cause les bases matérielles du système, acquérir une pratique horizontale et d’action directe, résolument révolutionnaire, et tenter par tous les moyens de radicaliser les mouvements sociaux et de faire surgir le potentiel subversif de mouvements qui peuvent sembler (et qui souvent le sont dans une bonne proportion) réformistes et passifs, voilà des pistes pertinentes et efficace pour arriver à un monde meilleur.
Un libertaire canadien