Abolition de l'Etat et Révolution sociale

Bakounine3

Tandis que nous, anarchistes, nous voulons l’abolition de l’État, par la révolution
sociale et la constitution d’un nouvel ordre autonomiste et fédéral, les léninistes veulent la
destruction de l’État bourgeois, et en outre la conquête de l’État par le « prolétariat ». L’État « prolétaire » – disent-ils – est un semi-État puisque l’État intégral est celui des bourgeois, détruit par la révolution sociale. Et même ce semi-État mourrait, selon les marxistes, de mort naturelle.
Cette théorie de l’extinction de l’État, qui est à la base du livre de Lénine L’État et la
révolution a été puisée par lui chez Engels qui dit, dans La Science subversive de M. Eugène Dürhring :
« En transformant de plus en plus la grande majorité de la population en
prolétaires, le mode de production capitaliste crée la puissance qui, sous peine de périr,
est obligée d’accomplir ce bouleversement. En poussant de plus en plus à la
transformation des grands moyens de production socialisés en propriété d’État, il
montre lui-même la voie à suivre pour accomplir ce bouleversement. Le prolétariat
s’empare du pouvoir d’État et transforme les moyens de production d’abord en
propriété d’État. Mais par là, il se supprime lui-même en tant que prolétariat, il
supprime toutes les différences de classe et oppositions de classes et également l’État
en tant qu’État. La société antérieure, évoluant dans des oppositions de classes, avait
besoin de l’État, c’est-à-dire, dans chaque cas, d’une organisation de la classe
exploiteuse pour maintenir ses conditions de production extérieures, donc surtout pour
maintenir par la force la classe exploitée dans les conditions d’oppression données par
le mode de production existant (esclavage, servage, salariat). L’État était le représentant
officiel de toute la société, sa synthèse en un corps visible, mais cela il ne l’était que
dans la mesure où il était l’État de la classe qui, pour son temps, représentait elle-même
toute la société : dans l’antiquité, État des citoyens propriétaires d’esclaves; au moyen
âge, de la noblesse féodale; à notre époque, de la bourgeoisie. Quand il finit par devenir
effectivement le représentant de toute la société, il se rend lui-même superflu. Dès qu’il
n’y a plus de classe sociale à tenir dans l’oppression ; dès que, avec la domination de
classe et la lutte pour l’existence individuelle motivée par l’anarchie antérieure de la
production, sont éliminés également les collisions et les excès qui en résultent, il n’y a
plus rien à réprimer qui rende nécessaire un pouvoir de répression, un État. Le premier
acte dans lequel l’État apparaît réellement comme représentant de toute la société, – la
prise de possession des moyens de production au nom de la société, – est en même
temps son dernier acte propre en tant qu’État. L’intervention d’un pouvoir d’État dans
des rapports sociaux devient superflue dans un domaine après l’autre, et entre alors
naturellement en sommeil. Le gouvernement des personnes fait place à l’administration
des choses et à la direction des opérations de production. L’État n’est pas « aboli », il
s’éteint. Voilà qui permet de juger la phrase creuse sur l’ « État populaire libre », tant
du point de vue de sa justification temporaire comme moyen d’agitation que du point
de vue de son insuffisance définitive comme idée scientifique; de juger également la
revendication de ceux qu’on appelle les anarchistes, d’après laquelle l’État doit être
aboli du jour au lendemain. »

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