La hiérarchie, bouclier de la médiocrité

Le rôle de la hiérarchie est de transmettre l’autorité et d’exiger l’obéissance, par paliers, du plus haut niveau au plus bas. Elle implique une servilité absolue aux ordres des « supérieurs » et un mépris arrogant envers les « inférieurs ».

Etymologiquement, le mot « hiérarchie » recouvre les deux notions de « commander » et de « sacré ». Il s’agit donc principalement d’exiger autoritairement le respect de ce qui a été décrété sacré par le pouvoir et d’en assurer la protection. Tabou l’argent, taboue la propriété, tabous les chefs, taboue la sacro-sainte autorité…

A l’origine de l’histoire humaine, aux époques où la force brutale était la seule façon de s’affirmer face à autrui, ce furent tout naturellement les plus frustes, les plus grossiers et les plus primitifs qui s’imposèrent aux autres.

Par la suite certains parvinrent à obtenir par la ruse ce qu’ils ne pouvaient conquérir par la force. Ainsi c’est tout à la fois sur la crainte et la superstition que s’établirent le pouvoir et la propriété.

Ceux qui édifièrent leur domination sur l’ignorance et le nivellement des masses n’ont jamais apprécié les têtes qui dépassent. De même, les maniaques de l’alignement des troupeaux humains ne goûtent guère les vagabondages hors des sentiers battus du conformisme qui sert de courroie de transmission à l’autorité.

La hiérarchie est le moyen par lequel  les puissants se rendent inaccessibles en disposant entre eux et leurs exploités des couches de médiocrités superposées. Les différents degrés de cette hiérarchie se distinguent par toutes sortes de symboles : titres, médailles, galons, grades, qui procurent à leurs possesseurs, dans le système autoritaire qui est le nôtre, des avantages et des privilèges proportionnés à la « valeur » attribuée arbitrairement à ces hochets de la bêtise et de la vanité.

Pour l’individu mentalement adulte, qui ne se laisse pas abuser par les valeurs frelatées des élites factices, il est évident, que toutes ces distinctions et décorations ne confèrent pas une once de valeur supplémentaire à leurs bénéficiaires. Fût-il entortillé de galons comme une momie de bandelettes, un imbécile restera toujours un imbécile. Tout homme digne de ce nom répugne à arborer ces artifices ou à s’en prévaloir. C’est pourquoi ce sont la plupart du temps les moins dignes d’estime qui sont les plus titrés. C’était en tout cas l’opinion de Tolstoï lorsqu’il écrivait : « Ce ne sont pas les meilleurs mais les pires qui ont toujours été au pouvoir et qui y sont encore. » Ainsi la médiocrité fonde l’autorité…

Chefs d’ilotes

La hiérarchie, en privilégiant le pouvoir du chef, s’édifie sur la bêtise des masses grégaires. De tout temps la médiocrité des foules s’est avéré le meilleur tremplin des totalitarismes en même temps que le plus efficace rempart pour les tyrans et les despotes. La masse, par ses impulsions primaires, agressives, brutales, constitue le terreau nourricier idéal de l’autocratie. Hier Hitler, Mussolini et Cie…aujourd’hui les fascistes new-look séduisent et recrutent encore la même clientèle que leurs mentors, la même escorte d’admirateurs et de courtisans : les médiocres.

L’originalité, l’individualisme social, le non-conformisme de certains intellectuels : philosophes ou poètes, suscitent généralement le mépris arrogant des médiocres. Il suffit pour s’en convaincre, de se référer aux invectives et aux railleries dont les abreuvait un certain Hitler dans son Mein Kampf : « …pseudo-intellectuels, dilettantes bornés, esthètes des salons littéraires, demi-monde intellectuel de la pire espèce, savants dégénérés professant un lâche pacifisme », etc. Tel était un des thèmes de propagande favoris de celui qui affirmait que « ce qui fait la grandeur de l’Aryen, ce n’est pas la richesse de ses facultés intellectuelles » -on s’en serait douté ! – et que « c’est une question de gouvernement d’empêcher qu’un peuple soit poussé dans les bras de la folie intellectuelle ».

Entre autres inconvénients, le système hiérarchique a celui de favoriser à l’excès le parasitisme et l’arrivisme. Il attise les rivalités et accentue les injustices. Armée, Etat, Eglise, patronat, bureaucratie en témoignent à l’évidence.

Le mythe du chef (ou de la cheffe aujourd’hui), qui caractérise ces institutions, est l’un des principaux facteurs de soumission et d’abnégation du peuple. Le besoin d’un chef qui commande et dirige supprime en lui toute velléité d’émancipation, tout esprit d’initiative, toute volonté d’assumer ses responsabilités. Il pousse à l’obéissance aveugle et à la résignation. Allez donc parler de gestion directe à de tels ilotes !…La croyance en la nécessité des chefs est le constat de faillite des collectivités.

L’évolution humaine ne sera jamais l’œuvre de la masse ni des chefs qu’elle se donne ; elle résulte de la lutte patiente et incessantes des intelligences individuelles contre les forces rétrogrades des esprits obtus. Toute l’histoire de l’humanité le confirme : les progrès réalisés par l’homme, de la Préhistoire à nos jours, n’ont jamais été que le fait de l’intelligence non conformiste d’individus éclairés, se frayant un chemin au travers de la bêtise opaque de la masse.

Tant que persisteront les structures hiérarchiques de notre société, peu importera qu’une religion, qu’une ethnie, qu’un parti, qu’un système économique ou politique l’emporte sur l’autre. Ce sont là conflits de suprématie qui jamais ne contribueront à une réelle évolution de l’humanité.

Au royaume du néant prétentieux dans lequel nous vivons se vérifie chaque jour un peu plus cette constatation de Lacaze-Duthiers : « La hiérarchie n’est qu’une subordination des intelligents aux imbéciles. »

  1. P

« Celui qui commande se déprave, celui qui obéit se rapetisse. La morale qui naît de la hiérarchie sociale est forcément corrompue. » Elisée Reclus