Les libertaires ont-ils perdu la bataille des idées ?

On trouve cette notion de bataille des idées dans à peu près tous les partis politiques aujourd’hui, notamment à l’extrême droite d’où la méfiance qu’on se doit d’avoir sur cette idée générique. Pour eux, il suffirait de transformer les idées existantes en idées « révolutionnaires » pour gagner cette bataille ; n’oublions pas que Gramsci était marxiste. Le Sarde serait le théoricien de techniques ou de méthodes efficaces pour mener et gagner la lutte politique, des méthodes se résumant à conquérir le pouvoir à travers les idées. Voilà qui est d’un grand intérêt pour tous ceux et celles qui aspirent à gouverner et à obtenir le pouvoir, celui dont on sait qu’il corrompt. Les anarchistes qui rejettent le pouvoir désirent empêcher toute nouvelle caste dominante (Etats, direction d’un homme ou d’un groupe d’hommes ce qui équivaut au despotisme et à la tutelle des minorités dites intelligentes, institutions de l’Etat…) à l’instar de Bakounine qui va plus loin et indique qu’il faut détruire la possibilité même des situations privilégiées, toute domination et toute exploitation.

Rien de bien original pour qui connaît ce grand penseur libertaire.

Nous avons perdu la bataille des idées !

Nous sommes focalisés sur la montée inexorable de l’extrême-droite, les idées réactionnaires de la droite (Macron, LR) et de la NUPES. Mais il y a cette bataille qui nous vient des Etats-Unis : le wokisme et qu’il ne faudrait pas sous-estimer.

Si l’on prend le terme anglo-américain woke (« éveillé ») et qui désigne le fait d’être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale, les anarchistes peuvent être considérés comme partisans du wokisme.

Cela fait longtemps que les libertaires sont conscients des injustices subies par les minorités ethniques, sexuelles, religieuses, ou de toutes formes de discrimination. Cela recoupe souvent l’exploitation capitaliste. Prenons l’exemple des catholiques irlandais en Ulster, ces derniers ne trouvaient du travail qu’après les protestants dans les années 1970. Dire aujourd’hui que les musulmans sont discriminés, ce n’est un scoop pour personne. Lucy Parson connaissait parfaitement les discriminations raciales. Emma Goldman parla dans ses meetings de l’homosexualité…

Martin Luther King, avait exhorté les jeunes Américains à « rester éveillés » et à « être une génération engagée », lors d’un discours à l’université Oberlin, dans l’Ohio, en juin 1965. Les militants quelque qu’ils soient sont de fait engagés. Pour les générations militantes précédentes, on parlait de prise de conscience…Autres temps autres mœurs.

Le mot woke s’est par la suite répandu des Etats-Unis à l’Europe et même ailleurs par l’intermédiaire d’universitaires et au sein d’autres sphères militantes pour dénoncer toutes formes d’injustices subies par les minorités. On a commencé à dénoncer le sexisme et la misogynie, l’oppression qui pèse sur les personnes lesbiennes, gay, bi et trans, les populations d’origines étrangères, etc. Les personnes un peu fortes (grossophobie)…Les personnes handicapées…

Les militants ont constaté que l’on pouvait être traité différemment selon son milieu social, sa couleur de peau, sa religion, son handicap, son sexe ou son genre. En dénonçant ces discriminations et en s’attaquant aux inégalités structurelles…les militants oeuvraient pour rendre le monde plus sûr et meilleur. En cela la plupart des militants s’accordaient.

Mais vint le pendant de cette idéologie woke avec les opérations coups de poing, la censure et il fallait comme pour les méthodes de l’extrême-droite chercher à cliver, chercher la différence, la blessure pour aller opposer les gens entre eux.

C’est ainsi que le formatage militant prit de l’ampleur avec une recrudescence de la montée d’une intolérance à l’égard d’opinions opposées, et d’un muselage de la liberté d’expression. Nous constatons les dégâts de cette idéologie new âge jusque dans les rangs libertaires. Les exemples foisonnent malheureusement. Les anarchistes et aussi d’autres s’inquiètent des dérives actuelles, telle que la « cancel culture » (la culture de l’annulation), qui viserait à dénigrer voire exclure manu-militari de l’espace public toute personne dont un propos, ou une action, est considéré comme « offensant » à l’égard des minorités. Par exemple, un auteur écrit sur le voile, il est tout de suite mis au ban d’un certain militantisme sous couvert qu’il est blanc et que ce n’est pas une femme. On vole et on brûle ses livres. Les autodafés reviennent à la mode. L’église et les nazis peuvent jouir sans entrave dans leurs tombes.

Dire que l’on ne peut pas écrire sur l’Islam car c’est la religion des opprimés, c’est un non-sens pour un anarchiste car toute religion opprime. La religion est liberticide ; elle opprime les hommes, les femmes, les enfants, les animaux. Elle opprime souvent bien plus les femmes ; c’est un constat intemporel. Et les islamistes ainsi que leurs séides, idiots utiles ou pas, peuvent toujours nous traiter d’islamophobes, cela ne changera pas notre conception de la liberté. Et Dieu et l’Etat de Bakounine est un ouvrage qui restera d’actualité tant que les Etats et les religions existeront. Et nous souhaitons à l’Islam et aux autres religions, le sort de l’église catholique qui périclite d’année en année.

Le wokisme de certains autoritaires révèle les dérives de l’identitarisme, cette tendance à fixer les individus et les collectivités humaines sur une identité principale, homogène et fermée. Leur identitarisme se cantonne à une question identitaire que l’on peut décliner sous toutes les formes de minorité : la religion, la consommation alimentaire (végétalisme, véganisme…), la « race », la culture, le genre… Alors que la lutte des classes est remisée au vestiaire, les sujets porteurs d’émancipation sont à rechercher ailleurs et tous les partis politiques se plongent à corps perdu dans ce nouvel eldorado qui apportera des foules de militants ou de suffrages électoraux. Exit les analyses concernant l’Etat, le patronat, les politiciens…et les principes de domination. Pour nous autres, c’est la question de l’écologie sociale et libertaire qui est centrale, pas les luttes cloisonnées mises bout à bout et parfois en opposition.

Grâce au wokisme, il existe maintenant un véritable clivage dans le féminisme. S’il y a toujours consensus contre le patriarcat, les viols, les féminicides, le harcèlement…ça se déchire sur le port du voile par exemple, les Trans…. Parallèlement à aucun moment le wokisme analyse la domination des femmes aux postes de pouvoir. Elles y exercent aussi tyranniquement que les hommes. De mémoire, Margaret Thatcher en Grande-Bretagne. Aujourd’hui, c’est la Méloni en Italie et peut-être demain Marine Le Pen en France. Elles font aussi bien le travail que les hommes pour ce que le capital exige.

Les femmes ne sont pas d’accord entre elles non plus sur le juteux marché en expansion de la GPA et de la transformation pour les Trans. La marchandisation des corps, le profit, c’est de tout cela dont il faut aussi parler.

Exit aussi le déterminisme de classe, le déterminisme social ou collectif. C’est maintenant la violence de la société qui est favorisée : chômage, précarité, bas salaires…éco-anxiété…et attitudes agressives contre ceux et celles qui pensent différemment. On n’est jamais loin des pratiques de l’extrême-droite quand on agresse des militants libertaires.

Bruno (GLJD)

Dans le prochain Lib : Les anarchistes n’ont pas perdu la bataille des idées (enfin de l’optimisme dans nos rangs)