Proudhon: notre père à tous

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Centenaire de la mort de Proudhon

 

Il y a cent ans, le 16 janvier 1865, Pierre-Joseph Proudhon mourrait à Paris, âgé seulement de 56 ans, usé prématurément par un énorme labeur cérébral. Il est impossible, certes, d’évoquer en quelques mots l’extraordinaire personnalité de cet ancien ouvrier, fils de paysans, enfant de ses œuvres, autodidacte.

            Mis à part tous ses autres mérites, il a été l’un des plus grands écrivains de notre langue, auquel Sainte-Beuve consacra un livre entier.

            Le génie de Proudhon était multiforme, ses œuvres complètes (auxquelles s’ajoutent les quatorze volumes de la Correspondance et les cinq volumes de Carnets, en cours de publication) surabondantes. Il a été, tout à la fois, le père de l’économie politique socialiste et de la sociologie moderne, le père de l’anarchisme, du mutuellisme, du syndicalisme révolutionnaire, du fédéralisme et de cette forme particulière de collectivisme qu’actualise aujourd’hui l’ »autogestion ». Ses vues sur l’histoire et, notamment, sur la Révolution française, sur Napoléon, sont d’une intuitive perspicacité, qui l’apparentent à Michelet. Enfin et surtout, il a été le premier à entrevoir et à dénoncer prophétiquement, les dangers d’un socialisme autoritaire, étatique et dogmatique.

            La Révolution de 1848 lui fournit l’occasion de descendre, non sans courage, dans l’arène révolutionnaire et, sous le second Bonaparte, l’audace subversive de ses écrits lui valut des poursuites, la prison, l’exil.

            Sa tournure d’esprit originale et paradoxale, exagérée par une puissante verve plébéienne, l’amena trop souvent à laisser fuser de son cerveau en ébullition des idées outrancières : sur la guerre, sur le progrès, sur le féminisme, sur le racisme, sur l’art, etc. Il prêcha une morale fanatiquement puritaine. Il ne s’affranchit jamais entièrement de la formation chrétienne de ses premières années et, dans son ouvrage le plus monumental, un des réquisitoires les plus virulents et les plus écrasants qu’ait jamais prononcés l’anticléricalisme, la Justice apparaît, en fin de compte, comme un synonyme, à peine différencié, de Dieu. Il ne réussit pas davantage à rejeter la forte empreinte idéaliste qu’il devait à la lecture, par personnes interposées, de Hegel et son esprit foncièrement juridique demeura fermé à la conception matérialiste de l’histoire.  

            A la fois révolutionnaire et conservateur, épris de liberté et d’ordre, Proudhon a été revendiqué par les idéologies les plus opposées. De son temps, bien que fort lu et l’objet d’une publicité tapageuse, il a été singulièrement seul. Vu avec le recul d’un siècle, il n’appartient à personne. Il est un phénomène.

Centenaire de la mort de Proudhon