le libertaire de décembre 2022

Egalité économique et sociale contre les prisons

La violence dans la nature humaine

L’homme est-il bon, l’homme est-il irrémédiablement asocial ou antisocial ? Il est curieux de constater que dans les courants révolutionnaires qui traitent ce sujet deux opinions prédominent, qui sont absolument opposées, bien que, parfois, soutenues par les mêmes individus. Car là-dessus on répète, sans trop y réfléchir, certains slogans que l’on adopte par confort intellectuel, sans se donner la peine de vraiment étudier.

Soucieux de vérité, toujours, considérant que l’humanisme doit connaître les problèmes humains tels qu’ils sont, sans les compliquer ni les simplifier, sans embellir ni enlaidir la personnalité humaine, nous allons, aujourd’hui, traiter du problème de la cruauté, de la lutte sanglante entre les hommes, pour montrer que c’est là un fait vraiment naturel dans la vie de notre espèce. Et cela non pas pour broyer du noir, mais parce que nous ne voulons pas nous tromper et que nous avons le devoir de regarder en face la réalité et l’importance de nos tâches.

C’est expliquer trop facilement les choses que présenter tout ce qui s’est fait de mal dans l’histoire comme le résultat de la seule volonté des maîtres dominant les peuples. Que cette volonté ait été et soit toujours un fait, c’est certain. Mais ce l’est aussi qu’il existait, dans une partie importante des masses, et parfois dans des populations entières, une prédisposition qui les faisait commettre des exactions terribles, soit par haine de ville à ville, de région à région, de nation à nation, par haine de religion, ou pour toute autre raison. Dispositions naturelles, qui du reste varient selon les peuples, selon les époques, chez un même peuple aussi. La plupart du temps, les chefs de guerre n’ont pas inventé l’agressivité : ils l’ont exploitée, entretenue, excitée. Et ceux qui parmi nous ont un certain âge savent combien il était facile d’exciter la haine du Français moyen contre le « boche » avant 1914, et à quelles difficultés se heurtaient les pacifistes et les internationalistes de l’époque.

L’homme à l’état brut est trop souvent l’homme à l’état de brute. Car les forces psychiques et psychologiques de violence qui sont en lui, résultats de la longue lutte incessante pour la vie que nos ancêtres ont menée sur la planète et contre la nature pour vivre et se développer, se sont accumulées au cours des millénaires. Il est naturel que l’homme recèle en soi ces possibilités d’expansion de force qui sont le résultat d’un très long héritage. Naturel aussi que les possibilités d’idéalisme, de sacrifice et de courage qui sont en lui s’amalgament, avec l’aptitude violente sans qu’il en ait conscience, dans les déterminantes de son comportement individuel. Bakounine, qui allait au fond des choses avec une acuité insurpassable, a écrit là-dessus une page qui mérite d’être méditée [1] :

« Jusqu’à présent toute l’histoire humaine n’a été qu’une immolation perpétuelle et sanglante de millions de pauvres êtres humains à une abstraction impitoyable quelconque : dieux, patries, puissance de l’État, honneur national, droits historiques, droits juridiques, liberté politique, bien public. Tel a été jusqu’à ce jour le mouvement naturel, spontané et fatal des sociétés humaines. Nous ne pouvons rien y faire, nous devons bien l’accepter quant au passé, comme nous acceptons toutes les fatalités naturelles. Il faut bien croire que c’était la seule voie possible pour l’éducation de l’espèce humaine. Car il ne faut pas s’y tromper : même en faisant la part la plus large aux artifices machiavéliques des classes gouvernantes, nous devons reconnaître qu’aucunes minorités n’eussent été assez puissantes pour imposer tous ces horribles sacrifices aux masses, s’il n’y avait eu dans ces masses elles-mêmes un mouvement vertigineux, spontané, qui les poussât à se sacrifier toujours de nouveau à l’une de ces abstractions dévorantes qui, comme les vampires de l’histoire, se sont toujours nourries de sang humain. »

Voilà une vision complète des choses. Et cette vision est confirmée par celui qui étudie l’histoire non pas pour chercher dans tel ou tel auteur la confirmation de ce qu’il désire trouver, mais pour connaître toute la vérité sur ces sujets, même si elle est désagréable.

le Libertaire Novembre 2022