Groupe libertaire Jules Durand: Synthèse anarchiste 2022

Nettotage (1)

Il est de notoriété publique que les compagnons du Groupe libertaire Jules Durand et du journal « le libertaire » ne sont pas plateformistes mais plutôt des synthésistes. Cette Plate-forme est due essentiellement aux anarchistes russes en exil en France qui la publient pour la première fois dans leur revue Dielo Trouda, en 1926. Ils prétendent tirer le bilan de leur échec face aux bolcheviks après la soumission des soviets par le Parti bolchevik et surtout après la défaite de la Makhnovtchina.

Dans un contexte politique mondial nouveau (fin de la Première Guerre mondiale, Révolution russe d’Octobre en 1917…), qui voit le déclin du syndicalisme révolutionnaire et de l’anarchisme au profit du communisme autoritaire, la Plate-forme se veut plus organisationnelle et dirigiste. Son ambition est de redresser l’anarchisme qui tend à se replier dans une tour d’ivoire déconnecté du réel et notamment du mouvement ouvrier.

Nous ne comptons pas revenir sur cette Plate-forme car des militants aguerris comme Voline, Sébastien Faure et Malatesta ont déjà répondu en leur temps et leur argumentaire demeure toujours valide, toutes choses égales par ailleurs.

Mais de jeunes militants posent toujours la question à propos de querelles qui semblent au premier abord byzantines mais relèvent d’une conception radicalement différente de ce qu’est  l’anarchisme.

Depuis des décennies les partisans de la Plate-forme indiquent la marche à suivre et appellent à l’autodiscipline et à l’« unité tactique » afin que les militantes et les militants agissent de concert, pas de façon dispersée ni contradictoire. Mais l’histoire de la Fédération Communiste Libertaire nous incite à la méfiance puisqu’elle  présenta des « candidats révolutionnaires » aux Élections législatives françaises de 1956 (avec un score ridicule à la clef d’ailleurs). Ce qui fit dire à plusieurs militants libertaires à l’époque que la FCL avait davantage à voir avec le trotskysme qu’avec l’anarchisme. Et depuis, le Plateformisme végète et n’a jamais constitué une organisation de masse malgré ses appels du pied aux communistes et aux gauchistes. Bref le Plateformisme n’est guère plus probant que l’anarchisme « classique » malgré sa discipline et sa rigueur. Nous dirions même que ce type d’organisation peut amener à tout type de dérives. Parallèlement, nous voyons quelques bons camarades nous expliquer que la Plate-forme et la Synthèse anarchiste sont obsolètes, trop datées…ce qui équivaut  finalement à mettre dans le même panier ces deux conceptions opposées de l’anarchisme. Et cerise sur le gâteau, ces mêmes camarades confondent organisation syndicale et organisation spécifique. Encore une fois, notre vision du militantisme diffère et appelle quelques éclaircissements pour éviter toute confusion. L’organisation spécifique a vocation à faire de la propagande anarchiste. Les anarchistes se regroupent sur une base affinitaire et peuvent se fédérer avec d’autres groupes. Pour autant les groupes libertaires sont des groupes de réflexion mais pas d’action sauf ponctuellement. L’action se fait dans les syndicats, les associations avec d’autres militants venus d’autres horizons politiques. Et les groupes libertaires font de la propagande anarchiste dans les syndicats et partout où ils le peuvent. Le syndicat groupe les travailleurs sur une base de classe et d’exploitation. Le groupe affinitaire ne regroupe que des anarchistes. Dans les faits, les militants anarchistes viennent du milieu ouvrier mais on pourrait concevoir des groupes avec des artistes, des intermittents du spectacle, des ingénieurs…Cela paraît évident de prime abord mais les temps changent et sans vouloir être les gardiens du temple, il nous paraît opportun de bien préciser ce que nous sommes. Prenons par exemple les termes à la mode qui nécessitent mises au point, colloques, attaques et contre-attaques dans le milieu notamment universitaire…Prenons le « wokisme ». A la fin du XXème siècle, les « woke » représentaient les gens qui avaient une prise de conscience à propos des discriminations subies par les Noirs, les LGBT et les femmes. Des éveillés, donc.

Aujourd’hui des personnages comme Blanquer mais aussi des intellectuels dans le milieu universitaire s’en prennent au « wokisme ». A l’autre bout de l’échiquier, les partisans du wokisme traitent leurs adversaires d’islamophobes, d’homophobes, de misogynes etc. Ils se définiraient comme adeptes de la « cancel culture », la culture de l’annulation.

Que viennent faire les libertaires là-dedans ? Tout d’abord, les anarchistes sont athées, rationalistes et antidogmatiques. A ce titre, les groupes libertaires affinitaires ne « recrutent » jamais chez les religieux et pour cause. Par contre, les athées que nous sommes côtoient dans les sections syndicales ou des associations, des catholiques, des musulmans …et comme l’anarchisme est consubstantiel de la défense des opprimés (contre les injustices sociales, raciales, de genre…), nous ne mettons pas en opposition la lutte des classes et ce que l’on appelle dans la novlangue, l’intersectionnalité, c’est-à-dire le cumul des discriminations. Toutes les luttes doivent être articulées ensemble. D’ailleurs une femme de ménage blanche, vivant seule avec deux enfants, peut  être davantage discriminée qu’une avocate noire ayant des moyens financiers en France et vivant dans un quartier cossu.

Cette avocate, peut par ailleurs être radicale dans ses propos ; pour autant, elle n’est pas confrontée à l’exploitation ouvrière en usine, dans les entreprises de nettoyage…Cependant, les libertaires que nous sommes n’opposent pas les personnes qui ont des parcours de vie différents. L’avocate peut très bien aidée au niveau droit du travail une ouvrière mais il nous paraît difficile que la première donne des leçons à la seconde.

Concernant le port du voile chez les musulmanes, nous préférons être du côté des femmes qui refusent ce voile et se battent pour leur liberté contre le fondamentalisme musulman et le patriarcat. Cela ne fait pas de nous des racistes, terme d’ailleurs souvent galvaudé et confondu avec la xénophobie. Les Afghanes qui essaient de survivre aux Talibans, les Iraniennes qui ne veulent pas porter le voile méritent notre soutien car elles font un pied de nez à la religion. Les personnes qui essaient de sortir de l’emprise sectaire en France, aux Etats-Unis…méritent de même notre soutien.

Jamais, on ne nous trouvera à manifester aux côtés d’organisations fondamentalistes. Que l’extrême- droite et la droite profitent du regain identitaire pour capter un électorat plus large, que le musulman d’aujourd’hui remplace le juif de l’entre-deux-guerres, cela ne fait aucun doute. Mais les ennemis de nos ennemis ne sont pas pour autant nos amis. Pas de collusion possible avec les intégristes religieux : musulmans, traditionalistes catholiques, sectes protestantes…Les religions vont à l’encontre de nos objectifs d’émancipation car nous sommes partisans d’une éducation émancipatrice et libertaire. Les intégristes musulmans sont arrivés au niveau sémantique à « confessionaliser » le racisme, piège tendu aux antiracistes de tous poils. Les anarchistes n’ont pas à se laisser berner par des religions qui maîtrisent parfaitement la politique de la pelote.

Pour en revenir à l’efficacité de la Plate-forme, l’histoire invalide cette option. Non seulement elle n’a pas fait ses preuves mais de surcroît elle  permet l’amalgame gauchiste. Ainsi, Besancenot du NPA a tenté de récupérer Louise Michel et une certaine tendance de cette organisation se déclarait libertaire. Tout comme certains Maos de la Gauche Prolétarienne après 1968.

Aujourd’hui, les organisations et groupes libertaires ne pèsent pas grand-chose sur le plan numérique mais avancent des idées qui souvent sont reprises. C’est le cas de l’écologie sociale et libertaire, du municipalisme libertaire…Les combats se font en dehors des organisations anarchistes, certes,  mais le poids des idées demeure. Les anarchistes à l’époque des Temps Nouveaux et du libertaire avaient l’oreille à la fois du monde ouvrier et du monde culturel (gens de lettres, peintres…). Le siècle a changé et la tendance serait au pessimisme suite aux défaites sociales successives depuis 2003. Nous sommes cependant optimistes sur le long terme. Elisée Reclus à la fin de sa vie envisageait la lutte sur le plan de l’évolution morale : « Le socialisme ne représente plus la lutte comme uniquement engagée autour d’avantages matériels car, en nombre de cas particuliers, on peut se demander si les individus ayant intérêt pécuniaire au maintien de la société traditionnelle, richards, rentiers, fonctionnaires et leur clientèle que n’a jamais intéressée question de dignité humaine, on peut se demander si cette bourgeoisie et ses domestiques ne forment pas la majorité. C’est la solution d’autres problèmes ardemment discutés, c’est la poursuite d’un idéal, c’est l’évolution morale qui fera pencher la balance vers le monde des travailleurs. »

De même Kropotkine avait rédigé son dernier ouvrage sur l’éthique. Les mœurs sont créées par l’évolution de la société mais la reconnaissance de l’égalité, de l’équité et la justice est primordiale.

Reclus et Kropotkine reconnaissaient la lutte des classes ; cette dernière ne suffit cependant pas  à elle seule à changer le monde pour un autre futur si l’on fait l’impasse sur l’éthique libertaire, l’idéal et l’égalité économique. On a donc toujours besoin des théoriciens anarchistes pour appréhender le monde d’aujourd’hui et fournir quelques pistes…

Patoche (GLJD)