Nationalisme breton ou Fédéralisme

Fédéralisme breton

Voici quelques extraits d’un « Manifeste des Bretons fédéralistes » paru en 1931 selon « Civilisation libertaire » mais nous penchons davantage pour 1938.

Si nous ne sommes pas d’accord sur tout, il nous paraît judicieux à l’heure où l’extrême-droite tente une percée en Bretagne, de remettre les pendules à l’heure en dénonçant le nationalisme et d’avancer quelques pistes pour une Bretagne libertaire. Ce texte écrit il y a près d’un siècle est toujours pertinent par son côté pacifiste et humaniste. Visionnaire aussi puisque écrit avant la Seconde Guerre mondiale.

« Le sentiment breton

Le sentiment breton est parfaitement légitime. Aucun homme instruit du passé de son peuple et conscient de son devenir ne peut être indifférent à l’action qui veut, en redonnant à la Bretagne la conscience de ce qu’elle fut, de ce qu’elle est et de ce qu’elle doit être, redonner à son pays la liberté qui lui fut enlevée par la force voilà quatre siècles.

Dans l’état actuel des choses, le gouvernement de Paris se trouve victime d’un complexe psychologique remontant aux alentours de 1792. Depuis cent cinquante ans, l’Etat français républicain, héritier de l’impérialisme monarchique, de la défiance jacobine envers tout fédéralisme, de l’uniformité césariste des Napoléon, ne veut voir sur le territoire français qu’un seul peuple, alors qu’il y en a presque une bonne dizaine.

Nous protestons donc, fiers d’une tradition qui fut en 1788, à Rennes, avec Moreau, à l’origine même de la Révolution française, contre la centralisation de l’Etat français. Républicains, nous protestons contre l’état de choses qui, par l’ignorance des partis de gauche, dirigés depuis plus d’un siècle vers un centralisme absolu, posent toujours devant nous le brûlant problème de l’accord de nos conceptions philosophiques et sociales avec nos conceptions bretonnes.

Nous réclamons le droit absolu, républicains, radicaux, socialistes, communistes, libertaires, de lutter pour une société meilleure dans notre cadre le plus cher, dans notre pays, la Bretagne.

D’aucuns, en Armorique, se font depuis quelque deux ans les champions d’un nationalisme fasciste qui reste avoué ou non, la base doctrinale essentielle sur laquelle on veut axer toute une doctrine bretonne. Nous y reviendrons plus loin. Mais dès maintenant, disons qu’il est assez amusant de voir les protagonistes de cette idéologie raciste reprocher aux fédéralistes bretons de défendre des concepts étrangers à la Bretagne. En réalité, la pensée des racistes bretons semble singulièrement dangereuse pour la figure du futur Etat breton. Un pays aussi varié que le nôtre ne saurait s’accommoder d’un Etat fondé sur un principe unitaire, ni au nom de la race aryenne, ni au nom d’une confession déterminée, ni au nom d’un celtisme imposé et de commande.

Le fédéralisme international

Proudhon pense avec raison que l’Etat libertaire de demain doit se trouver fondé sur des groupes médiocres, entités ethniques de petite superficie territoriale, groupements économiques restreints autant que possible. Il concevait l’Etat futur comme une association de communes dont l’union réalisée en pleine liberté, est la base de la véritable unité.

Une organisation semblable, réduisant au minimum la souveraineté de l’Etat central, permet de concevoir une organisation européenne, voire même mondiale, anéantissant tout risque de guerre.

Hommes jeunes, ne voulant à aucun prix participer aux tueries de demain, nous laissons à quelques naïfs, en Bretagne, l’aveugle foi qui fait les héros militaires. Nous savons que, dans le monde actuel, toute guerre n’est qu’un effort de rapines et ne s’explique que par un bas désir de conquérir richesses et marchés.

Derrière tous les nationalismes, même en Bretagne, il y a une arrière-pensée de vol, inacceptable pour une conscience libre.

Le système des Etats indépendants souverains, enclos en leur tout d’ivoire, Etats déifiés à l’heure actuelle par le fascisme et le national-socialisme, constitue, à l’époque où la civilisation mécaniciste est devenue mondiale, un abominable danger de massacres et de régression.

Nous en avons assez des patriotismes, conçus à la mode de ce temps. Il n’y a de liberté vraie pour un peuple qu’en laissant une pareille liberté à ses frères. Derrière les virulents nationalismes de l’heure, nous ne voyons pas autre chose, en Bretagne comme ailleurs, que l’effort désespéré des derniers thuriféraires d’un état social condamné pour détourner la colère de ses victimes au profit d’une idéologie confuse et sanglante.

L’individu

Devant la pression chaque jour plus considérable que l’Etat déifié fait subir à la personne humaine, devant la raison d’Etat toute-puissante – française ou bretonne, hélas ! – érigée en dogme, nous pensons que la liberté de l’homme, aussi bien que la liberté des naturels groupements humains, ne peuvent trouver leur expression que dans un état de choses où la puissance de l’Etat sera diminuée au maximum en faveur de l’individu. Il n’existe de Bretagne que parce qu’il y a un certain nombre d’individus à se penser et à se déclarer Bretons.

Le fait de se sentir Breton étant avant tout affaire de dilection personnelle, nous doutons qu’un Etat breton nationaliste puisse beaucoup augmenter le nombre de ceux qui, à chaque génération, depuis dix siècles, maintiennent l’idéal de la patrie bretonne.

Nous proclamons ici une vérité essentielle et bien oubliée : C’est l’homme, la personne humaine, base essentielle de la société pour qui la société doit être faite.

L’Etat

La République démocratique, issue de 1789 en France, présente dès son origine, en isolant l’individu en face du pouvoir central tout-puissant, des germes fâcheux d’étatisme. Voici quarante ans, Reinach, resté fidèle aux conceptions d’un Le Chapelier, ne considérait-il pas le régionalisme et le mouvement syndical comme deux graves atteintes à l’orthodoxie du dix-huitième siècle, dans la période qui a précédé la première Révolution française.

Cet étatisme compliqué d’une psychose nationaliste, qui trouve son origine à la même époque et son parfait développement sous la dictature bonapartiste, est le grand responsable du centralisme impérialiste de l’Etat en France. Son imitation chez trop de peuples appelés depuis un siècle à constituer un Etat est une des grandes causes du désordre sanglant dans lequel se débat l’Europe et, avec l’Europe, le Monde. Il revêt évidemment un caractère plus ou moins particulier suivant les Etats et les régimes. Il ne reste pas moins l’injustifiable moteur idéologique du monde moderne et la puissance primordiale qu’il faut abattre pour réaliser un monde plus libre et plus juste.

Le nationalisme

Le nationalisme, considéré comme un attachement exclusif à la patrie et à la nationalité, est une des raisons premières du désordre présent. Procédant d’un choix purement sentimental et exclusif, il s’oppose essentiellement à toute éthique, c’est-à-dire à toute discipline basée sur le respect de la justice en soi. « Le nationalisme, comme dit l’hitlérien Karl Schmitt, ne s’occupe que des catégories d’amis et d’ennemis. » L’intérêt national, pris comme règle étroite, autorise et excuse les pires atteintes au droit. Le fascisme italien instaure une véritable déification de l’Etat, basée sur une mystique historique, la grandeur romaine, essentiellement simpliste. Elle écrase l’homme, considéré de gré ou de force comme un esclave voué à une aveugle passivité et à une obéissance purement animale envers l’Etat.

Le national-socialisme allemand nie également l’importance et les droits de la personne humaine. Il aggrave la servitude fasciste par l’ingérence dans sa politique de concepts racistes, antiscientifiques et périmés. Il atteint par cela un degré plus considérable d’inhumanité, en basant les droits du citoyen sur des caractères zoologiques plus que contestables.

Un cas particulier se pose en Bretagne. Les plus romanesques théories racistes y ont trouvé écho et auditoire. Bien que l’organe du nationalisme breton se réclame de temps en temps d’un fédéralisme de commande, il n’en subit pas moins l’influence de certain groupe prétextant fonder la Bretagne de demain sur une très hypothétique communauté de race. Nous rappellerons ici que la race, ainsi que le dit Berdaïeff : « est une catégorie zoologique et se distingue par cela même de la nationalité, qui est catégorie historique et culturelle. » Un racisme breton est d’autant plus grotesque que notre pays par sa situation péninsulaire, fut toujours une terre de refuge où les éléments anthropologiques les plus divers se sont confondus. Faire dépendre l’esprit de la forme du crâne ou de la couleur de cheveux, non seulement est d’un matérialisme puéril, mais encore absolument injustifiable dans une Bretagne aussi variée en matière d’ethnologie.

Ce racisme breton, dont la doctrine s’inspire d’affabulations nées bien ailleurs qu’en Bretagne, ne se justifie dans l’esprit de ses protagonistes que pour servir de base à la théorie d’un Etat autoritaire à instituer chez nous. Nous avons donc à faire, quelles que soient les protestations ou les afirmations de « Breiz Atao », à un mouvement tendant, au nom des droits certains de la Bretagne à la liberté, à établir dans notre pays un régime autoritaire inspiré de l’étranger et copié sur lui.

Contre une telle idéologie, il existe une tradition bretonne authentique et millénaire. La Bretagne a pris naissance dans ses clans communautaires et farouchement épris de liberté. La Bretagne, sous ses ducs et sous les rois de France, a réuni ses Etats, alors même que le peuple français restait désarmé devant le despotisme. La Bretagne, encore, cent ans avant la Révolution, promulguait le « code paysan », égalitaire et libertaire. Et c’est de la Bretagne, dont le gouverneur royal du château de Saint-Malo écrivait le 27 novembre 1766 : « Il n’y a lieu, en cette province, qui ne soit infecté de principes et de langages républicains et où toute autorité, quelque modérée qu’elle soit, ne paraisse une invasion sur la liberté ou, pour parler plus juste, sur la licence bretonne. »

A suivre dans le libertaire de Décembre