Les années se suivent et se ressemblent

Toutes les organisations politiques ont donné leur point de vue après le meurtre du jeune Nahel par un policier, à Nanterre, le 27 juin 2023. S’en sont suivies cinq nuits d’émeutes ; un remake des émeutes de 2005 mais avec un bilan bien plus lourd sur le plan des dégâts matériels. Pourtant en 2005, les émeutes avaient duré pratiquement trois semaines. Pour les uns, ce sont les mauvaises pratiques policières qui sont à l’origine de l’embrasement. Pour d’autres, ce sont les sentiments d’injustice et les inégalités sociales qui amènent à un embrasement lorsqu’une étincelle s’allume. D’autres encore pointent du doigt la responsabilité des réseaux sociaux, d’où l’extrême jeunesse des émeutiers, fervents utilisateurs de ces derniers. Les rages et les révoltes finiront-elles par aboutir à une prise de conscience des politiques. Pas si sûr. Les émeutes ont un coût financier. Il est d’ailleurs curieux que les émeutiers ciblent indistinctement les commissariats de police et les bâtiments publics : écoles, médiathèques, centres sociaux…La réponse de Macron ne s’est pas fait attendre. Il faut de l’ordre, de l’ordre et encore de l’ordre ; une fermeté pénale et un sursaut moral. Concernant le sursaut moral, il est plus facile de stigmatiser les parents des jeunes des quartiers plutôt que de d’essayer de trouver des solutions pour ces quartiers qui rappelons-le se paupérisent depuis les années 1975. Le phénomène n’est donc pas nouveau. La ségrégation par l’habitat donc par les écoles sectorisées ont accéléré la non-mixité sociale et cette dernière arrange beaucoup de gens y compris à gauche voire à l’extrême gauche. Il ne suffit pas de vanter les plans banlieues, les plans de rénovation urbaine, d’imposer des quotas de logements sociaux, de donner des crédits pour le périscolaire…pour que les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) se retrouvent en dehors de la pauvreté, de la délinquance, bref de la violence sociale. La politique des gouvernements tend à limiter la casse mais certainement pas à éradiquer la ségrégation sociale et ethnique. Pendant des années les politiciens de droite ont eu tendance à réhabiliter les centres villes et à les redensifier afin d’accroître leur assise électorale. De même les communistes (Le Havre…) ont favorisé les constructions d’immeubles en périphérie parce qu’ils y trouvaient leur électorat. Sans comprendre et prévoir que l’électorat est versatile et qu’il pouvait en cas de crise se tourner de manière non-marginale vers l’extrême-droite. Aujourd’hui, les immigrés sont surrepésentés dans les QPV, ce qui va renforcer encore la ghettoïsation de ces quartiers. Les familles qui ont les moyens d’acheter en zones pavillonnaires le font ; ceux qui connaissent les arcanes de l’Education Nationale peuvent scolariser leurs enfants où ils veulent, notamment dans le privé qui prend de plus en plus d’ampleur. D’autant que les ministres, le président de la République lui-même sont des purs produits de l’école privée qu’ils favorisent au gré des réformes. Gabriel Attal va marcher dans les pas de Blanquer. Les ministres qui prétendent contraindre l’école privée à davantage de mixité sociale sont ou des imposteurs ou des gens qui ne connaissent rien au recrutement des écoles. Un collège privé peut très bien recruter les meilleurs élèves des écoles publiques de quartiers dits sensibles à l’issue du CM2, se targuant de favoriser la mixité sociale alors qu’en réalité il ne fait que renforcer la marginalisation des collèges publics. Tant qu’on ne touchera pas à la liberté de recrutement du privé, rien ne changera. Tout le reste n’est qu’hypocrisie. A la rentrée prochaine, 45% des collégiens à Paris seront scolarisé dans le privé. Et les politiciens de tout bord s’en accommodent bien surtout si leurs enfants peuvent profiter des meilleures écoles.

Les écologistes misent sur la rénovation du bâti notamment sur le plan énergétique mais on ne les voit pas beaucoup s’atteler à se prononcer sur la non-mixité sociale dans les quartiers. Que les pauvres se débrouillent. Cela permet à Macron d’avancer vers une société illibérale car il veut incarner l’autorité républicaine. Il tend ainsi à s’aligner sur la droite dure et l’extrême-droite pour lesquelles il y a les FDS (Français de souche) et les Français de papier.  Le délire sécuritaire alors que les jeunes des quartiers sont exclus de fait de l’égalité des chances ne sert qu’à renforcer ceux et celles qui préfèrent l’original à la copie, Marine Le Pen. Les territoires dont on parle se désintègrent car ils cumulent les séquelles de la colonisation, les petits ou grands trafics, le chômage, une école à deux vitesses…

On connaît les ressorts de l’immigration : la pauvreté et la répression. Fin 19ème siècle et dans les années 1960, combien de Bretons s’exilèrent pour trouver du travail au Havre, à Paris et dans les grands ports et centres industriels ? La France a aussi connu les immigrations polonaise, italienne, espagnole, portugaise…

Après la Seconde Guerre mondiale, la pauvreté dans les pays d’Afrique du Nord ou subsahariens (anciennes colonies) ainsi que les besoins industriels d’une main d’œuvre bon marché (chaînes automobiles…) ont provoqué de nouvelles migrations. En France, nous payons aujourd’hui la quasi-relégation des populations immigrées dans les banlieues. Avec un racisme qui progresse et une jeunesse de ces quartiers qui ne voit guère de lueur d’espoir de s’en sortir ne serait-ce que pour trouver un travail sans être discriminé.

L’Etat et le patronat s’attaquent à tout ce qui est collectif. Les syndicats sont marginalisés même si la récente réforme des retraites a coalisé l’intersyndicale, ce qui ne fut pas pour autant un succès de lutte. Les solidarités s’étiolent sauf quelques exemples qui confirment la règle. Les relations humaines s’estompent notamment dans les grandes villes. L’égoïsme et la solitude triomphent. En tant qu’anarchistes, nous faisons bien le distinguo entre la philosophie individualiste qui enrichit l’autonomie personnelle et l’individualisme bourgeois qui ne tient aucun cas des autres.

Des trois tendances socialistes historiques, seul l’anarchisme n’a pu montrer ses possibilités hormis le bref été de l’anarchie en Espagne durant la Révolution espagnole en 1936-1937. La social-démocratie a été usée par le pouvoir mitterrandien et hollandais et le communisme marxiste n’a produit que des dictatures avec à la clef une répression féroce et morbide de millions de personnes (URSS, Chine, Cuba, Vietnam…). Marx et ses successeurs qui ont eu foi dans un parti progressiste de bourgeois et d’ouvriers sont vite tombés dans les travers de la dictature sur le prolétariat.

Les libertaires ont l’avantage de comprendre depuis le début que les matières et activités interagissent et qu’il faut lier les connaissances pour comprendre les réalités du monde qui évolue sans cesse. Les anarchistes dénoncent la bureaucratisation et la sclérose de l’Etat parasité lui-même par les lobbies (grands patrons, faiseurs d’opinion…) et contrôlé par les profits. Si on ajoute à cela la crise climatique qui s’invite au menu des défis à résoudre, les libertaires se trouvent dans une situation favorable pour exprimer leurs idées et leurs pratiques d’entraide et d’action directe. De plus en plus de personnes s’aperçoivent que l’agro-business nous mène dans le mur. Que les entreprises du CAC – Quarante ont la santé florissante alors que de plus en plus de gens vivent sous le seuil de pauvreté. La volonté de Macron de se diriger vers l’illibéralisme nous mène de même à une société de soumission, de censure et de surveillance (Vidéo-surveillance, smartphones contrôlés à distance, intelligence artificielle, numérique, interdiction et dissolution d’organisations…). En tant que libertaires, nous allons tout mettre en œuvre pour faire dérailler ces projets liberticides.

Mais il ne suffit pas d’énoncer de grands principes pour être compris des gens disait Bakounine, il faut leur parler aux tripes. Sinon, les gars de la Marine vont s’en charger.

Patoche (GLJD)