Jules Durand pour mémoire

Jules Durand pour mémoire

Invités L’Humanité – le 29 Novembre 2010

L’invité de la semaine

Matthieu Bonduelle. Jules Durand, pour mémoire…

Secrétaire général du Syndicat de la magistrature

Le 25 novembre 1910. Il y a un siècle, la cour d’assises de la Seine-Inférieure, réunie à Rouen, condamnait à mort et à tort Jules Durand, militant anarchiste, responsable du Syndicat des ouvriers charbonniers du Havre, accusé, sur la base de faux témoignages, d’avoir commandité le meurtre, commis moins de trois mois plus tôt, d’un antigréviste… tué au cours d’une bagarre d’ivrognes. Jules Durand avait engagé son organisation, en août 1910, dans une grève très dure « contre l’extension du machinisme, contre la vie chère, pour la hausse des salaires et pour le paiement des heures supplémentaires ». Pour casser ce mouvement, les compagnies portuaires avaient décidé d’embaucher des hommes qu’elles payaient trois fois plus cher, mais opposés à la grève, nommés « les renards » par les ouvriers grévistes. L’erreur judiciaire, évidente, résultat d’une véritable machination patronale, suscitait immédiatement une intense campagne de solidarité en France et à l’étranger, qui finissait par porter ses fruits.

Mais c’est un homme rendu fou par l’injustice qui était gracié en 1911 par le président de la République, puis définitivement innocenté en 1918 par la Cour de cassation.

Cent ans plus tard, faut-il s’en étonner, les choses n’ont guère changé. Douce aux riches, la justice est toujours plus âpre aux pauvres. Mais, surtout, la majorité de ses hiérarques ne comprend décidément pas grand-chose. Afin d’honorer la mémoire de Jules Durand – et de s’honorer en retour par la présence de son nom au frontispice d’une salle d’audience –, des magistrats du Havre, à l’occasion du centenaire de sa condamnation, ont souhaité baptiser de son patronyme la nouvelle salle du conseil de prud’hommes. Une assemblée générale, réunie à la demande de ces magistrats, a largement entériné ce voeu. Toutefois, avec le souci permanent de l’ouverture et de la communication externe qui les caractérise, le président du tribunal et le procureur de la République, jugeant l’affaire sulfureuse, s’y sont fermement opposés. La salle a été finalement et courageusement baptisée : « Salle A. » Il paraît que la justice évolue…

Matthieu Bonduelle

Source : Syndicat de la magistrature https://share.google/i92KTB3UWjDkbXvk4

Ecrit par Pierre Ancery

Publié le 24 novembre 2022 et modifié le 22 novembre 2024

RetroNews site de presse de la BNF.

Le cas de Jules Durand ou la « seconde affaire Dreyfus »

En 1910 au Havre, un contremaître anti-gréviste est tué lors d’une rixe. Un coupable idéal est trouvé : Jules Durand, syndicaliste. Le 25 novembre suivant, il est condamné à mort. C’est le début d’une des plus grandes erreurs judiciaires françaises.

Son nom n’est guère connu aujourd’hui, pourtant Jules Durand fut victime d’une des plus graves erreurs judiciaires du siècle dernier en France. Certains, à l’instar de Jean Jaurès, parlèrent même de « seconde affaire Dreyfus ».

Cette histoire tragique commence en 1910, au Havre. Le port est alors en pleine grève contre l’extension du machinisme et la vie chère, les ouvriers réclamant en outre une hausse des salaires et le paiement des heures supplémentaires.

Pour contrer le mouvement, les compagnies portuaires et maritimes embauchent des « renards », ouvriers anti-grévistes payés trois fois plus cher. Le 9 septembre, à la suite d’une rixe alcoolisée, l’un d’eux, Louis Dongé, contremaître, meurt roué de coups par trois charbonniers. Ces derniers sont arrêtés.

Jules Durand aussi. Anarchiste, syndicaliste révolutionnaire, membre de la Ligue des droits de l’Homme et militant antialcoolique, il est alors secrétaire du syndicat des charbonniers. On l’accuse d’avoir prémédité et organisé l’assassinat de Louis Dongé.[…]

Le cas de Jules Durand ou la « seconde affaire Dreyfus » https://share.google/s6n1DmnbdZ8ZarQwB

Le Monde Diplomatique d’Avril 2021

L’affaire Jules Durand. Quand l’erreur judiciaire devient crime (Marc Hédrich Michalon, Paris, 2020, 316 pages, 21 euros).

Tout est résumé dans le sous-titre… Jules Durand, fondateur du syndicat CGT des ouvriers charbonniers sur le port du Havre en 1910, est une personnalité atypique : anarchiste, mais également membre de la Ligue des droits de l’homme et de la Ligue antialcoolique, l’alcool-assommoir causant alors des ravages au sein de la classe ouvrière. Condamné à mort pour complicité d’assassinat pour le meurtre d’un « jaune » auquel il est complètement étranger, devant la stupeur et le tollé qui s’ensuivent, il sera d’abord gracié partiellement, avant d’être entièrement réhabilité, son innocence étant reconnue par la Cour de cassation le 18 juin 1918. Mais, broyé psychiquement par cette machination judiciaire, le « Dreyfus ouvrier » devra être interné peu après sa libération à l’asile d’aliénés de Rouen, où il mourra dans l’indigence et oublié de tous, à 46 ans, en 1926. L’auteur, magistrat de son état, rend hommage à ce « juste mis au rang des assassins », et dénonce la justice de classe qui en fut responsable.

Jean-Jacques Gandini

Les livres du mois, avril 2021

Le Monde diplomatique

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