
Extraits de « Fédéralisme : Structure et dynamique fédérale », un texte de Félix Carrasquer Launed , pédagogue et écrivain libertaire, écrit en 1979 et publié en 2018 par Editorial Descontrol .
Dans les Asturies, le León, l’Aragon et la Castille, les municipalités conservaient de vastes forêts communales et de nombreux villages pouvaient se fédérer librement pour s’entraider. Ainsi, dans les zones rurales, les pratiques fédérales se sont perpétuées pendant des siècles : les habitants de la municipalité se réunissaient dans l’atrium de l’église ou sur la place du village et répartissaient chaque année les terres arables en lots égaux, de sorte que chaque famille disposait de sa part en fonction du nombre de personnes valides disponibles pour la cultiver. De cette manière, les jeunes, en se mariant, pouvaient s’émanciper de leur famille d’origine et, par leur travail, organiser librement leur vie.
« Et non seulement ils divisaient la terre en parcelles, mais ils donnaient à chacun la possibilité d’emmener ses animaux aux pâturages communs, et lorsqu’un père de famille était malade, les autres cultivaient sa parcelle ou récoltaient sa récolte dans un geste de solidarité vraiment admirable qui perdure encore dans certains petits villages » [36].
Tout cela, que l’Église et les nobles ont impitoyablement restreint par des vols abusifs [37], et les rois par des donations injustes , a finalement disparu avec la tristement célèbre loi de désentail de Mendizábal et d’autres lois qui l’ont précédée. En vertu de ces lois, nombre de ces terres municipales, ou bois blancs, furent vendues avec d’autres biens du clergé. L’intention était que les journaliers agricoles, qui avaient à peine de quoi se nourrir, les achètent. Mais avec quel argent ? Aucun crédit ne leur fut accordé, et les riches propriétaires terriens, ainsi que d’autres membres de la nouvelle bourgeoisie, s’emparèrent des champs. Dès lors, les paysans, dépossédés de leurs parcelles et de leurs terres communes , furent plongés dans une misère effroyable . On retrouve des fragments admirables de ce passé fédéraliste éloquent de nos campagnes dans l’ouvrage susmentionné de Joaquín Costa .(…)
Les communes villageoises , initialement libres , bien que plus tard soumises aux seigneurs féodaux ou au roi, se développèrent selon des normes fédérales d’ autogestion et d’entraide . En effet, même en l’absence d’un égalitarisme total, la richesse était largement partagée et toutes les décisions étaient prises lors de l’assemblée populaire . Vicens Vives, évoquant un village castillan, rapporte notamment [72] : « Le territoire était dédié aux usages suivants : la defesa, ou pâturage, où paissaient les bovins ; le cotus, forêt où se pratiquait la chasse ; la mesta – terme qui acquit une importance considérable dans la vie économique castillane – où l’on menait paître les troupeaux d’agneaux ; et enfin, la piscaria, ou lacs ou rivières, où la pêche était pratiquée collectivement . » L’ensemble de ces terres, ainsi que les parcelles de terres agricoles, était périodiquement redistribué afin que chaque famille dispose de la terre nécessaire à sa subsistance. Bien que le plus important pour les municipalités soit de retrouver leur autonomie afin de pouvoir gérer librement la vie civique et économique de chaque population.
Mais à partir du milieu du XIVe siècle , les anciens conseils de Castille et d’autres régions, nommés par le peuple , furent remplacés par d’autres désignés par le roi ou ses représentants par décrets royaux. C’est ainsi que l’autorité centrale mit fin à l’autonomie des villes et des villages, et que ces derniers devinrent subordonnés et régis par des décrets venus de loin, ignorant tout de leurs besoins et aspirations. Les observations de Zancada [73] corroborent ce point : « Parmi les divers facteurs qui ont fortement contribué à la dignité et au développement de la municipalité, un élément commun a intensément favorisé l’essor de ces organisations populaires. Cet élément, d’une grande énergie, était l’association professionnelle des artisans, qui faisait contrepoids à la tyrannie des barons féodaux et sous la protection de laquelle l’artisan parvenait à faire respecter ses droits . »
Cette volonté d’assujettissement et de tyrannie transparaît clairement dans le décret de Philippe V , lorsqu’il soumet la Catalogne et la prive de ses chartes. Il décrète ainsi, pour la nomination des nouveaux conseils municipaux [74] : « Tous ces congrès, assemblées, conseils ou hôtels de ville qui, dans les villes de Catalogne, réunissaient en grand nombre le peuple au son des cloches, des trompettes ou à la voix, ou de toute autre manière, et qui regroupaient en eux la totalité de la représentation de ce peuple, sont par les présentes abolis et supprimés. Ces nombreux rassemblements étant régulièrement nuisibles à l’État, ils sont par les présentes totalement abolis et supprimés, et tout le pouvoir qu’ils exerçaient auparavant est transféré au bailli et aux conseillers, dont la nomination nous appartient, ainsi qu’à la cour royale . » Le ton despotique de ce décret rend tout commentaire supplémentaire superflu.
NOTES :
[36] Costa, Joaquín. «Le collectivisme agraire en Espagne» .
[37] De tels vols commis par les seigneurs, les rois et l’Église se faisaient à l’insu de la « Charte de León » qui établissait : « Quiconque vend une terre du conseil, la confisque au conseil ; quiconque l’achète, confisque le prix et laisse l’héritage. »
[72] Vives, Vicens. Op. cit.
[73] Zancada, Práxedes : L’ouvrier en Espagne. Barcelone : Maucci, 1902. Page 44.
[74] «L’Onze de Setembre en Catalogne» . Barcelone : Undarius, 1976
Félix Carrasquer Launed
Pour les compagnes et compagnons qui lisent l’espagnol, le livre de Félix Carrasquer est téléchargeable