Le Libertaire de Janvier 2026

« La liberté est l’affaire des opprimés et ses protecteurs traditionnels sont toujours sortis des peuples opprimés. Ce sont les communes qui dans l’Europe féodale ont maintenu les ferments de liberté, les habitants des bourgs et des villes qui l’ont fait triompher fugitivement en 1789, et à partir du XIXe siècle ce sont les mouvements ouvriers qui ont pris en charge le double honneur de la liberté et de la justice, dont ils n’ont jamais songé à dire qu’elles étaient inconciliables. Ce sont les travailleurs manuels et intellectuels qui ont donné un corps à la liberté, et qui l’ont fait avancer dans le monde jusqu’à ce qu’elle devienne le principe même de notre pensée, l’air dont nous ne pouvons plus nous passer, que nous respirons sans prendre garde, jusqu’au moment où, privés de lui, nous nous sentons mourir. Et si, aujourd’hui, sur une si grande part du monde, elle est en recul, c’est sans doute parce que jamais les entreprises d’asservissement n’ont été plus cyniques et mieux armées, mais c’est aussi parce que ses vrais défenseurs, par fatigue, ou par une fausse idée de la stratégie et de l’efficacité, se sont détournés d’elle. Oui, le grand événement du XXe siècle a été l’abandon des valeurs de liberté par le mouvement révolutionnaire, le recul progressif du socialisme de liberté devant le socialisme césarien et militarisé. Dès cet instant, un certain espoir a disparu du monde, une solitude a commencé pour chacun des hommes libres. »

(Albert Camus, extrait de son discours à la Bourse du travail de Saint-Etienne, 1953)