
Le Soudan, englué dans le sang et la faim
La ville d’El Fasher, située dans la province du Darfour, au Soudan, ravagée par la guerre (une région de la taille de l’Espagne), est tombée aux mains des Forces de soutien rapide (FSR), un groupe paramilitaire, après un an et demi de siège. Pendant cette période, des centaines de milliers de civils se sont retrouvés piégés, les approvisionnements alimentaires se sont effondrés et la famine a commencé à se propager. Des images satellites et des témoignages oculaires révèlent des scènes d’horreur : des quartiers incendiés, des charniers et des massacres de civils. Les Forces de soutien rapide (FSR), dirigées par le général Mohamed Hamdan Dagalo (« Hemedti ») – successeurs directs des milices Janjawid, surnommées les « diables à cheval » qui ont terrorisé pendant des années la population non arabe du Darfour – combattent depuis plus de deux ans les Forces armées soudanaises (FAS) du général Abdel Fattah al-Burhan dans ce que de nombreux Soudanais qualifient de « guerre contre les civils », étant donné que les femmes et les enfants figurent de manière disproportionnée parmi les victimes.
Le nombre total de décès est inconnu ; les estimations varient de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers, mais aucun chiffre confirmé n’approche le million. Plus de 12 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du Soudan ou contraintes de fuir vers les pays voisins, notamment le Tchad, mais aussi la République centrafricaine, la Libye, l’Égypte, le Soudan du Sud, l’Ouganda et l’Éthiopie. Environ 25 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire, et près de 24 millions sont confrontées à une grave insécurité alimentaire et à des épidémies de maladies telles que le choléra. Même l’aide qui parvient au pays est fréquemment bloquée ou pillée par les forces de soutien rapide (FSR), les unités des Forces armées soudanaises (FAS) ou les milices locales affiliées à l’un ou l’autre camp. Seul un petit nombre de réfugiés réussissent à atteindre la Méditerranée pour tenter de rejoindre l’Europe à bord d’embarcations de fortune, au péril de leur vie.
Cette guerre civile a débuté après la destitution du président Omar el-Béchir en 2019, suite à un soulèvement populaire qui l’a contraint à la démission. Au lieu d’instaurer la démocratie, le pays a été pris en otage par des généraux rivaux qui ont fini par s’affronter. Ce conflit brutal, qualifié par l’ONU de « situation explosive » sans perspective de résolution, a impliqué des puissances extérieures telles que les Émirats arabes unis et l’Égypte – qui soutiennent des camps opposés – ainsi que des intérêts russes et des sociétés militaires privées. L’UE a dépensé des millions pour endiguer l’immigration, tandis que du matériel militaire britannique, canadien et d’autres pays est utilisé sur les champs de bataille.
Ce qui subsiste du mouvement révolutionnaire populaire qui a alimenté le soulèvement contre al-Bashir est moins connu. Parmi ces forces figure le Groupe anarchiste au Soudan (AGS), fondé par des étudiants et de jeunes travailleurs en 2017. Pendant la révolution, ses membres ont contribué à organiser des comités de résistance : des assemblées de quartier qui coordonnaient les manifestations, les grèves et l’entraide. Après le retour au pouvoir des militaires et le début de la guerre civile, de nombreux membres de l’AGS ont été arrêtés, tués ou contraints à la clandestinité. D’autres ont poursuivi leur action dans le secret : traduction et impression de textes anarchistes, gestion de cantines communautaires, aide aux familles déplacées et soutien aux groupes d’autodéfense locaux. Grâce au soutien de réseaux anarchistes internationaux, comme Rose Noire , l’AGS a acquis une presse à imprimer pour produire ses propres documents, mais la lutte et la répression persistantes en ont limité l’utilisation. Pour eux, il ne s’agit pas simplement d’une guerre entre deux généraux, mais de la destruction violente de la révolution par la base : un écrasement délibéré de toute tentative d’auto-organisation, d’autonomie et de pouvoir populaire.
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