Aux origines de l’antisémitisme

L’antisémitisme n’a pas surgi d’un coup, par génération spontanée. Et l’on ne devient pas antisémite par hasard. Pour que le sentiment antijuif éclose et se développe, il a fallu qu’il s’alimente à une source. Cette source, c’est précisément l’Eglise chrétienne.

Certes les Juifs furent souvent haïs et persécutés bien avant l’ère chrétienne. L’Ancien Testament apporte un témoignage éloquent des conflits opposant les descendants d’Abraham à leurs voisins. Mais l’anathémisation prononcée contre le peuple d’Israël, accusé de déicide, émane bel et bien de l’Eglise chrétienne.

« La grande responsable, sinon la seule, dans le développement de l’antisémitisme, est l’Eglise »,  écrit Marcel Miodovnik (1). « Pendant tant de siècles, elle a façonné les esprits que, même séparés de l’éducation chrétienne, bien des athées ont continué de penser et d’agir selon les normes de l’éducation antijuive traditionnelle. »

Même son de cloche chez Bernard Lazare (2), qui pourtant se montre plutôt critique envers ses coreligionnaires : «  Durant les sept premiers siècles de l’ère chrétienne, remarque-t-il, l’antijudaïsme eut des causes exclusivement religieuses, et il fut à peu près uniquement dirigé par le clergé. Les excès populaires, la répression législative ne doivent pas faire illusion, car jamais ils ne furent spontanés, et leurs inspirateurs furent toujours des évêques, des prêtres ou des moines. »

Pour Guy Fau (3), les chrétiens vont non seulement enseigner durant de longs siècles la haine des Juifs, mais la transformer en dogme : «  Par des sermons répétés à l’église, par les mystères du Moyen Age, plus tard par le catéchisme, on a enseigné pendant des siècles la haine des Juifs et c’est l’Eglise qui porte la responsabilité de l’entretien, de la diffusion, de la permanence de cette haine. C’est l’enseignement chrétien qui a été la source première et permanente de l’antisémitisme. Comme la source puissante, séculaire sur laquelle toutes les autres variétés de l’antisémitisme sont venues se greffer. »

Inutile de multiplier les citations. Toutes démontrent irréfutablement que, même s’il y eut avant l’ère chrétienne des sentiments antijuifs chez les peuples voisins des Hébreux, c’est bien la chrétienté qui a développé, enseigné et répandu l’antisémitisme dans le monde. C’est elle qui a rejeté dans l’opprobre et la malédiction le peuple d’Israël. Elle, qui a permis et suscité les pogromes. La toute puissante Eglise catholique s’appuyait sur le bras séculier des autorités pour mettre les Juifs à l’écart de la communauté chrétienne. En Espagne, les ordonnances de Valladolid de 1412 avaient créé des « juderias » obligatoires et fermées. A Venise, en 1516, les autorités de la République sérénissime ordonnèrent par décret aux Juifs de la ville de se regrouper dans un quartier réservé : le ghetto.

Autre symbole d’exclusion du Juifs : l’étoile jaune. Là aussi, nous retrouvons l’empreinte de l’Eglise, puisque c’est au Concile de 1215 (Latran) que fut décidée l’obligation pour les Juifs de porter sur la poitrine cette marque d’infamie : la rouelle, préfiguration de l’étoile jaune imposée par les nazis.

La haine des Juifs fut alimentée – entre autres – par Grégoire de Nysse et Saint Augustin. Selon ce dernier, le peuple juif étant déicide, il devenait légitime de l’opprimer, de le tenir dans une situation inférieure, en punition du crime dont il porte éternellement le poids. Toute vexation était donc permise et même encouragée à l’égard des Juifs, et conforme au plan divin.

Sous le règne de Constantin (306-337), le judaïsme fut considéré comme une croyance néfaste. De nombreuses mesures d’interdiction et d’exclusion furent prises à l’égard des fils d’Israël. Quelques siècles plus tard, l’époque des croisades marquera une recrudescence des persécutions antijuives. Dans toute la chrétienté se multiplièrent les massacres de Juifs. Lorsque les croisés prirent Jérusalem, en 1099, ils se livrèrent à un tel carnage que même certains d’entre eux furent « frappés d’horreur et de dégoût » relate Guillaume de Tyr. Elmacin rapporte également qu’on enferma les Juifs dans la synagogue et qu’on les y brûla tous.

Et ainsi de suite jusqu’à l’époque contemporaine.

Drumont, Hitler et consorts ont eu d’innombrables précurseurs. Et tout laisse supposer que ce ne sont pas les successeurs qui manqueront.

Aujourd’hui, il existe un œcuménisme opportuniste qui n’a d’autres fins que de cultiver et d’entretenir en commun une crédulité qui est le fondement de toute domination des clercs sur la multitude des gogos. L’Eglise peut vouloir exorciser ses vieux démons, ce n’est qu’une imposture de plus. Il nous suffit de regarder les liens entre catholiques intégristes et militants d’extrême-droite pour vérifier que l’antisémitisme est toujours présent en 2024. Nous parlerons de même de l’antisémitisme de bon nombre de musulmans dans un prochain article.

A.P et Ty Wi

(1) L’Idée libre N°30, octobre 1966

(2) L’Antisémitisme, son histoire et ses causes aux Editions de la Différence, Paris, 1982

(3) Le Dossier juif, Ed. de l’Union rationaliste, Paris, 1967