Nous voici, au début de tout!

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Nous voici au début de tout!

Les attaques soudaines de liberté sur l’hydre capitaliste qui suffoque, font fluctuer sans cesse l’épicentre des perturbations sismiques. Les territoires du monde entier touchés par le système de prestations privées sont exposés au déchaînement des mouvements insurrectionnels. La conscience est forcée de courir après des vagues successives d’événements, réagissant à des chocs constants, paradoxalement prévisibles et inattendus.

Deux réalités se combattent face à la violence. L’une est la réalité du mensonge. Profitant du progrès technologique, essayez de manipuler l’opinion publique au profit du pouvoir établi. L’autre est la réalité de la vie quotidienne de la population.

D’une part, il y a les mots creux du jargon des entreprises qui montrent l’importance des chiffres, des enquêtes et des statistiques; qui fourmillent de faux débats dont la prolifération sert à cacher les vrais problèmes: les revendications existentielles et sociales. Les fenêtres médiatiques du mensonge déversent chaque jour de nombreuses astuces et conflits d’intérêts insignifiants qui ne nous intéressent pas, mais dont les conséquences négatives nous affectent. Leurs guerres de dévastation rentable ne sont pas les nôtres; ils n’ont d’autre but que de nous dissuader de mener la seule guerre qui nous concerne, la guerre contre l’inhumanité répandue dans le monde.

Du même côté, selon la vérité absurde des dirigeants, les choses sont claires: revendiquer les droits de l’être humain est caractéristique de la violence antidémocratique. La démocratie consisterait alors à réprimer le peuple, à lui jeter une horde de policiers qui, en développant l’impunité garantie par le gouvernement et les candidats d’une opposition acharnée à lui succéder, incite à des comportements fascisants. Imaginez seulement les chants des zombies médiatiques s’il était vrai que l’immolation par le feu d’une victime de paupérisation conduirait au feu du système responsable!

D’un autre côté, la réalité vécue par le peuple est également claire. Nous n’admettrons jamais que la dalle de travail mal rémunéré, la pression bureaucratique qui augmente les taux et diminue le montant des pensions et des conquêtes sociales, la pression salariale qui réduit la vie à une stricte survie peut être réduite pour les transactions commerciales. La réalité vécue n’est pas un chiffre, c’est un sentiment d’indignité, c’est le sentiment de ne rien être parmi les griffes de l’État, un monstre qui rétrécit comme la peau d’une chaussure avant le drainage des détournements de fonds internationaux.

Eh bien, dans l’affrontement entre ces deux réalités – celle qui impose le fétichisme de l’argent et celle qui parle au nom de la vie – une étincelle, souvent minuscule, est venue éclairer le fusible.

Il n’y a rien aujourd’hui, si petit soit-il, qui ne soit capable de déclencher la violence contenue dans la vie réprimée, dans la vie déterminée à briser tout ce qui menace de l’éteindre.

L’inertie séculaire et la léthargie, sous l’égide de l’ancienne recette du «pain et du cirque», sont à la base du formidable pouvoir de la servitude volontaire. Dénoncé au XVIe siècle par La Boétie, il reste notre ennemi le plus impitoyable. En nous attaquant de l’intérieur, la servitude volontaire favorise une inclination chez beaucoup qui fonctionne comme s’il s’agissait d’une drogue: la volonté d’exercer le pouvoir, de porter le rôle de guide. Fréquemment, la morbidité de l’autorité de quelques-uns a infecté les médias libertaires, il convient donc de féliciter la détermination des Gilets jaunes et autres insurgés de la vie quotidienne à constamment évoquer leur rejet du siège, des délégués auto-désignés, mentors et grenouilles d’étangs d’eau bénite politiques ou syndicaux.

Sont libres ceux qui sont heureux de mourir en paix en attendant la sombre moissonneuse dans le confort du cercueil et de la télévision, mais nous ne laisserons pas la sénilité prendre le dessus sur notre volonté de vivre.

 

Nous voulons la souveraineté de l’être humain, ni plus ni moins.

La paupérisation frappe aux portes avec une violence croissante, menaçant de les faire tomber. L’hédonisme du passé récent qui nous a écrasés avec le slogan consumériste et gouvernemental est révolu: « Profitez aujourd’hui, demain sera pire! » Le pire est déjà aujourd’hui, surtout si nous continuons de l’accueillir. Nous devons cesser de croire à la toute-puissance du capitalisme et au fétichisme de l’argent. Nous avons remarqué que la grande farce macabre qui fait danser le monde à son fils est le résultat d’une motivation sordide, celle du bénéfice à court terme, celle de la rapacité absurde d’un commerçant en faillite se grattant le fond des tiroirs.

Je ne parle pas d’espoir. Elle n’est que l’appât du désespoir. Je me réfère à toutes les régions du monde où une insurrection de la vie quotidienne – appelez-la comme vous voulez – s’efforce de démanteler la dictature de l’avantage privé et de renverser les États qui l’imposent aux personnes qu’ils prétendent représenter. Ce que nous voulons, ce n’est pas pour demain, mais pour aujourd’hui, comme l’ont très bien exprimé les soignants, les infirmières, les urgentistes, les ambulanciers paramédicaux et les médecins qui font face à la gestion économique qui déshumanise le secteur hospitalier.

Le système d’exploitation de la nature terrestre et humaine dépasse tous les horizons. Le manteau de la rentabilité à tout prix ferme toutes les sorties à la générosité de la vie et au sentiment humain qui favorise sa pratique.

De toute évidence, les exploiteurs et les exploités sont convaincus que le pot est sur le point d’exploser. La violence est incontournable. Le problème ne réside pas en lui. L’approche pour résoudre sans ambiguïté repose sur une alternative.

Tolérerons-nous l’explosion sociale conduisant à un état de guerre civile endémique, un chaos de vengeance et de haine qui ne profitera finalement qu’aux mafias multinationales, déjà en toute liberté pour continuer en toute impunité et même à s’autodétruire avec leur projet de désertification lucratif?

Ou allons-nous créer des micro-sociétés libérées de la tyrannie de l’État et des marchandises, des territoires fédérés où l’intelligence des individus pourra se débarrasser de cet individualisme de troupeau à la recherche d’un guide suprême qui les conduira à l’abattoir? Allons-nous enfin prendre les rênes de notre propre destin et faire un plan clair de cette jungle sociale où les animaux de charge n’ont pas plus de liberté que celle de choisir les proies qui les dévoreront?

 

En 1888, Octave Mirabeau écrivait ce qui suit: «Les agneaux vont à l’abattoir. Ils ne disent rien ni rien attendent. Mais au moins, ils ne votent pas pour le boucher qui va les tuer ou pour le bourgeois qui va les manger. Pire que les animaux, plus encombré que les moutons, l’électeur choisit son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des révolutions pour conquérir le droit d’agir ainsi. »

 

Ne vous ont-ils pas transformés de génération en génération avec la même monnaie indescriptible: Cara, la matraque de l’ordre; traverser, le mensonge humanitaire?

 

Il n’y a pas de «vote du moindre mal», il y a une démocratie totalitaire, qui ne peut être révoquée que par la démocratie directe exercée par le peuple et pour le peuple. Soit dit en passant, je me suis amusé avec un slogan qui, même superficiel, nécessite une réflexion un peu plus profonde: « Macron, Le Pen, Mélenchon, le même combat de connard! » J’aurais préféré « merde » au lieu de « gilis », car le déni de toute forme de pouvoir et le dialogue avec l’Etat fait partie de ces petits plaisirs responsables des grandes marées de joie individuelle et collective.

 

Autonomie, auto-organisation et auto-défense.

 

Les instances du pouvoir ne toléreront jamais que le peuple se libère de sa tyrannie. Nous devons nous préparer à une longue lutte. Celui qui sera pris contre la servitude volontaire ne sera pas le plus court. La seule prise sur laquelle le despotisme peut être saisi sera l’obsession pour la sécurité des démissionnaires, le ressentiment suicidaire d’une majorité supposée silencieuse qui crie sa haine de la vie.

La meilleure défense est toujours l’offensive. Ce principe, largement démontré par la tradition militaire, je voudrais qu’il soit remplacé par le principe d’ouverture, car le plaisir de rompre le siège s’ajoute à l’avantage de rompre le siège.

L’ouverture à la vie s’observe dans la ferme détermination des insurrections en cours. Bien que certains puissent sortir, ils reviennent toujours à la charge avec plus de vigueur. Nous le remarquons dans la nature festive des manifestations de protestation qui perdurent, peu importe combien ils rencontrent la cécité, la surdité et la colère répressive des gouvernements. Je parle de pacifisme insurrectionnel basé sur ce type d’ouverture.

Le pacifisme insurrectionnel n’est ni pacifique, au sens de troupeau, ni insurrectionnel, si c’est pour cela qu’il est entendu l’aberration de la guérilla urbaine ou guévariste.

 

Je n’ai pas de vocation de guerrier ou de martyr. Je fais référence à la vie et à sa vie qui essaie de surmonter les contraires afin qu’ils ne deviennent pas une contradiction. Quoi qu’il en soit, pour échapper à la dualité manichéenne du pour et du contre. Je parie sur la créativité des individus pour inventer une révolution dont il n’y a pas d’exemples dans le passé. L’inconfort et l’incertitude d’une civilisation qui naît n’ont rien à voir avec l’inconfort d’une civilisation dont la seule certitude est qu’elle mourra.

Philosophes, sociologues et experts en pensée, nous épargnent les discussions éternelles sur la malignité du capitalisme capable de profiter de son agonie. Tout le monde est d’accord sur ce point, même les capitalistes. Au contraire, les vrais problèmes n’ont pas été abordés, ceux de la base, ceux des villes et bidonvilles urbains, ceux de notre corps, qui, soit dit en passant, se souviennent que c’est vraiment qui décide ou non de notre destin?

 

Plus les luttes pour la planète s’étendent, plus le radicalisme atteint son sens, à la fois en profondeur et dans l’expérience vécue. Plus ils sont nombreux, mieux ils peuvent se passer de l’engagement militant, se moquent des intellectuels, spécialistes de la manipulation subversive et réactionnaire (puisque la manipulation les traite tous les deux comme les deux faces d’une même médaille). Les individus, à la fois dans leurs expériences existentielles et dans leur fonction sociale, se découvrent lorsque leur aspiration à la vie commence à saper et à ouvrir le mur auquel les figures commerciales s’opposent, comme si leur destin s’arrêtait devant lui.

 

Non, il n’est plus possible de parler de l’homme dans l’abstrait, le seul reconnu par les statistiques, les calculs budgétaires et la rhétorique de ceux qui – laïcs ou religieux, humanistes ou racistes, progressistes ou conservateurs – sont responsables de coups, de cécité, de viols, de séquestrations , massacres …, tandis que, accroupis dans leurs ghettos de lâches, ils ont le crétinisme arrogant de l’argent pour assurer l’impunité et la sécurité.

 

La dictature de l’intérêt privé est une agression contre les corps. Confier à la vie le soin de s’immuniser contre le cancer financier qui corrompt notre chair implique une lutte poétique et solidaire. Rien de mieux que l’éclat de la joie de vivre pour réduire la morbidité du monde en cendres! Aujourd’hui encore, la révolution a des vertus thérapeutiques insoupçonnées.

 

Des écologistes qui pleurent pour un meilleur climat devant les États qui se moquent de vous en polluant de plus en plus chaque jour, alors qu’il est urgent d’agir sur un terrain où les enjeux n’ont rien à voir avec la mondanité intellectuelle. Des problèmes tels que les suivants:

 

Comment passer de la terre entourée de l’industrie agroalimentaire à sa restauration par la permaculture?

Comment interdire les pesticides sans nuire aux paysans qui, piégés par Monsanto, Total et compagnie, détruisent leur santé, détruisant celle des autres?

 

Comment reconstruire sur une nouvelle base les petites écoles rurales et de quartier que l’État a ruinées et interdites afin de promouvoir une éducation à la concentration?

Comment boycotter les produits nocifs et inutiles que l’intimidation nous oblige à acheter?

Comment créer des banques d’investissement locales dont la monnaie est capable de contrer les effets du marasme monétaire et du crac financier programmé?

Comment mettre fin aux retenues à la source que l’État destine à couvrir les détournements bancaires, à les utiliser dans l’autofinancement de projets régionaux et locaux?

 

Et surtout, comment répandre partout le principe d’une gratification que la vie revendique par sa propre nature et que le fétichisme de l’argent dénature. Trains et transports publics gratuits, soins gratuits, habitat et auto-construction gratuits, artisanat graduel gratuit et production alimentaire locale.

 

Utopie? L’utopie n’est-elle pas pire l’enchevêtrement de projets absurdes et délétères qui ventilent, devant le regard las des spectateurs, ces talentueux histrions qui attisent les fantômes de leurs guerres de voyageurs de commerce, qui répètent sans arrêter les pitreries de la lutte des patrons, qui cachent les vrais problèmes existentiels et sociaux avec de faux débats, et éclipsent le terrorisme d’État à travers une chronique de terrorisme événementiel, où la folie suicidaire augmente avec la paupérisation et une atmosphère de plus en plus irrespirable?

 

Avons-nous suffisamment réalisé que, dans leur diversité, même dans leurs divergences, les Gilets jaunes et les mouvements vindicatifs formaient un formidable groupe de pression capable de boycotter, bloquer, paralyser, détruire tout ce qui contamine, empoisonne, appauvrit ou menace notre environnement? La sous-estimation de notre force et de notre créativité est plus typique des mécanismes démocratiques de la tyrannie de l’État et du marché. Bien plus que les gendarmes, la force illusoire de l’État repose sur l’effet d’une propagande qui nous pousse à chaque instant à renoncer au pouvoir poétique que nous avons en nous, à cette force de vie à laquelle aucune tyrannie ne prendra fin.

 

Maintenant, en attendant …

 

Au Chili, la lutte contre les vers qui prolifèrent sur le corps de Pinochet a ravivé la conscience que tout doit recommencer depuis la base, que les représentants du peuple ne sont pas le peuple, que l’individualisme manipulé par l’esprit Grégaire ne correspond pas à l’individu capable de réfléchir par lui-même et de prendre parti pour la vie contre le match de l’argent qu’il tue. Nous devons laisser le peuple atteindre sa propre conscience, ce que différentes formes de pouvoir tentent de déposséder.

 

Quelque chose de similaire se produit en Algérie, au Soudan. Liban et Irak. J’espère que Rojava transforme son retrait momentané en offensive. Quant aux zapatistes, ils ont répondu aux arguments économistes du socialiste López Obrador avec l’augmentation de leurs bases (les escargots) et de leurs bons conseils de gouvernement, où les décisions sont prises par et pour le peuple.

La défense obstinée d’une démocratie à Hong Kong va d’une rage aveugle prête à se contenter d’un parlementarisme remis en question par tous, et d’une colère lucide qui sape et ébranle la gigantesque pyramide du régime totalitaire chinois, d’autre part agitée en raison de la menace d’un krach financier. Qui sait? Le lierre s’infiltre partout et le passé insurrectionnel de Shanghai n’est pas loin.

Au Soudan, le joug de la tyrannie et du pouvoir militaire est ébranlé, l’Iran hésite. Les protestations du Liban sont une touche d’attention pour le Hezbollah et l’islam, dont les oropèles religieux ne masquent plus leur objectif politico-pétrolier. En Algérie, ils ne veulent pas d’une couche de peinture gouvernementale. En Irak, il est révélé que la réalité sociale peut plus que l’importance attachée aux rivalités religieuses. Les Catalans restent, les seuls à vouloir un Etat où le « plus froid des monstres froids » est partout criblé de flèches. Cependant, il n’est pas impossible que les indépendantistes, débattant dans une impasse à cause du pouls que l’État de Madrid entretient avec la non moins généraliste Generalitat, finissent par respirer l’effluvium du cadavre franco que l’esprit nationaliste a chassé du cimetière. Il n’est pas non plus impossible de penser aux collectivités libertaires de la révolution de 36, celle qui a forgé une authentique indépendance, écrasée par le Parti communiste et son allié, l’État catalan.

 

Tout cela n’est rien d’autre qu’un rêve, mais la vie est un rêve et nous venons d’entrer dans une ère où la poésie n’est rien d’autre que le passage du rêve à la réalité, quelque chose qui marque la fin du cauchemar et sa vallée de larmes.

Ouvrir un espace vital à ceux qui paralysent l’inconfort et l’angoisse du futur, n’est-ce pas la pratique poétique qui porte en elle l’insolente nouveauté de l’insurrection du quotidien? Ne l’envisage-t-on pas dans le déclin du militantisme et dans l’érosion du vieux réflexe militaire qui multiplie les chefs et leurs troupeaux effrayés?

Dans la variété des prétextes, la seule revendication qui puisse être exprimée aujourd’hui sans réserve est la vie pleine et entière.

Qui serait appelé tricherie? Nous ne sommes pas plongés dans un tumulte de révoltes prévisibles ou inattendues, nous sommes dans un processus révolutionnaire. Le monde change ses fondamentaux; une ancienne civilisation s’effondre, une nouvelle civilisation apparaît. Autant des mentalités rigides et des comportements archaïques tentent de se perpétuer sous un substitut de la modernité, une nouvelle Renaissance émerge au sein d’une histoire dont l’inhumanité remet en cause notre regard. Et cela devient progressivement plus net. Puis il découvre chez la femme, l’homme et l’enfant une capacité à vivre innocemment des innovations sans précédent, des énergies insolites, des formes de résistance à la mort, des univers qu’aucune imagination n’avait osé lancer par le passé.

Nous voici, au début de tout!

Raoul Vaneigem, 17 novembre 2019