Vive la Commune de Paris! Le libertaire de Février 2021

Anarchoféminisme

D’ores et déjà le milieu militant s’active autour des 150 ans de la Commune. Nous vous proposons un texte de Kropotkine publié en 1881.

Nous conseillons par ailleurs la lecture du livre de Lissagaray, « Histoire de la Commune de 1871, Librairie Marcel Rivière et Cie- 1947. C’est un excellent livre avec index des noms cités pour qui veut connaître la Commune.

Le 18 mars 1871, le peuple de Paris se soulevait contre un pouvoir généralement détesté et méprisé, et proclamait la ville de Paris indépendante, libre, s’appartenant à elle-même.

Ce renversement du pouvoir central se fit même sans la mise en scène ordinaire d’une révolution : ce jour, il n’y eut ni coups de fusil, ni flots de sang versé derrière les barricades. Les gouvernants s’éclipsèrent devant le peuple armé, descendu dans la rue : la troupe évacua la ville, les fonctionnaires s’empressèrent de filer sur Versailles, emportant avec eux tout ce qu’ils pouvaient emporter. Le gouvernement s’évapora, comme une mare d’eau putride au souffle d’un vent de printemps, et le 19, Paris, ayant à peine versé une goutte de sang de ses enfants, se trouva libre de la souillure qui empestait la grande cité.

Et cependant la révolution qui venait de s’accomplir ainsi ouvrait une ère nouvelle dans la série des révolutions, par lesquelles les peuples marchent de l’esclavage à la liberté. Sous le nom de Commune de Paris, naquit une idée nouvelle, appelée à devenir le point de départ des révolutions futures.

Comme c’est toujours le cas pour les grandes idées, elle ne fut pas le produit des conceptions d’un philosophe, d’un individu : elle naquit dans l’esprit collectif, elle sortit du coeur d’un peuple entier ; mais elle fut vague d’abord, et beaucoup parmi ceux-mêmes qui la mettaient en réalisation et qui donnèrent leur vie pour elle, ne l’imaginèrent pas au début telle que nous la concevons aujourd’hui ; ils ne se rendirent pas compte de la révolution qu’ils inauguraient, de la fécondité du nouveau principe qu’ils cherchaient à mettre en exécution. Ce fut seulement lors de l’application pratique que l’on commença à en entrevoir la portée future ; ce fut seulement dans le travail de la pensée qui s’opéra depuis, que ce nouveau principe se précisa de plus en plus, se détermina et apparut avec toute sa lucidité, toute sa beauté, sa justice et l’importance de ses résultats.

Dès que le socialisme eut pris un nouvel essor dans le courant des cinq ou six années qui précédèrent la Commune, une question surtout préoccupa les élaborateurs de la prochaine révolution sociale. C’était la question de savoir quel serait le mode de groupement politique des sociétés, le plus propice à cette grande révolution économique que le développement actuel de l’industrie impose à notre génération, et qui doit être l’abolition de la propriété individuelle et la mise en commun de tout le capital accumulé par les générations précédentes.

L’Association Internationale des Travailleurs donna cette réponse. Le groupement, disait-elle, ne doit pas se borner à une seule nation : il doit s’étendre par-dessus les frontières artificielles. Et bientôt cette grande idée pénétra les coeurs des peuples, s’empara des esprits. Pourchassée depuis par la ligue de toutes les réactions, elle a vécu néanmoins, et dès que les obstacles mis à son développement seront détruits à la voix des peuples insurgés, elle renaîtra plus forte que jamais.

Mais, il restait à savoir quelles seraient les parties intégrantes de cette vaste Association ?

Alors, deux grands courants d’idées se trouvèrent en présence pour répondre à cette question : l’État populaire d’une part ; de l’autre, l’Anarchie.

D’après des socialistes allemands, l’État devait prendre possession de toutes les richesses accumulées et les donner aux associations ouvrières, organiser la production et l’échange, veiller à la vie, au fonctionnement de la société.

A quoi la plupart des socialistes de race latine, forts de leur expérience, répondaient qu’un pareil État, en admettant même que par impossible il pût exister, eût été la pire des tyrannies, et ils opposaient à cet idéal, copié sur le passé, un idéal nouveau, l’anarchie, c’est-à-dire l’abolition complète des États et l’organisation du simple au composé par la fédération libre des forces populaires, des producteurs et des consommateurs.

Il fut bientôt admis, même par quelques « Étatistes », les moins imbus de préjugés gouvernementaux, que certes l’Anarchie représente une organisation de beaucoup supérieure à celle qui est visée par l’État populaire ; mais, disait-on, l’idéal anarchiste est tellement éloigné de nous, que nous n’avons pas à nous en préoccuper pour le moment. D’autre part, il manquait à la théorie anarchiste une formule concrète et simple à la fois, pour préciser son point de départ, pour donner un corps à ses conceptions, pour démontrer qu’elles s’appuyaient sur une tendance ayant une existence réelle dans le peuple. La fédération des corporations de métier et de groupes de consommateurs par-dessus les frontières et en dehors des États actuels, semblait encore trop vague ; et il était facile d’entrevoir en même temps qu’elle ne pouvait pas comprendre toute la diversité des manifestations humaines. Il fallait trouver une formule plus nette, plus saisissable, ayant ses éléments premiers dans la réalité des choses.

S’il ne s’était agi simplement que d’élaborer une théorie, peu importent les théories ! aurions-nous dit. Mais tant qu’une idée nouvelle n’a pas trouvé son énoncé net, précis et découlant des choses existantes, elle ne s’empare pas des esprits, ne les inspire pas au point de les lancer dans une lutte décisive. Le peuple ne se jette pas dans l’inconnu, sans s’appuyer sur une idée certaine et nettement formulée qui lui serve de tremplin, pour ainsi dire, à son point de départ. (Kropotkine 1881- suite à lire dans le libertaire)

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