Violence et anarchisme

Plage L.H.

Violence nécessaire ?

Dans la tradition révolutionnaire anarchiste, la révolution violente, armée, la lutte victorieuse des travailleurs, les batailles de barricades où le peuple insurgé triomphe, font partie de la geste de notre mouvement. Déjà, dans l’hebdomadaire communiste-anarchiste havrais, L’Idée ouvrière N°17 de fin décembre 1887, les libertaires assènent : «  A bas le Capital, à bas l’Etat, tel est notre cri de guerre, répétons sans cesse qu’il n’y a qu’un moyen d’arriver à un résultat, c’est l’Expropriation violente, la reprise des richesses. » Le problème, c’est que les révolutions de 1830, 1848 et la Commune de 1871 ont vu nombre d’ouvriers, et souvent les plus militants, mourir et consolider ainsi la mémoire des vaincus. Si ces moments d’insurrection ont laissé des traces sociales positives, notamment la Commune dont nous venons de commémorer les 150 ans, nous pouvons nous demander si le sang versé n’est pas un trop lourd tribut payé pour des avancées qui seraient arrivées tôt ou tard. D’ailleurs, Fernand Pelloutier désirait trouver un outil efficace pour regrouper, former les travailleurs… afin de créer une alternative concrète pour remplacer le système capitaliste sans payer le prix du sang. Ce fut l’œuvre des Bourses du Travail. L’Etat utilisera l’armée et son arsenal policier pour casser la dynamique syndicaliste révolutionnaire d’avant 1914. La Première Guerre mondiale parachèvera la casse du syndicalisme d’action directe.

De nos jours, les travailleurs n’ont plus le désir de se battre les armes à la main, de faire le grand saut dans l’inconnu d’une Révolution qui au vu de la conscience politique de la plupart des gens, aurait sans doute une dimension et une direction autoritaires. Les anarchistes ont déjà donné. L’immense majorité des masses tient à la vie, et pour qu’elles la risquent il faut qu’elles soient poussées par la force des choses, ou acculées au désespoir. De surcroît, les camarades qui finalement se sacrifient pour la cause révolutionnaire sont vite oubliés par l’ensemble de leurs contemporains: des bagnards anarchistes en 1893 aux gilets jaunes de 2019…

Aujourd’hui, devant le perfectionnement et l’efficacité écrasante des armements que possède l’Etat, de nombreux anarchistes se posent le problème des instruments de notre triomphe. Sérieusement, nous savons qu’il est impossible de vaincre l’Etat par la violence, lutter efficacement contre une armée de métiers, les policiers chargés du maintien de l’ordre…qui utilisent de l’armement sophistiqué : LBD, drones, vidéosurveillance, canons à eau…Etat qui pourrait en cas de besoin utiliser les blindés, l’artillerie, les drones d’attaque…voire même les soldats « augmentés » ou des armes chimiques.

Nous voyons, pour ne prendre que des exemples les plus récents, que les actions des Blacks Blocs en manifestation renforcent la violence d’Etat avec répression du mouvement social : incarcérations, manifestants éborgnés…sans compter l’attitude des forces de l’ordre qui s’y connaissent pour monter les travailleurs les uns contre les autres. L’Etat a du savoir-faire dans la matière. Le triptyque provocation-répression-révolution des anciens maoïstes a vécu.

Alors que faire puisque la violence se retourne systématiquement contre le peuple? Les plus jeunes semblent enclins à davantage se montrer activistes par des actions ponctuelles, notamment en ce qui concerne l’écologie que l’on aimerait sociale et libertaire, non uniquement environnementaliste. On a trop pris dans notre milieu libertaire de confondre l’idéal humaniste d’égalité et de justice sociale, et les courant politiques qui prétendent en être l’expression. Aujourd’hui, le parti communiste, les syndicats, les organisations anarchistes…ne font plus recette et sont assimilées à des organismes dépassés avec leurs vieilles rengaines, leurs dialectiques, leurs chapelles, leur concurrence effrénée…tout ça pour ce qui s’apparente à du blabla.

Au travers de réalisations concrètes, alternatives…les gens peuvent reprendre espoir ;  c’est par des démonstrations pratiques, constructives que l’on pourra fédérer les énergies et non par une agitation stérile. Nous constatons que les gens ont en assez des manifs-ballons, des parcours balisés par des S.O. robotisés. Pour construire une société nouvelle les exemples concrets font davantage que les discours éculés. Fonder des coopératives en lien avec des syndicats, des associations, des communautés alternatives (ZAD…) permettrait de réaliser dans la société d’aujourd’hui, à défaut d’un modèle, au moins un but vers la société que l’on souhaite.

Au-delà des formes d’organisations différentes, ce sont les rapports humains qui doivent être nouveaux, repensés, ce qui nécessite une remise en cause de la domination et de la hiérarchie afin de créer une sociabilité nouvelle, supérieure, un esprit égalitaire pour une nouvelle espérance et un autre futur. Transformer, réaliser, innover pour construire le socialisme libertaire sont nos armes, pacifiques, afin d’éviter les dangers d’une réplique triomphante de l’Etat.

Patoche (GLJD)