Le syndicat des P.T.T. en correctionnelle

Saint-Imier

LE SYNDICAT NATIONAL DES P.T.T. EN CORRECTIONNELLE

             Le Tribunal :

Donne défaut contre Martin et Dupont, non comparants ;

Attendu que les prévenus sont poursuivis pour avoir commis une infraction à la loi du 21 mars 1884 en constituant, étant fonctionnaires publics, employés ou agents d’une administration publique, un syndicat dont les statuts ont été déposés à la préfecture de la Seine le 6 mai 1909 sous le titre de Syndicat des agents des postes, télégraphes et téléphones ;

Attendu que Quinard et Ausseil prétendent avoir donné leur démission du syndicat antérieurement à l’assignation ; qu’ils demandent leur mise hors de cause ;

Attendu que le Tribunal est régulièrement saisi ; qu’il ne peut, pour faire droit à la demande des prévenus, baser une décision sur la bienveillance et la tolérance manifestée à leur égard par le Parquet, alors surtout que leur démission n’a pas été donnée dans le délai imparti, ou qu’il n’en a pas été justifié dans ledit délai ;

Attendu, tout d’abord, que le Tribunal, dans un débat juridique de cette nature, doit se placer au moment même du vote de la loi de 1884 et ne peut, par conséquent, faire état, quelque valeur qu’elles puissent avoir, des opinions particulières émises actuellement au sujet de cette loi, pas plus que des ordres du jour votés par la Chambre des députés ; qu’il en est de même, en ce qui concerne les tolérances dont bénéficient quelques syndicats de fonctionnaires, ainsi que les autorisations officielles ou officieuses de créer des syndicats données par certains ministres ; qu’il ne peut s’agir, en effet, que d’opinions personnelles ou de décisions individuelles que le Tribunal devra retenir qu’au point de vue de l’application de la peine, à raison de l’influence de certaine qu’elles ont pu avoir sur les décisions et les actes des prévenus ;

Attendu que la loi de 1884 a eu pour but, en supprimant l’article 416 du Code pénal et en rendant inapplicables aux syndicats les articles 291, 292, 293 et 294 du même Code, de permettre aux personnes désignés dans ladite loi de se grouper dans le but, en ce qui concerne les patrons, de lutter contre les exigence de la main-d’œuvre et la concurrence étrangère, et, en ce qui concerne les ouvriers, d’augmenter leur bien-être par l’élévation des salaires et la diminution de la durée de la journée de travail ; qu’au bénéfice de cette loi, patrons et ouvriers pouvaient discuter et lutter à armes égales, le concert en vue de la grève étant rendu licite ;

Attendu qu’il résulte très nettement des travaux préparatoires et de la discussion de ladite loi que seuls les intérêts particuliers étaient en jeu, et non les intérêts de l’État, c’est-à-dire les intérêts généraux du pays ; que, s’il en était autrement, et si le législateur avait entendu étendre aux fonctionnaires le bénéfice de cette loi, il n’aurait pas manqué d’abroger l’article 126 du Code pénal, en même temps que l’article 416 ;

Attendu que, le droit de grève étant une des prérogatives de la loi de 1884, il ne pourrait se comprendre que les employés de l’État pussent en user ; qu’en effet, si on admet parfaitement ce droit exercé par des ouvriers, qui traitent librement avec leur patron, en mesure d’accorder ou de refuser ce qui lui est demandé, on ne saurait l’admettre de la part d’employés de l’État chargés d’un mandat ou d’un service public, ou de fonctions présentant un intérêt public ; qu’ils agissent sous les ordres du pouvoir exécutif, mais qu’ils sont cependant régis, réglementés et payés conformément à des lois, des décrets-lois, ou des lois de finances votés par le pouvoir législatif ; qu’il pourrait, en conséquence, arriver que, dans le cas où le pouvoir exécutif souhaiterait concéder à ses employés certains avantages demandés, le pouvoir législatif les lui refusât et qu’ainsi, ces employés se trouveraient en lutter et peut-être en révolte contre les représentants eux-mêmes de la nation souveraine ;

Attendu, au surplus, que l’État-patron ne peut être assimilé à un patron ordinaire ; qu’il ne cherche, en effet, aucun bénéfice personnel ; que ses employés touchent toujours le même salaire, indépendant des fluctuations de la main-d’œuvre ; que ses exploitations sont toujours, même si elles ne sont pas rémunératrices, faites au profit de l’intérêt général de tous les citoyens ; qu’il sauvegarde tout à la fois et dans la mesure du possible les intérêts particuliers de ses fonctionnaires et ceux de la nation tout entière ; qu’aucune assimilation n’est donc possible avec le patron ne recherchant dans son commerce ou son industrie que son intérêt personnel ;

Attendu qu’il résulte de ce qui vient d’être dit ci-dessus que le syndicat fondé par les prévenus ne rentre pas dans la catégorie de ceux prévus par la loi de 1884 ;

Par ces motifs ;

Déclare Quinard et Ausseil mal fondés en leurs conclusions, les en déboute ;

Condamne Lémonon, Vogt, Quinard, Palot, Ausseil, Boujard, Chastanet, Dautry, Dupont, Fourès, Juillard, Lamarque, Le Gléo, Martin, Chezel et Mme veuve Saint-Martin chacun à 16 francs d’amende ;

Prononce la dissolution du syndicat national des agents des postes, télégraphes et téléphones ; condamne les prévenus aux dépens.