Quelle expérience peut-on tirer de la CNTF ?

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Le syndicalisme a-t-il un avenir ?

Quelle expérience peut-on tirer de la CNTF ?

La CNT dès 1995 commença à attirer du monde en nombre et le point d’orgue de son développement fut manifestement la manifestation du Premier Mai 2000 où 5000 personnes défilèrent à Paris, drapeaux et banderoles rouge et noir au vent. Un fort moment d’émotion pour les participants et participantes. L’avenir semblait radieux sous les cieux d’un anarcho-syndicalisme festif. Quelques manifestations mémorables à Paris et en province pendant quelques années s’ensuivirent. Puis le grand trou après la scission CNT/ CNT-SO de 2012.

Pourquoi dans des villes comme Le Havre par exemple, la CNT s’arrêta net alors que sa présence était attestée et de manière non marginale dans les manifestations de rue dont la dernière en date fut celle de Mai 2011 pour l’anti-G8. Une présence syndicale significative dans plusieurs entreprises du privé témoignait de la vivacité de la CNT havraise. Certains diront, et ce n’est pas faux, que les militants havrais quittèrent en bloc la CNT quand la scission est intervenue. Mais à y regarder de plus près, ce motif est en trompe l’œil. La réalité est bien plus complexe. C’est la forte demande des adhésions à la CNT qui fut la cause de sa perte. Car il y avait une importante demande au Havre et en Seine-Maritime d’une adhésion à la CNT. Le syndicalisme dit représentatif assurait comme aujourd’hui une présence dans les grandes entreprises mais très peu dans les petites et moyennes entreprises. Ce qui laissait un boulevard à la CNT. Le problème, bien réel celui-là, c’est que la CNT avait très peu de militants anarcho-syndicalistes formés et disponibles (travail, enfants, vie associative…). Les cénétistes havrais étaient dans leur immense majorité salariés et l’ampleur que prenait la CNT nécessitait de multiples déplacements dans le département mais aussi à l’extérieur en cas de procès (CAT…). Il fallait pour les quelques valeureux compagnons militants se démultiplier ce qui épuisa ces derniers au bout du compte.

La réflexion fut la suivante. Si la CNT 76 passe d’une centaine d’adhérents à 300, est-ce que cela va changer fondamentalement la face du monde ? La CNTE et la CGT espagnole, avec 50 000 membres, pèsent-elles vraiment dans la société espagnole ? A-t-on les moyens de former rapidement des militants anarcho-syndicalistes et ces derniers désirent-ils s’impliquer dans la vie syndicale d’un point de vue intercorporatif ? Si la réponse est négative, le syndicalisme qui prétend à l’émancipation des travailleurs fait fausse route. Le militant qui passe tout son temps à militer est-il libre ? Est-il réellement émancipé ? Certainement pas, il ne vit qu’au travers du prisme du militantisme, laissant de côté bon nombre de loisirs ou d’amitiés. Continuer à s’étendre, à grandir d’un point de vue numérique se fait sur une base restreinte et au détriment de la vie des personnes les plus impliquées. Donc, oui, il y a une réelle possibilité de syndiquer à la CNT et en nombre, mais pour combien de temps si la délégation de pouvoir règne comme dans les autres organisations. Le constat fut que les militants les plus formés et impliqués étaient les militants spécifiquement anarchistes. Bien sûr des militants syndicalistes non anarchistes prirent des responsabilités et assumèrent une part du travail syndical mais l’extension syndicale, c’est-à-dire la création de nouvelles sections syndicales, la gestion des nouveaux contacts reposa essentiellement sur les militants anarchistes, peu nombreux au regard de la demande.

Le militantisme au quotidien use et à cela s’ajoutent les coups tordus du patronat, des autres organisations syndicales et politiques. Alors, si en plus se surajoute une scission au sein de l’organisation, c’est l’estocade, le coup de massue final.

Nous ne regrettons pas d’avoir manifesté en tête de manifestations à plusieurs reprises au Havre, d’avoir fait tanguer certaines sections syndicales de la CGT…et nous continuerons à militer mais davantage sur le plan des idées car il faut réarmer idéologiquement les militants ouvriers d’un point de vue libertaire. C’est pour cela que nous proposerons notre outil « De Pierre-Joseph Proudhon à David Graeber » qui sera publié tous les mois dans le libertaire. Les responsabilités syndicales nous mettent la tête dans le guidon. A y regarder de plus près, elles nous donnent l’impression d’un poids militant, du nombre…Mais il suffit que les militants les plus actifs voguent vers d’autres horizons pour que le château de cartes syndical s’effondre. Et par expérience, il est plus facile de démolir que de construire.

Plusieurs anarchistes havrais se réfèrent à Elisée Reclus. Pourquoi ? C’est bien simple, ce savant géographe reconnaît la lutte de classe (1). Il a participé à la Commune de Paris et il sait que le monde évolue selon des périodes de progrès et de régrès, une espèce de balancier social et économique. Quand il y a un soubresaut social, il faut s’y plonger corps et âme et essayer d’entraîner le mouvement le plus loin possible. Mais il connaît bien les humains et sait qu’une majorité de gens n’a finalement pas envie de s’investir pour changer les choses d’où le maintien de l’ordre établi mais parfois ébranlé lors d’un soulèvement, fut-il ponctuel et qui laissera des traces et des avancées sociales non négligeables. Pour lui, c’est la poursuite d’un idéal, c’est l’évolution morale qui fera pencher la balance vers le monde des travailleurs. Ce que Kropotkine, Besnard, Leval, Bookchin etc. appelleront plus tard, l’éthique (2).

Si les anarchistes ont une éthique, ils ne sont pas pour autant des curés, et au travail, un enfoiré reste un enfoiré, un lèche-bottes demeure un lèche-bottes, et il doit être traité pour ce qu’il est. Combattu pied à pied au même titre qu’un patron ou les élites qui tentent de nous asservir.

Patoche (GLJD)

(1)    Affirmer comme on a pu le lire dans une certaine prose anarchiste qu’un militant anarchiste comme Jean-Pierre Jacquinot ne reconnaissait pas la lutte de classe est d’une bêtise confondante. Comment un ouvrier docker pourrait-il méconnaître la lutte de classe surtout s’il est militant anarchiste et syndiqué?

(2)    L’éthique pour faire simple, c’est ce qui a trait à la morale. L’éthique libertaire n’a bien sûr aucun rapport avec l’éthique religieuse ou bourgeoise…Elle ne trouve pas sa source dans Dieu, un prophète… mais dans une subjectivité individuelle et prend naissance dans le moi. L’éthique libertaire est une philosophie qui cherche à penser la conduite de l’existence individuelle.

(3)    Dans l’encyclopédie anarchiste, — L. BARBEDETTE conclut ainsi son article relatif à la morale et l’éthique : « Au moyen-âge, noblesse et clergé connurent les bienfaits d’une entr’aide qui ne déshonorait pas ; bourgeois des villes, artisans, maîtres et compagnons s’organisèrent en association dont les membres étaient solidaires ; mais à la masse populaire on réserva une charité inefficace et humiliante. Puis l’altruisme s’étendit à des groupes plus larges ; à l’aumône fut substituée une assistance rationnelle, garantie contre l’arbitraire ; la solidarité devint respectueuse de la liberté des individus. » C’est justement parce qu’elle concilia l’entr’aide et l’indépendance dans une synthèse supérieure, parce qu’elle suppose le libre développement de chacun dans l’harmonieux accord de l’ensemble, que la fraternité s’avère l’ultime fondement de l’éthique sociale. Mais il ne saurait être question de cette fraternité hypocrite qui sert aux profiteurs à masquer leurs usurières exploitations : ainsi comprise elle n’est qu’une méprisable duperie. La nôtre n’est rendue possible que par l’union librement voulue de ceux qui entendent la pratiquer ; fleur très rare encore, elle ne pousse que sur les sommets où la contrainte cède la place à l’amitié. »