Des outils pour l'écologie: L’action directe, le sabotage, le boycottage, le label.

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Les outils de l’anarcho-syndicalisme et de l’anarchisme sont loin d’être obsolètes. Ils méritent juste d’être lubrifiés et réactualisés. Le temps de la protestation polie semble révolu, du moins pour une partie de la jeunesse et quelques moins jeunes. À mesure que la catastrophe climatique s’amplifie et devient irréversible, les moyens pour la contrer ressemblent fort à ce que nos compagnons de la fin du XIXème siècle et du début XXème ont théorisé et mis en pratique. Ce qui amena l’Etat et le patronat à une répression féroce avec de lourdes peines de prison à la clef. Nos outils sont efficaces, c’est pour cela qu’ils reviennent sur le devant de la scène et que les projecteurs les mettent en lumière. Ces outils gagnent chaque jour en légitimité et se généralisent au sein de la mouvance écologiste.

Quels sont ces outils ? L’action directe, le sabotage, le boycottage, le label.

L’action directe

L’action directe est l’action des travailleurs qui agissent directement sans intermédiaires. « Il apparaît donc que l’action directe est la nette et pure concrétion de l’esprit de révolte : elle matérialise la lutte des classes qu’elle fait passer du domaine de la théorie et de l’abstraction dans le domaine de la pratique et de la réalisation. En conséquence, l’action directe, c’est la lutte des classes vécue au jour le jour, c’est l’assaut permanent contre le capitalisme. » (Emile Pouget)

Victor Griffuelhes, lui, définit l’action directe comme suit : « c’est pour l’ouvrier le moyen de mesurer sa force, de la grandir par son propre développement et de la manifester en opposition à celle de ses adversaires. » Empruntant souvent les voies de l’illégalité, l’action directe a pour vertu de réveilleur les consciences ouvrières.

Quand les taux d’abstention avoisinent et dépassent souvent aujourd’hui, les 50% et que parallèlement des individus ou des groupes affinitaires agissent directement sans passer par des politiciens, nous sommes dans l’action directe. Quand des militants affirment que fins du mois et fin du monde: même combat. Que la lutte contre les inégalités est indispensable pour réduire la misère tout comme le changement climatique, on reste dans la lutte des classes. Quand les écologistes dénoncent les mesures écartées du plan de sobriété de Matignon ; par exemple, celle qui devait rendre obligatoire l’indexation de la rémunération des dirigeants des grandes entreprises sur le respect de leurs objectifs environnementaux…on demeure dans l’assaut contre le capitalisme. Et quand des militants utilisent les voies de l’illégalité pour faire prendre conscience aux gens de l’ineptie et du danger de certains projets, on reste toujours dans le domaine de l’action directe. Idem, quand les rapports sociaux sont questionnés.

Le sabotage

Dans le rapport de la commission Boycottage du Congrès CGT de Toulouse du 20 au 25 septembre 1897, il est stipulé : « Chaque fois que s’élèvera un conflit entre patrons et ouvriers, soit que le conflit soit dû aux exigences patronales, soit qu’il soit dû à l’initiative ouvrière, et au cas où la grève semblerait ne pouvoir donner des résultats aux travailleurs visés : que ceux-ci appliquent le boycottage ou le sabotage- ou les deux simultanément. »

Le sabotage est considéré comme une arme de résistance efficace et fait partie d’une conscience et surtout de la morale des prolétaires.

Le sabotage va ensuite se déplacer du monde de l’entreprise vers l’extérieur où les militants révolutionnaires vont pouvoir coordonner leurs efforts et des actes de sabotage sur tout le territoire, comme ce fut d’ailleurs le cas ensuite durant l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais revenons à notre période d’avant-Première Guerre mondiale.

La police constate une coordination de certains actes de sabotage : « Le sabotage des fils est un symptôme autrement plus grave, car il dénote un commencement d’organisation des éléments révolutionnaires du pays tout entier. Car la chute des fils, la même nuit du lundi de la Pentecôte (1909), dans cinquante départements, fut évidemment le résultat d’une entente et d’un mot d’ordre… ».

La police recense les actes de sabotage en France ; ils se comptent par centaines et sont en constante augmentation. Du 1er octobre 1910 au 30 juin 1911, c’est-à-dire pendant neuf mois, il a été commis 2908 actes de sabotage. On peut noter toutefois que les sabotages ont été les plus nombreux dans les départements où existent des groupements libertaires et des anarchistes isolés, et qu’il ne s’en est pas produit dans les départements où ces groupements n’existent pas. Il y a donc un rapport de cause à effet entre présence militante révolutionnaire et actes de sabotage.

Nous trouvons de nombreux exemples de sabotage commis au Havre à l’époque de l’Affaire Durand dans « Dossier Durand » aux Editions SCUP.

Aujourd’hui aussi, le sabotage est sorti de l’entreprise pour se concentrer sur la lutte contre le réchauffement climatique : des dizaines de trous de terrains de golf ont été bouchés au béton cet été, des jacuzzis endommagés, des panneaux publicitaires ont été pris pour cible et des pneus de SUV dégonflés dans plusieurs villes du pays. De même, plusieurs méga-bassines, ces réserves d’eau immenses, ont été débâchées. Des « saboteurs » ont décidé d’agir directement et de s’attaquer aux responsables dont les comportements polluants mettent en danger la planète. On constate que des militants ont tout intérêt à lutter contre le réchauffement climatique parce que d’autres s’en fichent éperdument, quand ils ne se font pas de l’argent sur la crise, en spéculant. Certains chercheurs voient dans les actions de sabotage « une forme renouvelée de désobéissance civile ». Nous y voyons, nous, une résurgence du sabotage à une échelle non négligeable. Sabotage car si les militants sont pris sur le vif, ils risquent gros. Ils engagent leur avenir. Le sabotage est vécu par les écologistes d’action directe comme la possibilité d’entraver le système qui va à sa perte et retarder le plus possible les dangers du réchauffement climatique.

C’est donc un retour aux sources du syndicalisme révolutionnaire et non une nouvelle forme d’action.

D’après le site Reporterre : « Aujourd’hui, aucun secteur économique n’est épargné. Des distributeurs de billets de banque sont mis hors service. Des milliers de trottinettes électriques sont sabordées. Chaque mois, des antennes relais 5G continuent de brûler. Des compteurs Linky sont démontés. Pour lutter contre l’exploitation forestière, des abatteuses sont incendiées.

En région parisienne, des usines de ciment Lafarge sont attaquées. À Bure (Meuse), des sous-traitants du nucléaire sont pris pour cible, la voie ferrée qui devait acheminer les déchets radioactifs a été endommagée. Dans le Bugey (Ain), des antispécistes ont mis le feu à un abattoir. Partout, des miradors de chasse ont été dégradés. Pour dénoncer l’élevage hors-sol, d’autres activistes ont même vidé un wagon de céréales en mars dernier tandis que des vendanges sauvages ont pillé le vignoble de Bernard Arnault cet été. »

Les autorités comme il y a plus d’un siècle s’inquiètent de la recrudescence des actes de sabotage qui sont de plus en plus revendiqués comme des éléments de la lutte contre les Gaz à Effets de serre. Nous retrouvons ces actes de résistance d’un autre siècle. Et les jeunes popularisent ce type d’actions qu’ils jugent nécessaires et indispensables car les Etats ne prennent pas la mesure de ce qu’il se passe aujourd’hui. Les politiciens, comme à l’accoutumée, sont dans la lutte des places. Les « activistes », dans la lutte des classes et dans l’efficacité.

L’esprit de 1968 va ressurgir pour demander l’impossible et nous faire rêver. L’imagination revient. Les imaginaires voient de grandes portes s’entrouvrir. Et avec les réseaux sociaux, ce qu’il se passe aux Etats-Unis, en Europe, au Japon…est connu rapidement et peut donner des pistes d’action, autres et nouvelles. La dynamique de l’action directe est enclenchée. Certains dénoncent une radicalité des actions ; les tenants du pouvoir se sont toujours opposés à ce type d’actions qui remet en cause leur domination. Mais les actions entreprises se font pacifiquement et n’engendrent que des dégâts matériels contre essentiellement des gens plutôt riches, peu scrupuleux du bien-être général.

Il reste à populariser ce type d’actions en obtenant le soutien de la population, c’est la clef du succès.

Les travailleurs ne se reconnaissent plus dans les manifestations-ballons traditionnelles. Les discussions entre professionnels de la politique ne passionnent plus les foules ; nous dirions même qu’elles dégoûtent de plus en plus de gens, de par l’inefficacité des parlottes et de cette espèce d’entre soi. Le sentiment d’urgence prime sur tout le reste. On ne peut plus attendre, les discussions qui traînent sont vaines. D’où le retour à une organisation plus terre à terre avec des actes isolés ou commis par des groupes affinitaires, idéologiques ou de potes. On se retrouve dans la situation du début du siècle dernier, toutes choses égales par ailleurs.

La victoire de la Zad de Notre-Dame des Landes a permis de faire se côtoyer des personnes d’horizons divers avec des pratiques militantes aussi différentes : « Sur la zad, nous avons toujours assumé la complémentarité des pratiques, de la pétition aux sabotages, des recours juridiques à l’affrontement avec les forces de l’ordre, rappelle Sylvain, un habitant du bocage. Tout au long de la lutte, Vinci a subi des dégâts matériels conséquents et les travaux préliminaires de l’aéroport ont été en permanence attaqués. C’est cette culture de la résistance, associée à un mouvement de masse, qui a permis d’arracher la victoire. »

Les libertaires l’expliquent continument ; actions individuelles et actions collectives se complètent ou doivent se dérouler simultanément en fonction des situations qui se présentent.

Nous ne pouvons compter que sur notre détermination, notre éthique militante contre ceux et celles qui organisent le désastre à venir et les inégalités sociales actuelles.

Le boycottage

Le boycottage, c’est une mise à l’index, c’est le refus collectif et systématique d’acheter ou de vendre les produits ou services d’une entreprise ou d’un pays pour marquer une hostilité et faire pression sur elle.

Ses origines sont connues : en Irlande, le régisseur des immenses domaines, de Lord Erne, dans le Comté de Mayo, le capitaine Boycott, s’était tellement rendu antipathique par des mesures de rigueur envers les paysans que ceux-ci  le mirent à l’index : lors de la moisson de 1879, Boycott ne put trouver un seul ouvrier pour enlever et rentrer ses récoltes ; partout, en outre, on lui refusa les moindres services, tous s’éloignèrent de lui comme un pestiféré…

De nombreux exemples de boycottages ont eu lieu dans l’histoire par la suite.

Aujourd’hui, toujours dans le cadre de l’écologie, un boycottage du mondial de football au Qatar semble se faire jour. Des milliers de morts (6500 !) pour construire des stades et les équipements relatifs à la tenue du mondial et une climatisation complètement folle lors des matchs. Une aberration sur les plans écologiques et des droits humains.

Déjà, nous avions constaté que les footballeurs n’avaient été d’aucune utilité lors de la pandémie contrairement aux personnels de santé, aux enseignants, aux chauffeurs routiers, aux personnels des grandes surfaces, enfin bref les travailleurs des première et deuxième lignes. Alors que les footballeurs n’avaient rien apporté pendant la crise sanitaire, ils ont repris leurs vieilles habitudes de gagner énormément de fric sans compter les malversations de certains clubs.

Le terme boycott peut donc s’utiliser aussi pour désigner le refus collectif de participer à des événements. Le boycottage total du mondial de football au Qatar pourrait être un signal fort pour dénoncer à la fois, les pourris ainsi que la gabegie énergétique plombant les efforts des autres pays pour lutter contre le réchauffement climatique. A part Cyril Hanouna et autres serrés du béret, la majorité des Français devrait pouvoir adhérer au projet de boycottage. Et voir, en temps utile, le projet de jeux asiatiques d’hiver en Arabie Saoudite… Ces pays utilisent le sportwashing pour redorer leur blason. Ils utilisent le sport comme en son temps l’Allemagne nazie pour polir leur image tant écornée par les scandales.

Bien entendu, le boycottage pourrait, de manière concertée et coordonnée, être d’une efficacité redoutable si la plupart des consommateurs boycottaient tel ou tel produit. Le boycottage doit être repensé et mis en pratique à doses homéopathiques.

Le label

Le label syndical, porté historiquement par la Fédération CGT du livre a fini par s’imposer dans certaines professions comme la garantie de conditions de travail et de rémunération décentes.

Les écologistes, favorables aux filières Bio, aux circuits courts, pourraient s’emparer du « label » pour indiquer que les éleveurs, agriculteurs…bénéficient d’une juste rémunération et produisent des produits de qualité respectant une charte à définir entre ceux qui produisent et les consommateurs. Cela pourrait englober toutes les productions de qualité.

 

Comme nous le disions en ce début d’article, les armes de l’anarcho-syndicalisme et de l’anarchisme sont loin d’être désuètes. Aux nouvelles générations de s’en emparer et de les faire vivre. La porosité entre militants anarchistes et militants écologistes ne peut que profiter aux uns et aux autres.

Patoche (GLJD)