Militants communistes du Havre et Jules Durand

Jules Durand

Militants communistes du Havre et Jules Durand

Nous livrons ci-dessous le témoignage de Roger Le Marec, militant communiste havrais.

« 1910 et l’affaire Durand

En 1910, les dockers étaient les compagnons d’une corporation damnée. Un quart des dockers étaient des repris de justice ; l’alcoolisme sévissait d’une manière effrayante, et les patrons payaient dans les bistrots.

Armand Salacrou n’a pas voulu salir la bourgeoisie du Havre, comme a pu le prétendre un ancien chef de bordée qui a lu la pièce et s’y est reconnu, mais peindre la situation capitaliste de 1910. Ces gros armateurs étaient peut être contraints par la concurrence à se conduire de cette manière, mais cette situation engendrait le meurtre.

Malgré le bouleversant personnage qu’est Durand, ce n’était pas un « saint » ni un « héros », mais surtout pas un théoricien. C’était le type du parfait militant ne pensant qu’à son travail.

C’était un homme doux, tendre et bon, et sa révolte devant  la misère l’avait conduit au syndicat pour libérer la classe ouvrière, à l’anarchie par fraternité humaine. S’il essaie de s’identifier à Jésus Christ, ce n’est pas comme un chrétien, mais comme un anarchiste révolutionnaire. Le « Aimez-vous les uns les autres » de ces anarchistes était tout près du « Travailleurs de tous les pays unissez-vous ».

C’est dans cet esprit que Jules Durand déclencha une grève en plein mois d’Août, sans penser qu’elle ne pouvait pas réussir.

Le conflit durait depuis quatre semaines dans l’ordre et le calme, et quelques hommes avaient repris le travail, mais l’agent de la Compagnie profita de la mort de l’un des ouvriers, à la suite d’une rixe entre ivrognes provoquée par les excitations de cette première victime, pour mettre cet homicide sur le compte du Syndicat des charbonniers.

Les menaces, les faux témoignages se déclenchent. Un des accusateurs de Durand au cours de la révision du procès dira comment les témoignages à charge furent recueillis, comment ils reçurent 20 Francs avant les assises, se virent payer un repas dans un grand restaurant, le théâtre et le concert.

Or aucun des témoins à décharge, dont la liste était longue ne fut convoqué au procès. Soixante- quinze témoins déclarèrent cependant au Juge d’Instruction qu’aucune parole ou motion de violence ne fut prononcée ou votée à la réunion du syndicat.

Aux assises de Rouen, le Jury avait été habilement trié, en majorité des paysans normands. Ils ont pensé en apprenant que Durand était anarchiste révolutionnaire : « C’est un de ces gars qui brûlent mon foin », alors ils furent impitoyables.

Le Ministère public agressif signa un acte d’accusation odieusement mensonger et le président du tribunal se montra partial à l’excès.

Jules Durand lutta fièrement avec l’énergie du désespoir contre les puissances de haine et d’erreurs dressées contre lui.

Il s’entendit condamner à la peine capitale et l’arrêt dont il écouta la lecture portait cette précision cruelle : qu’il aurait la tête tranchée sur une des places publiques.

L’affaire est toujours vivante chez les charbonniers. Mon Grand-père était charbonnier, mon père était charbonnier, et je le suis à mon tour. L’un de mes oncles a participé, avec Durand, à la fondation du Syndicat, c’est lui qui a ramassé le révolver au moment du meurtre et il a témoigné au procès.

C’était une corporation où on embauchait par à-coups, par exemple quand « un transat » venait d’arriver. Et on y trouvait un peu de tout. En plus d’un effectif, à peu près fixe, on prenait les clochards et tous les types qui se présentaient. Il faut compter que 70% des charbonniers étaient des gars comme ça. Dans tout ce monde, on trouvait pas mal de types tenus par la police pour une raison ou pour une autre. Toutes les provocations étaient possibles. L’alcoolisme sévissait de façon effarante ; on payait les ouvriers dans les bistrots à la demi-journée, et bien souvent la demi-journée était bue une heure après.

A côté de ces hommes, il y avait un noyau d’ouvriers conscients qui entouraient Jules Durand. La provocation était donc facile. Le 10 Septembre 1910, il y eut une bagarre entre un « renard » et des dockers. Une banale histoire d’ivrognes. Le « renard » fut tué. Quelques jours après, Durand était arrêté pour complicité et le 25 Novembre, il fut condamné à mort par la cour d’assises de Rouen. Sur de faux témoignages – Les faux témoins étant bien sûr payés par la Compagnie. Le Président de la République devait gracier Durand mais la cour de cassation ne devait casser la sentence et blanchir Durand que bien plus tard, en 1918. Trop tard puisqu’il était devenu fou. Il mourut en 1926. La pièce de Salacrou relate d’ailleurs fidèlement les faits.

Roger Le Marec – Secrétaire du Syndicat des Ouvriers Charbonniers

Malgré quelques petites erreurs, ce texte de Roger Le Marec, écrit en 1960, pour les cinquante ans le l’affaire Durand, est très intéressant et nous renseigne à différents niveaux. Ce n’est pas un témoignage de complaisance concernant l’anarchisme de Durand qui est dévoilé ici, car Roger Le Marec est un militant communiste de longue date. Dans l’entre-deux guerres, alors que les dockers sont adhérents à l’Union des Syndicats du Havre, une union locale autonome majoritaire dans notre localité, le syndicat des ouvriers charbonniers est adhérent à la CGTU, syndicat communiste, (40 adhérents recensés en 1933). A cette date, la CGTU ne regroupe que 600 syndiqués alors que l’USH en compte dix fois plus et les rapports entre les anarcho-syndicalistes de l’U.S.H. et les communistes sont plus que tendus.

Roger Le Marec nous indique par ailleurs que son père et son grand-père étaient charbonniers et que son oncle a participé directement à l’affaire Durand. Le Marec est bénéficiaire de la mémoire familiale, mémoire qu’il n’entend pas travestir. C’est en toute connaissance de cause qu’il indique que Durand est anarchiste, ce que personne, toutes tendances politiques ou syndicales confondues, n’a contesté d’ailleurs quand Armand Salacrou a sorti son livre. Roger Le Marec est le garant aussi de la mémoire corporative des dockers-charbonniers puisqu’il précise que l’affaire est toujours vivante dans la corporation…