Mexique : Bras de fer social entre profs et gouvernement

Nos rêves valent plus que leurs bulletins de vote

Mexique : Bras de fer social entre profs et gouvernement Peña Nieto

Depuis le 19 août dernier, jour de la rentrée des classes, plusieurs dizaines de milliers de professeurs et instituteurs mexicains se sont mis en grève, en rejet des lois de réforme de l’éducation imposées actuellement par le gouvernement d’Enrique Peña Nieto. Un campement de plusieurs milliers de professeurs occupe depuis de manière permanente le centre de la capitale, d’où de nombreux actions directes ont été menées à bien pour tenter d’empêcher le vote des lois en cours (blocage des accès au parlement, action de blocage des ambassades, de l’aéroport, des chaînes télévisées commerciales, etc.). Structurés en « Coordination Nationale des Travailleurs de l’Education », rassemblant les collectifs et sections professorales dissidentes du Syndicat professoral corporatiste mexicain, les professeurs et maîtres d’école rebelles rejettent la casse de leurs statuts de travail et le processus larvé de privatisation du système éducatif mexicain. Jusqu’ici, malgré l’extension progressive du mouvement à de nombreuses régions du Mexique, aucune avancée significative n’a été obtenue, au contraire : afin de permettre la tenue du traditionnel « cri de l’indépendance » et du défilé des forces armées mexicaines, le gigantesque campement professoral au centre de la ville a été violemment évacué vendredi dernier. Mais la solidarité face aux manœuvres de répression et les convergences progressives face à l’imposition des réformes en cours commencent à transformer la grève syndicale en un mouvement de révolte aux dimensions chaque jour plus ample. — Au Mexique, depuis maintenant près de huit mois, des professeurs et maîtres d’école de tout le pays tentent de s’opposer à la casse des conventions de travail collectives et aux politiques néo-libérales de réforme du secteur scolaire mises en œuvre par le gouvernement Peña Nieto. La réforme de l’éducation, qui ne devait être qu’une mesure préalable à de nombreuses autres mesures « structurelles » visant à libéraliser la gestion des impôts, des ressources pétrolières ou de la production d’électricité, se transforme de jour en jour en abcès de fixation du mécontentement populaire traversant tout le pays. La réforme pour la « qualité de l’éducation » , promue par Enrique Peña Nieto une dizaine de jours à peine après son intronisation extrêmement contestée comme Président du Mexique, le 1er décembre 2012, répond aux exigences et pressions effectuées au Mexique et ailleurs dans le monde par l’OCDE, afin de mettre un place dans les structures scolaires un modèle néo-libéral d’administration et de gestion du personnel issu du monde privé, connu sous le nom générique de « gestion de la qualité totale » (Total Quality Management, TQM en anglais). Ce modèle se base sur « l’audit » régulier, par un organisme extérieur au corps professoral, des « compétences » des professeurs et des établissements, visant à réattribuer les ressources économiques allouées au secteur éducatif en fonction des « performances » obtenues par les établissements et les maîtres d’école (indépendamment, évidemment, du contexte social d’origine, totalement nié par le modèle social néolibéral). Il vise également à ouvrir le système éducatif aux acteurs privés, censés être plus « compétitifs », ainsi qu’à normaliser au sein du système éducatif les « compétences » nécessaires à l’intégration au sein du marché du travail mondial. (lire l’article « insurrection professorale au Mexique » : http://paris.indymedia.org/spip.php?article13436 ) C’est dans un premier temps dans les Etats les plus pauvres du Mexique que la réforme a suscité le plus de contestation parmi le corps professoral, face aux menaces de licenciement et de détérioration des moyens économiques attribués à des régions et des professeurs se sachant « non-compétitifs » dans ce schéma, mais qui revendiquent également, au-delà du rejet de la contractualisation du corps éducatif, la mise en place de leurs propres modèles et grilles d’évaluation éducatives, élaborées à partir des leurs propres réalités locales. Dans l’Etat de Oaxaca, dans le Guerrero ou dans le Michoacan, Etats où l’organisation du secteur professoral et le rejet des structures syndicales corporatistes de l’Etat mexicain sont extrêmement forts, des plans éducatifs « alternatifs » sont d’ailleurs promus et appliqués dans les faits par les professeurs en lutte. Le processus de vote des lois de réforme éducative au parlement mexicain a toutefois amené la lutte à se déplacer jusqu’au cœur de la capitale du pays, et le 19 août dernier, en parallèle à la non-réouverture des classes, eu lieu l’installation d’un gigantesque campement sur la place principale de Mexico, formé par des milliers de professeurs en lutte affluant des sections et collectifs mobilisés dans les différentes régions du Mexique. Depuis, outre les actions directes menées jour après jour par ces professeurs et maîtres d’écoles à Mexico, plusieurs journées de mobilisations ont été déclarées, durant lesquelles se sont ajoutées au mouvement de nouvelles régions et de nouvelles sections syndicales, entrant de ce fait en dissidence avec leur direction corporatiste. Mais malgré la force des mobilisations et le blocage des accès au parlement, les lois entérinant la réforme éducatives furent toutefois votées début septembre, dans des installations administratives prêtées pour l’occasion par Banamex, une des grandes banques du pays. Mais, bien loin de diminuer, les mobilisations prennent depuis chaque fois plus d’ampleur : des quelques Etats en révolte à l’origine, des mobilisations massives eurent lieu, le 11 septembre dernier, dans 26 des 31 Etats que compte le Mexique. Vendredi 13 septembre dernier, sous la prétexte de pouvoir mener à bien les cérémonies officielles du « cri de l’indépendance » et du défilé militaire du 16 septembre, policiers de la ville de Mexico, policiers fédéraux et militaires procédèrent à l’évacuation brutale du campement du Zocalo, où vivaient et dormaient depuis désormais plus de trois semaines les milliers de professeurs délégués par cycle de quelques jours afin de maintenir le campement au sein de la capitale. Des centaines de personnes ont été blessées, 31 personnes arrêtées, dont une dizaine se trouvent toujours détenues à l’heure actuelle. En réaction à la répression, plusieurs universités comme l’Ecole Nationale d’Histoire et d’Anthropologie (ENAH) se sont spontanément mis en grève de solidarité, et ont procédé au blocage temporaire de divers grandes artères de la ville de Mexico, tandis que dans le reste du Mexique, des routes étaient également barrées à divers endroits du pays, et des édifices publics occupés en solidarité. Déplacés de force, les campeurs du Zocalo ont très vite reconstitué leur gigantesque campement sous le « monument à la Révolution », où au terme ce dimanche d’une grande manifestation de plusieurs dizaines de milliers de personnes, eurent lieu différents concerts, démonstrations artistiques et prises de parole appelant au rejet des réformes éducatives, énergétiques et fiscales mises en œuvre par le gouvernement de Peña Nieto et insistant sur la force croissante du mouvement malgré la répression, ainsi que sur la nécessaire lutte pour la libération des prisonniers politiques, Alberto Patishtan en tête (célèbre maître d’école chiapanèque condamné à plus de 60 ans de prison),dont le fils, ému, prit la parole devant la foule pour évoquer la cas de son père et rendre hommage à la lutte en cours. Alors que la cérémonie officielle du « cri de l’indépendance », malgré des centaines de personnes recrutées et amenées par camions entiers pour y assister, parvint difficilement à rassembler plus de quelques milliers de personnes, c’est une foule bien supérieure en no
mbre qui se rassembla ce dimanche sous le monument à la révolution afin de jeter son propre « cri de l’indépendance ». Deux jours d’appel à la grève, à actions de blocage des routes, supermarchés, autoroutes, ports et aéroports ont été appelés pour les jeudi et vendredi prochains, et la reprise de la place centrale de Mexico semble d’ores et déjà programmée. L’objectif semblant désormais se tourner vers la construction d’une alliance populaire plus large contre l’imposition des réformes à l’œuvre. A voir si, en sus de ces dynamiques, une solidarité internationale, syndicale tout au moins, puisse aussi voir le jour…

Siete Nubes, 16/09/2013 _______________________________________________