Le libertaire: bonne fin d'année 2020

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Si nous essayons de caractériser cette philosophie sociale et politique qu’est l’anarchisme, nous devons commencer par souligner comme sa caractéristique la plus marquante son lien intime avec une certaine éthique. Ce sont les valeurs éthiques et morales qui dépassent toute valeur pragmatique. Contrairement à ce qui est parfois dit, l’anarchisme est une philosophie, peut-être la seule, qui conçoit la société comme structurée sur des valeurs éthiques.

Parmi ces valeurs éthiques sur lesquelles se fonde cette philosophie, deux principales se détachent: la liberté et l’égalité. L’Occident tout entier en parle, mais pas comme le fait l’anarchisme, pour lequel ils ne sont ni opposés, ni contraires, ni juxtaposés, ni même complémentaires, mais des valeurs identiquement nécessaires les unes aux autres.

Vous ne pouvez pas être libre sans être égal et nous ne pouvons pas être égaux sans être libres. Nous ne pouvons affirmer la liberté de personne, et encore moins la nôtre, sans affirmer l’égalité de tous et de tous, et à son tour, pour que nous soyons tous égaux, il est nécessaire que nous affirmions la liberté de tous et de chacun. Dans les fondamentaux libertaires, Proudhon indique qu’après l’égalité politique nous devons passer à l’égalité économique. Bakounine précise que la liberté des autres étend la sienne à l’infini et qu’on ne peut être libre si un seul ne l’est pas.

D’autres systèmes soutiennent également les deux valeurs mais ne leur attribuent pas l’importance que leur attribue l’anarchisme. Le capitalisme affirme la liberté mais le fait en sacrifiant l’égalité. Défendez la liberté de l’oppresseur, mais niez la liberté de l’opprimé.

Les « vrais socialismes » échouent à l’autre extrême. La liberté est quelque chose qui peut être suspendu, quelque chose de dérivé, quelque chose de provisoire, quelque chose que nous pouvons mettre de côté indéfiniment. La valeur suprême est l’égalité et pour elle la liberté est sacrifiée, du moins c’est ce qu’ils disent essayer de faire. A long terme, l’absence de liberté conduit à l’apparition de nouvelles inégalités.

Pour l’anarchisme, la liberté et l’égalité ont la même valeur, les deux sont également nécessaires, l’un n’est pas et ne peut pas être l’un sans l’autre, ni n’est consommable, ni reporté, ni second. Sinon, on ne parle pas de liberté mais d’exploitation ou on ne parle pas d’égalité mais d’oppression. C’est de cette conception éthique qu’émerge cette manifestation de l’anarchisme, qui est l’opposition à toutes sortes de pouvoirs permanents, l’État et le gouvernement.

Le terme liberté contient de nombreux malentendus qui permettent à chacun de l’utiliser aux fins les plus diverses. Ainsi, il y a liberté d’expression mais le gouvernement et les propriétaires des médias censurent les messages pour nous libérer de la diffusion d’idées contraires à l’ordre en vigueur.

Il est donc bon de parler de liberté et de présenter certains de nos points de vue pour souligner pourquoi nous ne partageons pas pleinement la liberté de cette démocratie dans laquelle nous vivons. Tout d’abord, il est préférable de ne pas parler de liberté comme quelque chose de substantiel, mais plutôt de se référer à la qualité d’être libre. Nous préférons nous demander si vous, Dupont, Durand ou moi sommes libres.

Nous allons aborder le problème en faisant quelques distinctions. Le premier cas, libre de, est ce qu’on appelle la liberté négative. Cela signifie l’absence d’obstacles, d’opposition. Par exemple, nous ne sommes pas libres de ne pas manger à cause d’un obstacle biologique. Mais dans la sphère politique, tout régime peut toujours dire que ses citoyens sont libres de quelque chose.

Nous sommes libres d’acheter ce que nous voulons, même si l’État est également libre de fixer des salaires minima misérables: nous sommes libres de changer d’emploi, même en cas de chômage; nous sommes libres d’étudier, même s’il n’y a pas de place dans les établissements scolaires; etc. Les obstacles peuvent également venir de l’intérieur de nous à travers des désirs, des préjugés ou des peurs. Se libérer de nos propres obstacles est la première étape pour être libre.

Cependant, si une large liberté de – l’absence d’obstacle – est nécessaire, elle n’est pas suffisante et doit être complétée par la soi-disant liberté positive, la  liberté de . Liberté de s’engager, de se fixer des objectifs, de les compléter, de penser et de dire ce que l’on pense, de ressentir et d’agir. Être libre de choisir n’est pas le fondement de la liberté si chacun de nous ne choisit pas également les alternatives.

Sommes-nous libres si nous choisissons un président entre deux candidats qui nous imposent leurs choix alors que nous ne pouvons ni le juger, ni le révoquer, ni le changer, ni protester? C’est précisément cette liberté que nous n’avons pas et que tout régime d’État prend bien soin.

Aristote a déjà dit que la personne est libre de déterminer sa vie et ses actions, contrairement à l’esclave qui est déterminé par sa vie et ses actions.

Le troisième aspect est étroitement lié à la liberté positive puisque pour la rendre efficace, nous devons être libres avec les autres humains. Le social est inhérent à notre espèce, c’est-à-dire que nous ne pouvons, nous développer qu’en tant que personne dans la société. La liberté n’est pas un cadeau, mais quelque chose qui doit être fait et, pour y parvenir, il faut être avec les autres et tous ensemble pour se libérer. En étant égoïste, nous pouvons atteindre une liberté négative (être libéré de).

La liberté de faire quelque chose n’est possible qu’avec les autres, solidaires et fraternellement unis. Être libre, c’est être responsable de soi-même, de soi-même et des autres.

A ce titre, nous sommes autogestionnaires.

L’autogestion est l’un des objectifs que propose l’anarchisme. Il est donc pratique d’exposer ce que nous comprenons sous cette idée et de revoir ses problèmes, sa portée, ses possibilités, etc.

L’autogestion est un projet ou un mouvement social dont la méthode et l’objectif est que l’entreprise, l’économie et la société tout entière soient dirigées par des travailleurs de tous les secteurs liés à la production et à la distribution de biens et de services, favorisant la gestion et la démocratie directe.

L’autogestion s’oppose à l’hétéro-gestion, qui est la manière de conduire les entreprises, l’économie, la politique ou la société en dehors du groupe de personnes directement concernées. Comme c’est le cas actuellement, les entreprises et l’économie sont dirigées par le capital, la politique par les partis et la société par l’État.

L’autogestion est un projet ou un mouvement, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’un modèle fini. Sa structure, son organisation et même son existence sont et seront le résultat du désir, de la pensée et de l’action de chaque membre du groupe impliqué (une usine, une ferme, une école ou une société dans son ensemble) sans impositions.

L’autogestion est méthode et objectif. Sa fin est elle-même. Sa pratique est celle qui nous montre les réussites et les erreurs dans son exécution.

En ce qui concerne l’aspect économique, il existe deux niveaux: micro-économique et macro-économique.

Micro-économique: L’entreprise autogérée se caractérise par le fait que sa direction entre les mains des travailleurs.

Macro-économique: Le capital perd tout son poids dans les décisions économiques, étant donné que les travailleurs et leurs intérêts collectifs dirigent l’économie, créant pour cela, si nécessaire, de nouveaux systèmes d’organisation.

Étendre l’autogestion à la société implique d’éliminer tous les centres de pouvoir qui s’occupent désormais de la gestion sociale. Ce sont: les partis politiques, les bureaucraties syndicales, l’État, l’armée, etc.

Certains compagnons nous mettent en garde contre le fascisme qui frappe de manière récurrente à nos portes. Nous leur disons que le fascisme est inhérent à toute forme de gouvernement, de droite ou de gauche. La lutte «antifasciste» en elle-même ne mène à pas grand-chose, parce que c’est une lutte sans contenu, parce qu’elle n’est qu’une lutte d’opposition et ne fait pas de propositions concrètes, d’où l’énorme convergence d’organisations aussi disparates pour créer des collectifs antifas. Le seul combat efficace contre le fascisme est le combat pour l’anarchie. Contre toute forme d’autorité, contre toute forme de répression et de violence. Nous proposons une société libertaire et une éducation à la révolution sociale des travailleurs, menée par des individus conscients et engagés, libres et cohérents; sans aucune sorte de hiérarchie ou d’avant-garde. Nous n’allons, nous réfugier, ni dans la violence ni dans la légalité démocratique, car le légal est rarement juste ou l’illégal injuste.

Synthésiste (GLJD)

le Libertaire Decembre 2020