L’horoscope du Père Peinard

Rythmes

L’horoscope du Père Peinard

Émile Pouget (1896)

BALANCE

24 septembre — 23 octobre

Cette constellation est l’emblème des jugeurs ; il eût été plus logique de la baptiser balançoire…

Les types qui naissent sous ce signe sont ergoteurs, chamailleurs, chicaniers et procéduriers en diable. Cela fait de bons commerçants, car ils s’entendent bougrement bien à vendre à faux poids. Comme on leur a seriné que pour réussir dans la société actuelle faut dévorer son voisin, ils ne s’en font pas faute. Le jour où toute la racaille jugeuse aura été rejoindre son emblème dans le fin fond du ciel, les mauvais instincts ne pouvant pas germer, puisqu’on vivra en frangins, dans une société échenillée de dominateurs, les types qui naîtront sous ce signe ne garderont que les bonnes qualités : ça fera de beaux gas, avec du bagoût et de la prudence à la clé.

Quant aux femmes, aimables et gaies, leur seul tort est d’être un tantinet pointilleuses et susceptibles.

SCORPION
24 octobre — 21 novembre

Ma somnambule prétend que ce signe farcit de malice, de fourberie et d’inconséquence dans leurs actes les hommes qui sortent de la coquille ce mois-là. Ils sont casseurs d’assiettes, rouspéteurs, appellent un chat un chat, les patrons des voleurs, les députés des crapules… mais ça s’arrête souvent là ! Ces oiseaux font le contraire de ce qu’ils disent et à eux revient le pompon comme poseurs de lapins. Turellement, avec un peu d’éducation et de volonté y a mèche de se décrasser des défauts et de ne garder que les bonnes qualités.

Pour ce qui est des femmes, ce mois-là, les pauvres copines sont encore plus mal fadées que les hommes ; elles sont roublardes, perfides, débineuses… Mais, si celles que vous connaissez ne sont rien de tout ça, c’est que mamzelle VÉNUS aura passé par là : cette demoiselle est une planète qui occupe son temps à dépioter les solopises du Scorpion.

Avec ma somnambule, de même qu’avec tous les prédiseurs d’avenir, y a toujours mèche de s’entendre : comme y a à boire et à manger dans leurs boniments, chacun y trouve son compte !

SAGITTAIRE
22 novembre — 21 décembre

Les gas qui montreront leur crête ce mois-là en pinceront dur pour s’agiter.

Leur patron, un vieux de la vieille, nommé Chiron, doit son nom caractéristique aux boudins extraordinaires qui sortaient de son boyau culier. Ce merlan-là fut une riche moule de son vivant : c’est lui l’inventeur des sociétés de gymnastique qui, depuis lors, ont bougrement aidé au développement d’un microbe dangereux : le microbe patriotique.

Ce microbe agit sur les types qu’il contamine, kif-kif son copain de la rage : les malheureux qui en sont atteints se précipitent sur des hommes qu’ils n’ont jamais vus, qui ne leur ont jamais rien fait, et les étripent le mieux qu’ils peuvent sans jamais savoir pourquoi !… Ce qui est plus triste que tout, c’est que ce microbe ne s’attaque pas qu’aux pauvres bougres nés sous ce signe : il fait des victimes les douze mois de l’année.

Le seul défaut des femmes qui naissent ce mois-là est d’être porté à la bigoterie… Encore un microbe, nom de dieu !

CAPRICORNE
22 décembre — 19 janvier

Bougrement pas propre…

Ce signe engendre l’étourderie… S’il se bornait à ça, y aurait pas grand bobo. Mais, foutre, il paraît que c’est grâce à lui que bouffe-galette, rats-de-cave, cornichons sénatoriaux, marloupiers, fripouilles, galapiats, pots-de-viniers, chéquards, bonisseurs, bourriques ministérielles, présidents de publiques, rois ainsi qu’empereurs, grouillent sur notre terre kif-kif les asticots dans la charogne.

Les femmes ne font pas exception : elles aussi sont embrenées de votaillerie, de politicaillerie, d’ambition… Heureusement la Sociale n’aura qu’à se montrer pour couper le mauvais œil du Capricorne !

VERSEAU
20 janvier — 19 février

Ainsi baptisé parce que c’est la saison où l’eau verse du ciel, pire que vache qui pisse.

Les types qui naissent par ce temps de bouillon sont grincheux, coléreux et chamailleurs. Ayant le chemin de leur existence semé d’écorces d’oranges et de cailloux, ils doivent bien regarder où ils posent leurs pattes, s’ils ne veulent ramasser une pelle. Ils feront bien aussi de passer au large des sergots s’ils ne tiennent pas à être éclaboussés.

Il paraît qu’ils en pincent pour la fréquentation de mauvaises sociétés : banquiers, ratichons, députés et autres sales gens.

Toutes ces dégoûtantes manies seront foutues au rancard, le jour où y aura plus de mauvaises sociétés et où on n’aura plus occasion de chercher ponille à ses voisins : ce qui prouve que les influences des astres sont de la roupie de singe, et que les seules influences infernales sont le mauvais organisme de la société.

POISSONS
20 février — 20 mars

Ne pas confondre ces écaillés avec le poisson d’avril qui est de la famille des couleuvres et non de celle des maquereaux.

Les gas qui montreront leur crête ce mois-là seront de bons fieux : ils seront hardis et auront la jugeotte bien en place. Par exemple, si au lieu de rester de bons camaros, ils veulent se foutre à exploiter leurs semblables, ça ne leur profitera pas : tout ce qu’ils auront réussi à barbotter, raboter et filouter s’en ira en eau de boudin, — et ce sera tant mieux !

De même, si au lieu de se mettre en ménage à la bonne franquette, l’envie les prend de demander la permission à môssier le mâre ou au ratichon, ils seront bougrement malheureux — et ce sera encore tant mieux ! Pourquoi aller chercher midi à quatorze heures ?

Les femmes seront galbeuses et girondes : elles auront bon cœur et bonne tête. Leurs parents les bassineront ferme pour les empêcher de faire à leur guise, mais comme les copines auront la caboche solide, elles ne subiront pas l’autorité familiale, — elles auront rudement raison et s’en trouveront richement bien.

BÉLIER
21 mars — 20 avril

Le bélier est le patron des cornards.

Ceux qui naîtront ce mois-là, ou qui se marieront avec une femme née ce mois-là, ne passeront pas au travers ! Y aura pas mèche pour eux de se pavaner sous la tour Eiffel… Ça, c’est la conséquence logique du mariage légal ! il est toujours une affaire commerciale, un maquignonnage d’intérêts — jamais une union des cœurs.

Pourquoi la femme, ainsi réduite à l’état de propriété du mâle, ne chercherait-elle pas à s’évader par la tangente ?…

Pour se consoler, le mari pourra se faire une raison et se dire que si sa femme plaît à d’autres que lui, c’est preuve qu’elle a des qualités.

TAUREAU
21 avril — 20 mai

L’origine du taureau : Jupiter, un dieu de l’ancien régime, se déguisa un jour en taureau pour faire du plat à une jeunesse ; kif-kif les bourgeois, ce vieux barbon était trop laid pour plaire de son naturel : fallait qu’il se maquille et qu’il éblouisse par l’étalage de sa galette. Une fois arrivé à ses fins, mossieur Jupiter plaça sa peau de taureau dans le ciel… où elle est restée sous forme de constellation.

Cré pétard, une histoire pareille, c’est presque aussi gourde que le mystère de la Trinité.

Les gas nés ce mois-là sont des frangins costauds : ils n’ont pas frio aux mirettes, ont du poil au ventre et ne se laissent pas influencer. Qu’une grosse légume essaie de faire des épates et ils l’envoient illico à Dache, l’illustre perruquier des zouaves ; si un patron veut raboter leur salaire, ils se revenchent en exigeant double paye… Tout ça en attendant que la Sociale nous fasse risette ; c’est pour le coup qu’ils se décarcasseront !

Pour les femmes, c’est même tabac : elles ont les côtes en long et n’aiment pas plier l’échine ; elles n’aiment pas non plus se laisser marcher sur les pieds. Si on les marie de force à un escogriffe qui leur déplaît, elles ne font ni une ni deux : elles le plaquent sans façons et reprennent leur liberté.

GÉMEAUX
21 mai — 20 juin

« Les frères siamois »… patrons des esthètes, amateurs de terre jaune. Ce qui ne veut pas dire que les hommes qui naissent ce mois-là sont de la confrérie, foutre non ! Cette salopise est due à l’influence de la société bourgeoise : elle germe chez les aristos et dans les prisons et les casernes. Une fois la cause disparue, l’horreur disparaîtra de même.

Les loupiots qui naîtront sous ce signe bruilleront dès leur arrivée, — à moins qu’ils n’aient cassé leur pipe avant de naître. Ils fieuteront ferme et têteront encore mieux. En grandissant, à moins qu’ils ne soient d’humeur casanière, ils en pinceront pour les voyages ; en ce cas, ça se manifestera d’abord par de formidables parties de califourchon ; puis, l’envie de se trimballer d’un bout du monde à l’autre les tenant pire que jamais, tout leur sera bon pour se véhiculer : manches à balai, voitures à bras, bourriquots, bicyclettes, ballons dirigeables, tramways électriques, bateaux mouches et chemins de fer.

CANCER
21 juin — 23 juillet

En fait de cancer y en pas de pire que le cancer bourgeois ! En voilà un qui nous ronge sang et os, sans nous laisser une minute de répit, — et bonnes poires, on se laisse dévorer !

Les types qui naissent ce mois-là n’auront cinq pieds et six pouces que très exceptionnellement : habituellement, ils viendront au monde comme le commun des mortels avec un pied au bout de chaque jambe et un pouce au bout de chaque main ; quoique pas mieux montés que leurs voisins en fait de doigts, il leur arrivera pourtant, de s’en fourrer dans l’œil plus souvent qu’à leur tour. Ils vivront vieux, sauf accidents ou maladies qui les emportent.

LION
24 juillet — 23 août

On en a conclu que tous les types qui sortent de l’œuf ce mois-là sont des gas superbement rablés ; qu’ils sont francs, braves, courageux, le tout pimenté d’un peu d’orgueil. Faut pas trop couper dans ces racontars : si vous voulez additionner tous les types qui ne rentrent pas dans cette catégorie ce sera cotonneux : vous dégotterez des cagneux, des bossus, des bancals, des tortillards, des bas-du-cul, des hargneux, des tartuffes, des pleutres ou des larbins. Par exemple, qu’ils soient bien ou mal bâtis, vous trouverez des tripotées d’andouilles amoureux de ferblanterie décorative : mince d’orgueil, le jour où ils peuvent arborer à la boutonnière le cordon ombilical du pape !

Y a des puritains qui sont contre les décorations, — moi pas, foutre ! Quand je rencontre un ostrogoth avec la boutonnière fleurie, je suis fixé illico, je n’ai pas à me creuser le siphon pour savoir à qui j’ai affaire. Eh fichtre c’est très chic, de ne pas avoir d’hésitation : on peut se garer de son chemin, de même qu’on se gare des voitures de vidanges et des tonneaux d’arrosage. Ce que je rigolerai le jour où les capitalos, les pleins-de-truffes, les chéquards et autres bandits arboreront tous un ruban à leur boutonnière.

VIERGE
24 août — 23 septembre

Il paraît que tous ceux qui naissent sous les auspices de cette pimbêche sont destinés à être exploités, à être volés comme dans un sac, à être saignés aux quatre veines, — faudrait-il donc en conclure que tous les prolos naissent sous ce signe ?