Les tueries de masse se multiplient aux Etats-Unis

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Les fusillades dans les écoles américaines, ainsi que les homicides, se multiplient depuis trente ans, et sont même devenus l’objet de débats et de campagnes politiques. Les États-Unis sont la nation qui compte le plus de fusillades de masse dans le monde. Le terme « fusillade de masse » est généralement utilisé lorsque quatre victimes sont recensées, en excluant le meurtrier.

Avec ce critère, depuis le début du XXIème siècle, on comptabilise 24 tueries par an. Le meurtrier est généralement tué par la police, arrêté par des policiers ou des civils, ou se suicide.

Après le massacre de Parkland en Floride, le débat sur le pourquoi et le comment de ces événements a de nouveau été déclenché. Des propositions ont été proposées pour des lois, tant étatiques que fédérales, qui tentent d’imposer des gardes et des policiers, nationaux ou privés, au sein des instituts, qui imposent le blindage des bâtiments, qui empêchent la possession d’armes par les moins de 21 ans – moins, bien sûr, s’ils rejoignent l’armée – ou bien l’accent a été mis sur la question de la santé mentale.

Pour rappel, la fusillade de Parkland est une tuerie en milieu scolaire survenue le 14 février 2018 dans la Marjory Stoneman Douglas High School, dans l’État de la Floride, perpétrée par Nikolas Jacob Cruz, un ancien élève de l’établissement.

Dix-sept personnes sont tuées et quinze autres sont hospitalisées, faisant de cette fusillade l’une des plus meurtrières survenues aux États-Unis en milieu scolaire.

D’après les recensements de l’ONG Gun Violence Archive, les Etats-Unis ont été le théâtre de 251 fusillades de masse depuis le début de l’année 2019.

Récemment, dix-neuf enfants et deux institutrices ont fait partie de la dernière tuerie de masse aux Etats-Unis, le 24 mai 2022 à Uvalde, au Texas. C’est la deuxième plus grave jamais survenue dans un établissement scolaire. Les Etats-Unis n’en finissent pas de pleurer leurs morts. Si on y ajoute la récente tuerie dans un hôpital, on voit que la violence par armes à feu gangrène « le pays de la liberté ». Et rien ne semble arrêter les massacres par armes à feu.

Mais regardons de plus près.

Il existe aux États-Unis un marché florissant de la sécurité privée qui fournit, outre les policiers privés eux-mêmes, du matériel, des moyens, des formations et des équipements. Des propositions telles que permettre aux écoles d’être protégées par des portes et des fenêtres blindées dans toutes les salles de classe, en plus de pouvoir les surveiller de loin, représentent un chiffre d’affaires de centaines de milliers de dollars. Former le personnel à réagir à un tireur signifie dépenser des milliers de dollars pour chaque membre du corps professoral affecté à cette tâche. L’introduction de la police privée signifie d’autres millions pour les payer ou payer les entreprises qui les embauchent. Ce sont des mesures délicieusement keynésiennes, car elles stimulent le marché par la dépense publique, et permettent de résorber en partie le chômage endémique des vétérans des guerres récentes. Et Trump de demander qu’on arme les enseignants pour protéger les enfants des écoles. La convention annuelle de la NRA, le principal lobby des armes américain, s’est ouverte, vendredi 27 mai 2022, à Houston, à 450 kilomètres d’Uvalde, où un adolescent de 18 ans a tué dix-neuf enfants et deux enseignantes. L’ancien président Donald Trump y a de nouveau défendu le deuxième amendement.

Le scandale des armes à feu continue aux Etats-Unis et est encouragé au plus haut niveau des Républicains. Républicains, de plus en plus fagocités par les Evangéliques. Les meetings politiques ressemblent de plus en plus à des grandes messes de fidèles. Politique et religion, dans une liaison dangereuse, influent sur le comportement des Américains. Les croyants ont une mission sur Terre et ils font de la politique pour servir leur Dieu. Tout comme les musulmans qui ont une religion d’Etat. Et le goût des armes pour la plupart des religieux est bien connu.

Les propositions de la NRA et de leurs porte-voix s’inscrivent surtout dans la tendance générale à la militarisation de la société, tendance que l’on observe partout. Dans une phase où la masse de personnes destinées au chômage ou à l’emploi précaire chronique augmente énormément en raison du changement de paradigme des systèmes de production – manufacturiers et cognitifs – il est nécessaire d’accroître le contrôle social. La militarisation n’est rien de plus que le revers de la médaille par rapport aux systèmes de gestion de la misère. La masse croissante d’exclus, de pauvres et de semi-pauvres doit être gérée d’une manière ou d’une autre, n’est-ce pas ? La carotte et le bâton sont toujours de bonnes vieilles recettes.

Il faut donc transformer davantage les écoles en casernes, empêcher les mouvements sociaux et habituer les individus dès leur plus jeune âge à la militarisation de la société. Beau programme répressif et orwellien.

Parallèlement à tout cela, il y a eu les propositions habituelles et variées de restreindre la possibilité d’accès aux armes à feu, ce qu’évidemment une bonne partie de la « gauche américaine » soutient. Mais l’hégémonie est le mécanisme par lequel l’idéologie de la classe dirigeante pénètre même parmi ceux qui voulaient s’y opposer.

L’ogre de la gauche libérale – la NRA, National Rifle Association – est favorable à ces mesures de militarisation, ainsi qu’à certaines formes de maîtrise des armements partagées avec l’administration. Les intérêts du parti de Trump, parti moyen-supérieur blanc de classe, est favorable à des mesures telles que l’augmentation des postes de contrôle ou l’interdiction des armes pour les moins de 21 ans. La NRA a montré qu’elle voit d’un bon œil toute mesure visant à retirer les armes des yeux des pauvres et des minorités, et n’est pas intéressée à protéger les propriétaires d’armes qui ne font pas partie de sa statistique de référence dans tout ce qui représente les intérêts de ces milliers de petites sociétés semi-individuelles qui fonctionnent grâce à la militarisation toujours croissante de la société, et qui sont favorables à toute politique allant dans ce sens. Nous ne pensons pas que les grands producteurs d’armes de guerre, le complexe militaro-industriel, aient besoin de la NRA pour préserver leurs propres intérêts, qui résident dans les guerres elles-mêmes. La guerre en Ukraine présente un débouché conséquent pour les marchands de canon par exemple. L’armement de plusieurs pays de l’Otan aussi.

D’autre part, il faut souligner que les livres écrits par des personnes liées à la NRA, qui traitent du sujet à travers des manuels (comme ceux de type opérationnel de Massad Ayob, une référence internationale même pour de nombreux tireurs sportifs) , alors qu’ils devraient vraiment utiliser des textes purement techniques et impartiaux, ils diffusent un texte subliminal profondément influencé par l’idéologie de la classe moyenne supérieure américaine, débordant de justifications pour les meurtres policiers et d’éloges disproportionnés pour les forces de l’ordre. Ce n’est pas un hasard si depuis quelques années on parle spécifiquement de « gun culture », et qu’il existe même des cours dédiés à l’étude de ces phénomènes.

L’administration, sous l’ère Trump, a tout fait pour s’éloigner du débat sur la variable de la santé mentale, cela signifie simplement la médicalisation du malaise psychique, malaise qui ne peut manquer d’être présent dans une société aliénée, et un possible retour à des méthodes encore plus autoritaires. Le problème de la santé mentale est réel, pas seulement aux États-Unis, et il faut s’y attaquer ; mais nous avons eu un siècle précédent de désastres et de drames causés par une gestion purement médicalisée, qui nous dit que ce n’est pas la bonne façon de procéder, même si c’est la seule qui puisse être envisagée dans le paradigme d’une société aliénée. Par contre, il faut souligner que ceux qui commettent des attentats comme ceux de Parkland ou d’Uvalde  sont psychologiquement instables.

D’un autre côté, le problème se pose toujours de savoir qui détermine qui est fou. Jusqu’à il y a quelques décennies à peine, un homosexuel était considéré comme cliniquement malade. Selon ce raisonnement, les homosexuels et les transgenres auraient dû être empêchés d’accéder à la possibilité de se défendre contre d’éventuelles agressions. Comme on le voit, ce n’est pas exactement une affaire simple, malgré l’insistance des Trump, qui se sont déclarés favorables à la saisie d’armes à des personnes « dangereuses » – encore une fois, définies par qui ? – sans passer par un processus équitable, base du droit libéral, comme les différents libéraux de type Clinton ou Biden.

Les statistiques sur ceux qui commettent des massacres dans les écoles en disent plus que ce que les autres peuvent dire. Alors que la presse européenne s’aligne derrière le Washington Post et le New York Times, on apprend que dans l’affaire Parkland par exemple, pour la énième fois, le tueur est un suprémaciste blanc qui s’intègre parfaitement dans la statistique globale des responsables des tueries de masse.

L’origine de ces événements doit être recherchée dans la classe moyenne blanche et dans sa façon de penser : darwinisme social, individualisme au sens négatif, misogynie – l’auteur de la fusillade de Parkland a été actif dans des forums misogynes qui font partie intégrante de l’extrême droite – et la suprématie blanche. Une action de ce genre rappelle étroitement les modes d’action du fascisme, en particulier le mépris absolu de l’autre qui, d’une certaine manière, n’a pas eu accès à un certain niveau d’illumination et n’est pas initié à la vision juste, éternelle et immuable de ce monde.

L’agresseur s’abstrait de la masse sur laquelle il décharge ses armes dans un rite de purification, et parvient à s’affirmer. Dans le cas de Parkland, nous sommes face à l’éternel retour de la culture de droite. Le « soldat politique » de culture de droite se considère supérieur, endossant un esprit prédateur même et surtout envers ceux qu’il dit vouloir défendre. Dans le cas d’Uvalde, l’auteur des faits, Salvador Ramos, un jeune homme de 18 ans, a tué des enfants de l’école qu’il avait lui-même fréquenté. D’après la presse, il aurait subi de mauvais traitements durant sa scolarité et se serait vengé. Si toutes les personnes harcelées en milieu scolaire massacraient ultérieurement des enfants de primaire, nous assisterions à une véritable hécatombe. Le problème est à rechercher ailleurs d’autant que dans le cas présent, il s’est attaqué aux membres de la communauté hispanique. Ce jeune a décidé de décharger sa colère sur des enfants et deux enseignantes mais il aurait pu la décharger sur ses pairs, ses voisins, sa famille ou ses collègues. Le fait d’avoir une arme permet ce genre d’attitude.

La seule réponse sensée à tout cela est l’auto-organisation et l’interdiction des ventes d’armes. Si nous enlevons les armes à feu à la vente, elles ne peuvent pas tomber entre les mains de tueurs en série.

 

Les propositions de limitation de la vente des armes à feu seraient un moindre mal, mais ne seraient pas du tout exemptes de dérives. L’interdiction d’une arme à feu particulière [en référence au débat sur les fusils automatiques, en particulier l’AR15] n’arrêtera pas ceux qui veulent commettre des violences de masse ni n’atténuera ce qu’ils peuvent faire. Une personne déterminée peut obtenir les mêmes résultats avec un AR15 qu’avec un fusil de chasse, et des substances fabriquant des bombes peuvent être trouvées sous l’évier de la cuisine.

Il faut vraiment se demander si la volonté de résoudre le problème des meurtres de masse par une législation d’urgence serait efficace ou s’il ne vaudrait pas mieux éduquer à l’existence pacifique des êtres humains et corréler cette loi d’interdiction avec un changement culturel profond. Malheureusement, cette tradition de défense armée est toujours vivace et a même connu un regain sous Trump. De nouveaux clubs de tir et groupes de défense voient encore le jour. Les survivalistes en ajoutent un peu plus au culte viriliste du fusil. La réussite d’une politique de lutte contre la vente des armes à feu implique une lutte sans failles contre de puissants lobbys dont la NRA. Il y a urgence à poser les fondements de cette lutte.

Décidément, la tâche des libertaires s’avère des plus ardues. Mais, même si 95% de la population pensaient que les armes à feu seraient la solution à la sécurité de tous, nous continuerions à dire que la violence appelle la violence et qu’il faut désarmer tout le monde. Si tu veux la paix, prépare la paix.

Ti Wi (GLJD)